Ces jeunes filles de bonne famille, c’est de la passion à l’état sauvage quand tu leur fractures la tirelire. De la haute tension concentrée !
Je la démarre dans des lenteurs inouïses, centimètre après centimètre. Elle essaie d’accélérer des michardes, mais doucement, cocotte ! Je lui réfrène les débrideries impitoyablement. « Plus vite, plus vite ! » qu’elle me supplie, l’adorable, comme un noyé qui appelle au secours quand il n’a pas encore la gueule pleine de flotte. Mais tu verrais, Antoine, cette maîtrise, cette impitoyabilité dans l’acte, histoire de lui faire rendre son max ! Quand la môme atteint le point de rupture, je commence à lui négocier mon braque. En montant légèrement le rythme.
Pleure ! Supplie ! Grince des dents, ma fille ! Je resterai inflexible. Te baiserai comme tu dois l’être. Je veux contrôler ta passion, retenir ta fougue. Attends que je lâche du lest. Ah ! t’as pigé la manœuvre, coquinette ! Tu le sais que ça va devenir fabuleux ? Tu cesses de hoqueter, gamine ! Oui, c’est ça : mets tes talons dans mon dos et éperonne-moi les reins. Oh ! ce que tu es douée ! Quelle cavalière-à-l’envers tu fais ! Mais qu’est-ce que c’est que ce boucan, bordel ! Qui ose tambouriner à la porte quand nous sommes en plein coït géant ? Faut être le dernier pueur de gueule pour se permettre !
Excuse-moi, Marie-Laure, je te reprends la bête pour aller ouvrir, pianote-toi un peu le frifri pour t’entretenir, je reviens tout de suite.
Et c’est cet enfoiré de négus que je trouve. Il regarde mon énorme zobi dodelineur, lequel, sur l’instant, ressemble davantage à une aubergine de comice qu’à la photo du prince Charles.
— Suis-je inopportun ? demande Jérémie.
— Penses-tu, ricané-je, on t’attendait pour l’emplâtrage final avec toute la troupe ! À part me faire débander, que veux-tu ?
— L’affaire de la George-V t’intéresse encore, malgré ton numéro hippique ?
— Pourquoi ?
— J’ai du nouveau, je te raconterai quand tu auras éjaculé.
Il referme la porte et je vais suivre son conseil informulé.
La première caractéristique d’une étreinte, c’est de gommer la pudeur entre deux individus. Un instant auparavant, ils s’appelaient « monsieur » et « madame » et, parce qu’ils viennent de bouillaver, tu les retrouves en train de s’écoper les joyaux : madame à cheval, monsieur debout comme un grand devant le lavabo. Finie, la magie. Mon grand Albert Cohen l’avait bien compris, qui préconisait que des amants doivent avoir chacun sa salle de bains (cf : Belle du Seigneur).
D’une partie de baise naît, soit une grande passion, soit une mélancolie animale (exprimée en latin dans les pages roses du Larousse).
Tout en essorant Popaul, je me demande où nous en sommes, Marie-Laure et moi. Il semblerait que nous adoptons une attitude intermédiaire. Jubilation sensorielle, dont les ondes continuent de nous parcourir d’une part, mais, d’une autre, froideur sentimentale consécutive aux loyaux services de MM. Jacob et Delafon qui, un jour, unirent leurs sensibilités (que je me permets de supposer sémite et aryenne) pour assurer le confort sud de plusieurs générations de baiseurs.
Je me repimpe[11] et vais rejoindre mon noir poulman. Il est en converse avec Frédéric Mouchame, le chef de notre armurerie.
Salutations obséquieuses dudit qui, depuis qu’il appartient à la Grande Taule, lèche systématiquement tout le monde, dans l’espoir qu’il finira bien par en sortir quelque chose de bénéfique pour lui. Signe particulier : une tache de vin sur la joue gauche qui épouse les contours précis d’une carte du Burundi (compare, c’est frappant).
J’avise un fusil à lunette en travers du bureau, que je crois reconnaître.
— L’arme trouvée chez le colonel Lemercier ? demandé-je en chef averti qui en vaut dix.
— En effet, confirme M. Blanchouillard.
— Mouchame a des choses à nous dire à son propos ?
— Et comment ! exclame le Noirpiot.
Il m’en veut d’avoir tiré une guêtre en ces instants de fièvre. Considère cette « récupération » comme une sorte de forfaiture ; pour un peu, il me ferait passer en Haute Cour pour trahison, l’ancien esclave !
— Eh bien, je vous écoute, mon brave Mouchame.
L’armurier s’empare du fusil. J’aime les gestes professionnels qui sont sans commune mesure avec ceux des béotiens. Ainsi, une puéricultrice ne se saisit pas d’un nourrisson comme le fait sa maman, une pute ne suce pas comme une grande bourgeoise, et un armurier prend une arme comme s’il s’agissait d’un joyal[12].
— Regardez ce Gognot-Frézett, monsieur le directeur. Apparemment, c’est un fusil à lunette classique fait pour tirer le gros gibier.
— Et ce n’est pas le cas ?
— Si ; mais il est à double usage.
— Que me dites-vous là, Mouchame ! grandiloqué-je de la glotte.
Conscient de détenir une importance : celle que donne la chose sue vis-à-vis de ceux qui l’ignorent, il rengorge, l’armurier.
— Pièce unique, probablement, et donc de musée, reprend-il. Ce qui m’a surpris en l’examinant, c’est ce petit boîtier noir placé sous la lunette et qui semble la maintenir sur le fusil. Je n’avais jamais rien rencontré de semblable, d’où ma curiosité qui m’a amené à le démonter.
Il agit en commentant, dévisse la chose d’acier bruni dont le volume avoisine celui d’une boîte d’allumettes. Mais quand elle est démontée, elle n’est pas libérée pour autant : un minuscule fil bleu, du type fil pour condensateur, la traverse. L’une de ses extrémités remonte dans la carène de la lunette, l’autre plonge dans un infime conduit percé dans l’épaisseur du canon, pour s’engager ensuite dans celle de la crosse.
Toujours affairé et doctoral, Mouchame se met en devoir de dévisser la plaque d’acier placée, comme en élément de renfort, sous la crosse. Une fois ôtée, cette plaque dévoile tout un système miniaturisé placé dans un logement rectangulaire, qui ferait perdre son latin à toute personne non initiée. Sa description même exigerait un vocabulaire technique que je ne possède pas. Le simple quidam ne peut que contempler ce minuscule écheveau de fils réunis par d’arachnéennes soudures, de batteries lilliputiennes, de prismes taillés comme des diamants, de solutions mystérieuses logées dans des réservoirs moins gros qu’un dé à coudre, et autres bastringues nés d’un cerveau superéquipé.
Je cherche des mots à la hauteur de ma stupeur.
Les profère :
— Ça alors !…
— N’est-ce pas ? surenchérit l’armurier.
— Ça sert à quoi, ce bigntz ?
Là, il contritionne du regard.
— Je ne saurais vous le dire, monsieur le directeur. Mais c’est intéressant, non ?
— Davantage ! Et le fusil conserve nonobstant ses facultés de fusil ?
— Tout à fait : je l’ai expérimenté. Pour ce faire, il faut actionner le cliquet que vous apercevez, derrière la détente, pareil à une petite gâchette supplémentaire. Il s’agit d’un inverseur. Position A, l’arme est opérationnelle de façon classique ; position B, elle acquiert les facultés que nous lui ignorons encore. Il conviendrait de la confier à un éminent physicien, je pense.
— Mathias ! coupé-je.
Et je me tourne vers Blanc.
— Pas disponible pour l’instant : on vient de l’opérer de la rondelle, objecte Jérémie.
— Il ne pense pas avec son trou du cul ! objecté-je-t-il. Va lui montrer ce bidule, grand mâchuré, en lui précisant dans quelles circonstances il est tombé entre nos mains. Il faudrait vraiment qu’il soit plongé dans un coma dépassé pour ne pas réagir à un fusil pareil !