— Merci, coupé-je. L’attention est délicate, mais une enquête de la plus haute importance me mobilise totalement. Si Miss Chian Li voulait bien me faire un bon, je la consommerais à une date ultérieure.
— Elle n’acceptera pas, assure Pinaud, elle a un agenda bondé et cela fait deux mois que j’ai posé ma réservation. De plus, ses honoraires ont été réglés d’avance et, bien que ce ne soit pas de bon goût, je puis t’assurer qu’ils sont élevés.
— Bon, je ferai l’impossible pour user de ce délicat présent, mon César. Où puis-je pratiquer cette gracieuse créature ?
— Elle ne peut pas t’attendre ici ?
Je mouessade :
— Imagines-tu cette péripatéticienne de luxe et son serpent dans le bureau du directeur de la Police ?
— Faites-vous pas d’ souci, tranche Bérurier : j’ vas l’emm’ner chez moive. Ma Grosse détest’ pas un’ p’tite séance d’ gigot à l’ail, temps za aut’, pour changer d’ mon braque géant. Si l’ cœur t’en dit, grand, t’auras qu’à passer à la casa pour un’ p’tite chinoisererie expresse.
Ainsi est fait.
Nous prenons le temps de sabler le champagne avec les assistants. On installe la corbeille de lys sur la table basse de mon bureau. Un moment euphorisant de gnagni gnagna : cris et suçotements. Des rots comprimés, d’autres puissamment exhalés (chef de chorale Alexandre-Benoît Bérurier). Mon « cadeau » se prélasse sur le canapé en compagnie de son reptile dont la langue bifide frétille sans arrêt, écœurante. Cette gonzesse est douée pour l’exploitation de son corps. Chez elle, ça se hisse au niveau de l’art. Rien que la manière dont elle se tient tordue pour montrer sa jolie fente rose praline, soigneusement épilée. Elle guide le python, lequel s’enroule à sa cuisse et se glisse contre son sexe. Mes hommes, le regard fixe, la glotte bloquée par l’émotion, matent à pleins z’yeux. Juste le brigadier Courtepine qui promène sa langue chargée sur ses lèvres asséchées, s’y « voyant » déjà.
— Bon ! déclare soudain Béru, faut qu’on va prendre du souci et qu’on va s’ casser, qu’aut’ment sinon, on s’ra plus capab’ d’ marcher !
Elle est au chevet de son époux, la mère Mathias, le regard moins franc du collier que celui du serpent que je viens de quitter. Elle a plein de boutons (entre deux peaux) sur la gueule. Chez elle, se farder consiste à dessiner une violette sur sa bouche sans lèvres. Des projets de bubons s’élaborent sur son cou. Le cheveu raide, la peau jaunasse, le nez mince et long, elle semble chercher des choses vaches à dire.
Son opéré est rendu tout benêt par la présence de l’épouse. Son brasero flamboie sur l’oreiller. Mon arrivée l’embête parce qu’il sait que je n’hésite pas à envoyer son brancard aux bains turcs quand il me fissure les bonbons.
— Tu parais en bonne forme ! dis-je.
— Ce n’est pas vous qui êtes à sa place ! grince sa girouette rouillée. Si vous aviez subi une telle opération rectale, vous n’auriez pas la mine aussi fleurie.
— Peut-être, réponds-je avec une impassibilité qui force l’admiration, mais moi je ne me fais pas sodomiser !
La houri fait un bond, départ arrêté, de quarante centimètres sur sa chaise.
— Vous traitez mon mari d’homosexuel ! égosille-t-elle.
— Pourquoi usez-vous du verbe « traiter » qui a une connotation péjorative, ma poule ? Se faire enculer ne constitue plus un délit. Chacun a la libre disposition de son cul ; vous, par exemple, lorsque vous vous masturbez avec votre rouleau à pâtisserie (après l’avoir huilé, je suppose), vous n’enfreignez en rien les règles de la bienséance, du moment que vous lavez le rouleau après usage avec Le Chat ou Mir vaisselle.
Elle se dresse. Pas grande, la chérie. Une jupe bordeaux, une veste bleu marine, un chemisier blanc. Classique !
— Vous, dit-elle, vous ne changerez jamais ! Malotru vous êtes né, malotru vous restez, bien que promu à la plus haute fonction ! Je plains votre malheureuse mère d’avoir un fils comme vous ! Quel calvaire !
Elle jette à son époux :
— J’espère que ce butor ne te fatiguera pas trop longtemps !
Elle se dirige vers la porte et sort. Je la rejoins dans l’espèce de tambour isolant la chambre du couloir.
— Chérie ! fais-je d’un ton noyé.
Surprise, elle stoppe. Je lui prends la main, sans qu’elle résiste, la porte à ma braguette.
— J’aime quand tu te fâches, Ninette, ça me fait bander. Touche !
Elle laisse guider sa main, ne « touche pas réellement » mais effleure ma protubérance.
— Un jour, je te ferai éclater la chatte, salope !
Et je la plante là pour rejoindre son mari.
Je prends place à son chevet.
— Tu es dur avec elle, diagnostique Mathias.
— Oui, fais-je résolument : très dur, elle m’excite. C’est la fascination de l’horreur.
Je redeviens pro :
— Alors, tu as examiné le fusil ?
— Oui. Je l’ai caché dans le placard avant qu’elle n’arrive, elle aurait hurlé au scandale parce que tu me donnes du travail jusqu’ici !
— Qu’en penses-tu ?
— Phénoménal !
— Mais encore, Hector ?
— Il tue : je parle des ondes de la lunette.
— En es-tu sûr ?
— Je l’ai expérimenté, avoue Mathias en baissant le ton comme s’il m’avouait une maladie vénérienne.
— Sur qui ? béé-je-t-il.
— Un yorkshire.
— Quand ?
— Il y a moins d’une heure.
— Où ?
— Depuis cette chambre.
— Comment ?
Il révèle :
— Naturellement, les chiens ne sont pas admis à l’hôpital. Une visiteuse flanquée de son yorkshire s’est présentée ce matin et s’est fait refouler. Alors elle a attaché l’animal à la grille protégeant un massif de roses. J’ai visé le yorkshire avec le fusil et actionné la seconde détente. Il ne s’est rien passé. Pensant l’avoir raté, j’ai réitéré mon geste. Toujours rien. J’ai alors cru que cette arme n’en était pas une, concernant sa seconde fonction. Mais voilà que tout à l’heure j’entends des cris désespérés. Je vais à la fenêtre et aperçois la dadame en train de piquer une crise de nerfs devant le cadavre du clébard.
— Tu es devenu canicide !
— J’ai honte, mais pour expérimenter le fusil, il me fallait une cible vivante !
— Et tu conclus quoi, de cet assassinat ?
— Les ondes émises par le fusil altèrent la fonction cardiaque jusqu’à entraîner, à retardement, un arrêt du cœur. La charge est réglée pour supprimer un homme ; elle a eu un effet plus rapide sur un minuscule mammifère.
— Tu as entendu parler des travaux du professeur Raspek ?
Il répond, sévère :
— Rien de ce qui touche aux travaux scientifiques actuels ne m’est étranger.
— Aurait-il été capable d’inventer ce fusil double action ?
Mathias réfléchit.
— Il rentre tout à fait dans son domaine d’exploration.
— C’est bien ce que je sens. Comme je sens aussi qu’il en aura été la première victime.
CHAPITRE XI
POURPRE : matière colorante rouge foncé, que les Anciens tiraient d’un coquillage.
En fin de journée, rien ne s’étant produit, je passe chez les Bérurier, non pour user de mon « cadeau d’anniversaire » mais pour voir de quelle manière l’infâme couple se comporte avec lui.