C’est la demoiselle Chian Li[14] qui vient m’ouvrir, son python contristé lui pend autour du cou, telle une écharpe de smoking. Elle me sourit mystérieusement. Tout est mystérieux chez les Asiatiques ; ça doit venir de leurs yeux bridés qui leur font le regard oblique. On a toujours l’impression, quand ils vous sourient, qu’ils s’apprêtent à vous découper les couilles en tranches fines avant de les assaisonner au nuoc-mam.
— Mes amis ne sont pas là ? m’étonné-je.
— Si, si, qu’elle fait, la môme.
Elle m’indique la chambre à coucher pestilentielle des Béru où règne un magistral désordre. Leurs vêtements, jetés à la diable, jonchent le sol, la literie arrachée fait de même. Mais le plus angoissant, c’est de voir gésir les Bérurier ainsi que César Pinaud, nus et inertes, en un pêle-mêle repoussant.
— Que leur est-il arrivé ? questionné-je.
— Moi, répond avec simplicité la Chinoise.
— Que leur avez-vous fait ?
— L’amour.
— Et cela a suffi pour leur faire perdre connaissance ?
— La femme a joui onze fois, le gros huit et le vieux trois.
— „Evidemment, conviens-je ; vos performances sont extraordinaires, bonne demoiselle.
— J’ai été élevée par ma grand-mère, la fameuse Ka Gi Bi, qui fut la plus grande et la plus célèbre hétaire de Pékin. À l’âge de la ménopause, elle a arrêté ses activités sexuelles pour fonder l’E.S.P. (l’École Supérieure de Prostitution) et je fus major de ma promotion !
— Un don !
— Plusieurs ! Auxquels s’adjoignent des recettes. Vous n’ignorez pas que la Chine est le pays des onguents, pommades, drogues aphrodisiaques, langues de crapauds, cornes de rhinocéros en poudre, pulpe de coco-fesse, sans oublier naturellement la mouche cantharide dont il faut user avec prudence.
Elle vide le contenu de son réticule sur le velours râpé d’un fauteuil plus défoncé que le cul de Berthe. Des pots menus, des fioles, des tubes de jade pleuvent.
— Tenez, dit-elle en cueillant un minuscule flacon blanc à bouchon noir, si je passe sur votre sexe une particule de ce produit, vous aurez la queue plus raide que la hallebarde d’un garde pontifical.
— Ma chère, dis-je, je ne veux pas fanfaronner, mais je puis vous assurer qu’un tel phénomène se produit sans le concours de vos adjuvants.
— Pas spontanément, monsieur le directeur, un certain « état d’esprit » doit vous y préparer. Même mes partenaires des films hard, hommes à l’érection facile et répétitive, doivent se mettre en condition avant d’affronter les caméras. D’ailleurs peu d’entre eux sont en mesure de me fourrer sans que je ne leur aie pratiqué une fellation préalable.
— Vous parlez un français très châtié, fais-je.
— Qui aime bien châtie bien, riposte la donzelle avec humour ; et puis j’ai passé une licence de français en arrivant en France.
Elle ajoute :
— Vous permettez ?
Joignant le geste à la parole, elle me palpe le paquet de couenne et ce contrôle tactile m’est d’un agrément spontané.
— Parfait, assure Chian Li, les vrais mâles ne sont jamais complètement à plat et restent continuellement sous tension, comme un poste de télévision qu’on ne se résout à éteindre : on aime à conserver le petit voyant rouge, ce depuis les contacteurs à distance. On préfère consommer inutilement de l’électricité pour s’éviter trois ou quatre pas !
Elle me lâche. Dévisse le bouchon de porcelaine noire de son flacon miracle.
— Je devine en vous un homme à la curiosité sans cesse en éveil. Laissez-moi pratiquer la petite application dont je vous parlais, vous n’avez pas le droit de passer à côté d’une telle expérience.
D’un geste doucement autoritaire, elle me dégaine l’artilleur de Metz, verse la valeur d’un demi-pois chiche du produit aphro sur son médius qu’elle promène ensuite sur ma superbe veine bleue.
Elle n’a pas effectué un aller-retour que me voilà doté d’un braque qui me stupéfie : je ne m’étais encore jamais vu le même ! La chose est si roide, si horizontale, si dure et si grosse qu’elle me devient étrangère. Je porte cette monumentale queue comme une majorette sa canne à pommeau de cuivre. Avec un goumi de ce calibre, tu marches en tête du régiment, mon drôle !
— Effectivement, dis-je à Chian Li, votre produit est surprenant. Si vous le commercialisiez, vous n’auriez plus besoin de faire des films « X » : il se vendrait cher et en forte quantité !
— Je ne suis pas un laboratoire pharmaceutique, monsieur le directeur. Je préfère garder à nos produits secrets leur côté artisanal et leur magie. Mon rôle de prêtresse de l’amour me sied davantage que celui de femme P.-D.G.
— Vous avez raison, chère Chian Li, et maintenant, comment puis-je retrouver un aspect plus quotidien ?
— Tout dépendra de votre… vitalité.
— C’est-à-dire ?
— Logiquement, un homme comme vous devrait avoir besoin de huit à dix éjaculations successives pour voir son sexe rentrer dans le rang. Voulez-vous que nous entreprenions tout de suite cette thérapie ?
— Mais, ma douce amie, après avoir « traité » ces trois gisants, vous devez être exténuée vous-même ?
— Détrompez-vous ! assure-t-elle en faisant sautiller mon hyperpaf dans sa main menue. En amour il est impossible de m’assouvir.
— Ne me dites pas ! m’étonné-je, parodiant mon cher Christian Rouvidant qui affectionne cette exclamation.
— Parole ! J’ai le regret de vous dire que, jusqu’à ce jour, il m’est arrivé de frôler parfois l’orgasme, mais sans pouvoir l’atteindre vraiment. J’émettais de vagues gémissements de femme qui espère, mais jamais les cris de triomphe d’une femme qui jouit. Quand j’entends les hurlements de la grosse femme qui est là, j’éprouve un profond sentiment de solitude. Tout à l’heure, elle prenait un pied d’opéra, cette truie ; l’immeuble en résonne encore ! Mais je parle et cela laisse votre bandaison de marbre, si je puis dire. Tenez, quittons cette bauge et allons forniquer dans la salle à manger où la moquette est sale mais épaisse : vous commencerez par vous allonger sur le dos et je vous entreprendrai par « le strapontin birman » qui vous plaira sûrement, c’est un exercice qu’on ne peut pratiquer qu’avec un partenaire jeune et souple, et devrait convenir à vos aptitudes d’homme actif.
Ainsi fut fait et l’on mit près du but les enjeux. N’ayant rien de caché pour toi, je me dois d’avouer que j’aurais probablement enregistré un échec sans gland si la donzelle ne m’avait préalablement oint de sa potion magique. Grâce à cette mystérieuse décoction due à la Chine ancestrale, je tins bon. Mon zob conserva sa densité et ne céda pas d’un pouce. Elle me perpétra à sa guise, selon les techniques savantes héritées de sa grand-mère. Je jouis sans vergogne, en grande impétuosité. Elle m’accorda quelques minutes de récupération que je mis à profit pour vider un fond de champagne tiède échappé à la gouluance des Bérurier, et puis Chian Li m’entreprit de nouveau. Figure très élaborée, trop à mon goût car, si je ne répugne pas aux fantaisies amoureuses, je n’aime pas que celles-ci dégénèrent en numéro de cirque.
Las de ces combinaisons savantes qui n’ajoutent pas grand-chose à la finalité de l’exercice, je pris alors avec autorité le commandement des opérations.
Mon étreinte fut simple, d’un classicisme total. Alors que j’y abondais (si tu veux bien excuser cette tournure de phrase), la demoiselle proféra quelques sons, mais comme c’était en chinois, je ne sus qu’il s’agissait de mots ou seulement de syllabes.
— Pardon ? demandé-je en cours de frénésie.
14
Dans mes books, toutes les Chinoises s’appellent Chian Li parce que je trouve que c’est assez marrant ; de même, les Japonais se nomment Yatamoto (au lieu de Yamamoto, because j’aime pas la moto).