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— Je ne sais pas ce qui m’arrive, hoqueta-t-elle.

Je redoublai d’ardeur, elle intensifia ses propos, formulés hélas dans sa langue maternelle, et, brusquement, au détour d’un violent coup de piolet, émit un son que Bérurier qualifierait « de trident » et je me sentis brutalement inondé d’une chaleur de lave « en infusion » (toujours Béru). Chian Li fermait les yeux, ce qui ne nécessite jamais un gros effort chez les Asiatiques. Sa respiration estoit haletante. Ses mains délicates, qui avaient caressé tant et tant de bites, de pafs, de zobs, de goumis, de mandrins, de plantoirs à viande, de chopines, de chibres, de queues, de demi-livres-avec-os, de manches à couilles, de brise-jet, de polars, de biroutes, de nœuds, de sarbacanes à purée, de triques, de bâtons d’amour, de pilons-à-moustaches, oui, ses jolies mains expertes sont agitées d’un tremblement incoercible (et je pèse mes mots !).

Elle est dans un état voisin de la catalepsie (cette contrée désertique).

Je lui tapote un peu les joues.

— Chian Li, douce amie généreuse, vous dont l’ovale du sexe rejoint celui des yeux, bien qu’il s’écarquille davantage, revenez à vous, à moi, à la vie !

Elle m’obéit.

— Merci, chuchote-t-elle. Oh ! merci jusqu’à la fin des millénaires et au-delà, mon Valeureux. Sans vous je n’aurais jamais vraiment su ce qu’est l’orgasme ! Quelle jouissance indicible ! C’est un emportement ! Un engouffrement dans les félicités célestes ! Comment donc se nomme la figure que vous venez d’employer et que j’ignorais ?

— La baise à la papa, ma puce ! C’est celle qu’ont employée Adam et Ève pour donner vie à leurs deux garnements. Celle dont usent : le laboureur au retour des champs, l’ouvrier en rentrant de l’usine, le sergent de ville après sa prestation au carrefour, le pêcheur revenu de Terre-Neuve, le coureur cycliste vainqueur ou non du Tour de France, les clochards sous les ponts, les instituteurs en vacances, mon ami D.D. Sarda quand il a mangé du couscous, le cher prince Rainier III de Monaco, et quelques milliards d’autres individus en équilibre instable sur la boule girateuse qui nous tient lieu de certitude. Je pense que Mme votre grand-mère se souciait davantage du superflu que de l’essentiel en vous éduquant.

Elle croise ses mains sur ma nuque.

— Vous me le referez, beau mandarin ?

— Volontiers, dis-je, d’autant que, selon vos prévisions, ce second coït n’a pas modifié la consistance de mon appareil reproducteur qui pourrait servir de portemanteau à une cape de vison.

Je retourne à l’ouvrage avec au cœur la certitude d’apporter mon tribut (avec mes attributs) à l’humanité souffreteuse.

Alors que je me suis lancé à plein galop et m’apprête à franchir la rivière des tribunes, la sonnerie du téléphone retentit. Dans l’immédiat, tu ne peux pas comprendre ce dont il s’agit. Les Béru se sont balancé tant de fois l’appareil téléphonique à travers la gueule que le timbre fêlé ressemble au chevrotement d’un grelot d’attelage en hiver.

— Non, restez ! supplie la déesse jaune.

Mais pour moi, un appel téléphonique est aussi sacré qu’un serment.

Je la dégoupillonne pour aller répondre.

— Allô ? Ici les établissements Bérurier, annoncé-je.

— Je savais ! répond l’organe de Jérémie Blanc.

— Tu savais quoi, ma blanche hermine ?

— Que tu te trouvais chez le Gros. Tu es en train de te payer la Chinetoque, non ? Tu as fait tilt en la voyant ! Une Jaune ! Tu as de la santé !

— Pas de racisme entre nous, je te prie. Que se passe-t-il ?

— On a retrouvé la trace de la gonzesse du Val Machin.

— Où est-elle ?

— Au Brésil !

— Tu te fous de moi ?

— Elle a pris hier soir un avion pour Recife ; la fille d’Air France qui s’est occupée de sa carte d’embarquement l’a reconnue en voyant son portrait-robot.

— Elle est formelle ?

— Absolument.

— L’avion est encore en vol ?

— Hélas non : il s’est posé voilà bientôt quatre heures. Que faisons-nous ?

— Je ne sais pas…

— On prévient les autorités brésiliennes ?

— Tu as déjà été à Recife ?

— Jamais.

— Alors tu ne me poserais pas cette question à la con !

Je regarde ma bite. Miracle ! Elle dégode ! Ma conscience professionnelle a raison de l’aphrodisiaque chinois, c’est beau, non ?

Pinaud, à poil, se pointe, beau comme la carcasse d’un poulet de pays sous-développé.

Me constatant dans la même tenue que lui, il se réjouit.

— Ainsi, tu as… usé de notre cadeau ? se réjouit le chérubin étique.

— Le plus bel anniversaire de ma vie, César ! J’ai fait reluire la frigidité.

CHAPITRE XII

REMÈDE : moyen, mesure propre à combattre un inconvénient, à résoudre une difficulté.

La jeune femme, une brunette piquante aux yeux bleus (style Anne Saint-Clair mais en moins époustouflant) dépositionne à la Poule lorsque je radine.

C’est le brave Honnissoit qui « l’enregistre », en présence de Jérémie Blanc, discret dans un costard beige, une chemise marron et des lattes du même ton. Chose nouvelle, il porte des lunettes Ray Ban, très larges, dont les verres fumés lui éclaircissent les yeux.

La gentille employée d’Air France passe en revue des photographies que j’ignore, tirées dans ce bon format 18 × 24 qui sont aux photographes ce que la collection de La Pléiade est aux Éditions Gallimouille.

Et sais-tu ce que représentent ces clichés ? Maxence ! Ou du moins la femme qui prétendit se prénommer ainsi : oui, la complice de feu Hans Scheunburger qui chiquait les violées au Relais. La Maxence dans son peignoir de bain, le visage brouillé de larmes ! Les testicules m’en pendent jusqu’aux genoux.

— Je rêve ! ne puis-je me retenir d’exclamer, comme on le faisait avant les guerres dans les comédies de Boulevard.

Et de véhémenter :

— Qui a pris ces photos, Ange ?

— Votre petite copine Rouletabille, répond mon subordonné. Elle avait un appareil planqué dans ses fringues et a constitué un vrai documentaire sur « l’expédition de la Vallée de Chevreuse ».

— La salope !

— Pas tellement, car c’est grâce à elle qu’on a pu retrouver la trace de la donzelle. C’est de la pure graine de journaliste, cette fille : elle ira loin !

Il me désigne la fausse Anne Saint-Clair pour noces et banquets.

— Mme Guéridon, ici présente, est absolument certaine de l’avoir enregistrée hier, à bord d’un vol de la Varig. Je viens de recueillir la description qu’elle en a donnée.

Il fait pivoter sa machine à écrire portable afin que je puisse lire son texte tout frais.

D’après la témouine, la femme s’appelle Elsa Braker, demeurant à Luxembourg. Adresse à Paris Hôtel Barrayer, rue de Seine. Elle portait une robe noire très deuil, sans la moindre fantaisie. D’ailleurs, elle ressemblait à une jeune veuve : pas de fards, visage blême aux pommettes rosies par les larmes. Lunettes rondes, teintées, gants noirs, un carré de soie dans les tons violet sur la tête.

À mon tour j’interroge l’employée de la compagnie.

— Vous l’avez identifiée immédiatement, d’après ces clichés ?

— Oui, monsieur, et cela a été d’autant plus facile qu’elle pleure sur ces photos.

— Je comprends. Elle semblait seule ?

— Tout à fait.

— Beaucoup de bagages ?

— Un grand sac.

— Quel sentiment cette personne vous a-t-elle inspiré pour que vous l’ayez mémorisée aussi facilement ?