Выбрать главу

On a apposé les scellés sur la porte du défunt colonel Lemercier. Un silence que trouble à peine la rumeur de l’avenue plonge l’immeuble dans une solennité grisâtre.

Jérémie murmure, montrant la ficelle aux cachets de cire rouge pareils à des impacts de balles dans de la viande :

— Ce n’est pas ici que la Braker est revenue, hier : les scellés sont intacts.

Non, effectivement, ce n’est pas ici.

Comptine :

Va chez la voisine Je crois qu’elle y est Car dans sa cuisine L’on bat le briquet.

Bon, alors je sonne chez les Masturbeaux. J’aurai toujours le plaisir de revoir Nathalie. Tiens, ça c’est un chouette coup ! De la bonne décapeuse de pafs, dure à l’ouvrage, initiée aux techniques les plus perfos !

Mon coup de dring-dring se dilue dans une émission de télé : Role lent gare os.

Le Russe Bouftapine opposé à l’Américain Okram Oisy. Déjà deux sets pour le Ricain, qui vient de réussir un ace de toute beauté. Malheureusement la balle a terminé sa trajectoire dans les claouis d’un juge de ligne.

Les occupants de l’appartement doivent suivre le match avec intérêt et n’entendent pas mon carillonnage. Dès lors, je réitère ma violation de domicile de l’autre jour ; pourquoi se gêner ?

À peine la porte s’ouvre-t-elle que j’avise ce benêt d’Aldebert, allongé sur le parquet de l’entrée avec la tartine éclatée vilainement. Il s’en est morflagué une juste sous le nez, là que ça ne pardonne pas ! Travail rapide, imparable. Une seule bastos a suffi pour faire de ce cadre brillant un mort obscur.

Je l’enjambe pour partir à la recherche de sa Nathalie jolie, gredine affamée de bitougnettes.

Rien dans le livinge, non plus dans la cuisine. Mais dans la chambre où j’ai eu l’honneur de la tirer, oui !

Vue d’ensemble : un tableau décroché, figuratif, qui représente le Grand Canal de Venise. Dans le mur, un coffre scellé que la toile dissimulait. Ruse diabolique dont l’originalité m’impressionne. La porte blindée du petit placard d’acier est restée ouverte. À l’intérieur : deux compartiments. L’un est vide, l’autre contient des écrins à bijoux, des documents liés par des rubans.

À côté de la toile vénitienne : Nathalie, face contre moquette. Pour elle, ça s’est pratiqué dans le chignon. Là encore : une seule quetsche. Mais bellement administrée : dans le creux de la nuque, là où l’on aime leur déposer des bisous avant le radada cosaque.

« Tout cela en trois minutes ! songé-je, me conformant à l’estimation du chauffeur de taxi, dont les yeux sont pareils à des anus éprouvés. Belle performance, même pour une tueuse professionnelle. »

Son taxoche l’attendait en bas. Elle a sonné, Aldebert lui a ouvert. Sans perdre un instant, elle l’a plombé. Ensuite elle a menacé la môme Nathalie, terrorisée, afin de se faire ouvrir le coffre-fort. Elle y a pris ce qu’elle souhaitait, puis a abattu ma gentille friponne. Bref, elle est venue faire le ménage avant d’abandonner notre cher continent.

Qu’est-elle venue chercher ? De l’argent ? Ça me surprendrait. Jérémie qui a découvert l’horreur à ma suite semble confondu.

— Cette fille ne recule devant rien ! murmure M. Le Noir.

Je suis en train de comprendre que les Masturbeaux furent quelque part complices des assassins d’à côté. Voilà pourquoi la couille-molle d’Aldebert engueulait sa gerce parce qu’elle avait parlé. Mais sacré bavordavel, quel genre de collusion avait bien pu s’opérer entre les deux couples ? De quoi en perdre son latin et son bandage herniaire !

— Le rôle de ces deux-là a dû être déterminant pour qu’on les extermine ainsi, note M. Blanc.

Le verbe « exterminer » me paraît judicieux.

EXTERMINER : massacrer, faire périr entièrement ou en grand nombre. Voilà qui cadre bien avec les événements que nous vivons. Tous ces gens froidement supprimés finissent par constituer un massacre : le colonel, la gardienne, Pétsek, les deux policiers, Scheunburger, Nathalie et Aldebert Masturbeaux, et peut-être le professeur Raspek si le fameux fusil a bien été utilisé. Ils s’y entendent pour faire de la place sur la planète, ces mecs d’Europe centrale. Maintenant, bien que le trio du départ soit réduit à une individualité (Elsa Braker), leur mission va se produire sous d’autres cieux.

J’explore le coffre mural. Il ne contient que des bijoux de moyenne valeur, une dizaine de louis d’or dans une boîte, deux mille dollars en coupures de cent, la copie d’un acte notarié concernant un viager établi avec une vieille parente du Périgord et un petit paquet de photos, retenues ensemble par un élastique, représentant le couple Masturbeaux en train de se frictionner le lard, quelque dix années en arrière. Ces images furent prises par un appareil à déclenchement retardé. La plus réussie représente Aldebert occupé à calcer sa bonne femme en levrette. Là-dessus, le pauvre con se prend pour un dresseur de fauve. Il tient la chevelure de Nathalie de la main gauche et, de la droite, brandit le poing comme un footballeur venant de rentrer un but.

— Il ne s’agissait pas d’un vol, n’est-ce pas ? me fait Jérémie.

— Je ne le pense pas, car le coffiot contient du pognon et des bijoux en or.

— Tu formules une hypothèse ?

— Vaguement.

Dans cette profession de merde qu’est la nôtre, nous passons notre temps à nous interroger les uns les autres, pour si des fois il s’en trouverait un de plus fufute que soi-même. On s’espionne, en réalité. On suit nos mutuelles pensées pas à pas, si je peux dire. On espère toujours que le copain va trouver un des deux bouts de l’écheveau et qu’il ne restera plus qu’à désembrouiller le paquet. Et que, tout compte fait, on touchera le premier au but. Des vrais chacals alignés dans une course à la charogne !

— Tu me racontes ? insiste l’époux de la belle Ramadé.

— Un groupe de terroristes ou assimilés. Voire simplement un couple : Scheunburger et Elsa Braker. Chargés d’une mission qui est de neutraliser le professeur Anton Raspek. Pour ce faire, ils bénéficient de l’aide d’un complice : le journaliste Antonin Pétsek, lequel connaît le professeur et bénéficie même de son amitié. Une planque est organisée chez le colonel en retraite simplement parce que ses fenêtres sont en prise directe avec le restaurant Marius et Jeanette. Le trio investit le logement de l’officier supérieur et le supprime en le noyant dans sa baignoire.

— Tu permets ? fait Jéjé en levant le doigt comme un gosse qui réclame pipi.

— Oui ?

— Tu ne trouves pas que c’est là une mort trop élaborée de la part de gens qui ont la gâchette facile ?

— Le bruit…

— A-t-elle eu peur du bruit, la Braker, pour trucider ce couple ? Tu penses bien qu’elle avait un silencieux. S’ils se sont comportés différemment avec le colon, c’est parce qu’ils voulaient le faire parler. Le gadget de la baignoire existe depuis les Romains.

— Bonne remarque, déclaré-je. Je continue ?

— Je t’en prie.

— L’attentat prévu s’est-il opéré vraiment ? Est-ce ce fusil qui a donné une mort différée à Raspek ? Mathias en est convaincu. Cela dit, perpétré ou pas, l’attentat a créé un différend dans le trio et l’on a étranglé Pétsek. Maintenant, une question à cent francs : qui m’a téléphoné en face, et dans quel but ? Je ne pouvais que foutre la merde !

— Peut-être était-ce ce que l’on espérait ?

— Pourquoi dis-tu ça ?