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Le Noirpiot hoche sa tête capitonnée d’astrakan :

— Parce que nous sommes à un point d’incohérence d’où nous ne nous échapperons qu’après avoir tout envisagé. TOUT.

— C’est vrai, me résigné-je-t-il. Je vais tenter de poursuivre mon déraisonnement. Après la suppression (rapide celle-là) de la pipelette, ils vont placer un avis sur la vitre de sa loge pour justifier son absence, des fois qu’on viendrait la relancer chez Lemercier… Ensuite, meurtre du journaliste tchèque. Puis décarrade du couple d’équarrisseurs. Maintenant, plage de méditation pour essayer de résoudre la question suivante : à quel moment sont-ils entrés en contact avec les Masturbeaux ? Était-ce avant la préparation de l’attentat ? Pendant ? Après ?

— Délicat, répond Blanc. Je n’ose me prononcer.

— Moi, je dirais « pendant ».

— Qu’est-ce qui t’incline vers ce point de vue ?

Je tapote mon tarin.

— Ça, comme toujours. Mon honorable subconscient me chuchote que l’incident technique qui les a amenés à supprimer Pétsek leur a filé par la même occasion les Masturbeaux dans les bras. Ils ont dû composer avec eux en employant la menace ou le fric.

— Les deux mille dollars ?

— Sûrement pas ; les consciences valent plus qu’une dizaine de milliers de francs ! On pourrait fouiller leur appartement.

— Exact, grand, on pourrait !

Opération « peigne fin » !

Toujours, dans les polars, t’as des draupers qui passent des appartements ou des maisons « au peigne fin ». L’auteur est content d’écrire ça et ses aficionacons de le lire. Ça fait « maison sérieuse ».

Mais nous, tout ce qu’on découvre, c’est l’arme du double assassinat, et encore n’était-elle pas « cachée », à proprement parler puisque la funeste Elsa s’est contentée de la jeter dans la poubelle. Elle ne pouvait se présenter à l’embarquement avec une seringue longue de 32 centimètres à cause du silencieux !

On glisse le feu dans un sac à poubelle pris au dérouloir et on l’emporte.

De retour sur le palier, je m’immobilise.

— Une seconde, Blondinet, faut que je m’assure de quelque chose.

Je réenjambe les deux cadavres en évitant de marcher dans les vilaines flaques et me rends dans la salle de bains des Masturbeaux. Nous l’avons dûment visitée, mais ce n’est pas aux placards ou aux objets que je m’intéresse ; toute mon attention se porte sur le mur auquel est appuyée la belle baignoire vert pâle du couple. Cette cloison est revêtue de trèfles en porcelaine, d’un vert sombre, sertis dans le plâtre. Ça « donne » bien, comme disent les braves gens. J’enjambe le bord de la baignoire pour étudier chacun des trèfles-carreaux (si je puis). Je les examine l’un après l’autre, jusqu’à trouver celui qui m’intéresse. Il est bien à sa place, à la hauteur que je supposais. Celui-là est pourvu d’une ventouse de caoutchouc munie d’un crochet auquel on suspend un gant de toilette. Si tu tires sur le crochet, le carreau vient avec et tu peux alors mater chez le voisin.

Je remets tout en place et vais rejoindre mon grand Noir sans crème.

CHAPITRE XIV

GRAVITATION : force en vertu de laquelle tous les corps s’attirent en raison directe de leur masse et en raison inverse du carré de leur distance.

Mon sourire énigmatique lui fait se pourlécher les labiales, Jérémie. Il en augure du bon. Sa menteuse ressemble à une grosse épluchure d’aubergine, ses lèvres à un club sandwich.

— Oui ? il demande, comme ça, à blanc.

— Oui ! réponds-je à Blanc.

Et d’aller à la porte du colon pour en faire sauter les scellés du geste auguste du semeur. Cric-crac, sésame.

Toujours cette sale odeur de mort et de sang. Faudrait laisser toutes les fenêtres ouvertes et, après une longue aération, gicler du déodorant citronné, voire au pin des Vosges.

Je le dis toujours, les hommes, ce qu’ils ont de pire, c’est leurs odeurs. Sans cesse obligés de se briquer la viande fond en comble pour ne pas puer merde, sueur, menstrues, aigreurs infamantes. Premiers secours ? Le parfum ! Cacher la merde au chat et la sienne itou !

Or donc, nous revoici chez feu mon colonel ! Mes respects, mon colonel ! Toute la hideur d’un appartement de vieux veuf !

— Cherche ! fais-je à Jérémie.

— Volontiers, mais quoi ?

— Un appareil photo.

— Ah bon ?

Il demande, avec l’humour d’un type qui est descendu de ses cocotiers pour préparer une thèse sur Montaigne :

— De quelle marque ?

— Kodak à soufflet des années 30, réponds-je impavidement.

De mon côté, je m’y colle. La grande farfouille ! Tiroirs, placards… Zob ! Nada ! Inscrivez peau de balle sur le registre des désilluses.

L’anthropoïde fructivore me rit au nez, large comme une tranche de melon d’eau.

— Le Grand Sorcier blanc ne l’aurait-il pas dans le cul, pour une fois ? fait-il en adoptant son accent Autant en emporte le vent postsynchronisé.

Mais j’ai à la fois mes certitudes et mes pressentiments. Quand ils font corps, ça se concrète.

Je me pince les lobes oculaires entre le pouce et l’indesque (Béru). Miroska, vous êtes avec moi ? Simple question de connexion mentale.

— Le mage Antonio est en transe ? dit Jérémie. Perçoit-il des flashes ?

— La salle de bains ! dis-je-t-il. Déjà explorée !

— Au verso de la porte : deux patères !

— Et un Ave ! complète le gouailleur.

— Une serviette de bain accrochée à l’une d’elles ! articule le médium. Allez la soulever, sergent !

— À vos ordres, mon général !

Il fait, revient, penaud, en tenant au bout de son doigt replié la dragonne de cuir d’un appareil photo.

— Ce n’est pas un Kodak, tente de jubiler cet arrière-petit-fils d’orange-outange.

Mon regard peu amène lui glace la moelle. Il fait soumission en murmurant :

— Chapeau !

— L’appareil est-il chargé, sergent ?

Il mate le dos du Kékon.

— Il l’est, mon général !

— La pellicule a-t-elle été utilisée ?

— En partie.

— Combien de photos prises, sergent ?

— Trois, mon général.

— Développement immédiat !

Et nous nous ruons au labo du Grand Poulailler.

* * *

J’ai été bien inspiré de m’embourber cette pauvre Nathalie avant qu’on la décervelle. Exquis brin de femme. La trente-cinquaine florissante, là où une gonzesse contrôle encore ses formes avant de se laisser vacher, ce qui leur survient un peu plus tard, inexorablement.

Le premier cliché ne me permet de la reconnaître que parce qu’elle m’a fait les honneurs de son corps. Il la dévoile (dévoile est le mot juste) du sommet des seins à mi-cuisses. Son triangle de panne est raffolant : d’un noir de jais, sobrement frisé. Elle y glisse un doigt subtil qui vous met illico le cadran solaire sur midi pile ! Le second a été pris d’un peu plus loin et la laisse admirer presque entièrement. Il est clair que la dame s’interprète le grand air du Barbier de Séville à la mandoline baveuse. Elle se sait flashée, de toute évidence, et ce voyeurisme accepté excite la donzelle. Photo prise à travers le trou du mur dont les contours mettent du flou autour de l’image érotique. La troisième photo prise est un plan moyen. Nathalie a un pied posé sur le rebord de la baignoire, ce qui l’oblige d’ouvrir ses belles cuisses, n’est-ce pas ? De sa main gauche, elle écarte sa bouche inférieure et, de la droite, en astique les jolies babines.