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— Quéqu’un a des alloufs ? demande le Gravos.

Je possède un briquet Cartier pour allumer les cigarettes des dames et les rares cigares que je fume (mais répète pas ça à Zino Davidoff, il veut qu’on allume ses barreaux de chaise avec de longues allumettes).

— Minute !

Il ôte sa veste, la tend à Jérémie, puis déboutonne sa chemise. Cela fait, il y met le feu en utilisant mon beau briquet de cérémonie. Lorsque le vêtement est enflammé, il le jette en direction des rats groupés. Dispersion du cortège.

— Et après ? ironisé-je.

— Après y aura ma veste, mon bénouse, vos z’hardes à vous. C’ qu’y faut, c’est qu’on va gagner du temps ! T’as dit à quéqu’un où qu’on allait, grand ?

— À personne.

Je zieute le cadran lumineux de ma Pasha.

— J’ai rendez-vous dans deux heures avec le ministre.

— Ça s’ra l’ commenc’ment d’être inquiet, prévoit l’Informe.

— Par ailleurs, ajoute Jérémie, notre voiture est en mauvais stationnement à deux pas d’ici. Béru a raison : il faut tenir contre les rats le plus longtemps possible.

Nous toussons comme trois sanatoriums, à cause de la fumée dégagée par la combustion de nos fringues et qui ne s’évacue pas dans cet espace clos.

Au bout d’un moment, les rats se sont esbignés, incommodés aussi par le feu. Pourtant, on les devine proches, embusqués à l’orée de leurs trous, prêts à intervenir dès que l’air sera moins vicié.

Nous nous trouvons pratiquement à poil, n’ayant conservé que nos slips et nos chaussures. L’hallali sera pour bientôt. Reste encore la lampe que j’ai ménagée un max. Sa durée ? Je n’y ai jamais pris garde.

Les yeux nous piquent et nos baisers, si nous étions en mesure d’en donner, auraient un goût de lard fumé.

— Moive, annonce Bérurier, quand les gaspards reviendra, j’ m’arrange d’en scrafer un av’c ma grolle ; j’ l’attrape par la queue et j’ m’en serviras comme une masse d’armes pour estourbir les aut’. Est-ce qu’y sont entrepôt-fages, les rats ? Si oui, là encore on pourra gagner du temps.

— Tais-toi ! fait sourdement M. Blanc.

— J’ m’ tairerai si j’ voudrais, oppose le Gorille. J’ veux pas m’ laisser claper par ces salopards en récitant mon acte de construction ! C’est pas le genre à messire Bérurier, Négro !

— Mais tais ta putain de gueule ! s’emporte Jéjé. J’écoute quelque chose.

Du coup, le Mastard coupe le son pour tendre l’oreille à son tour. Je m’ouvre au silence, en vain, rien d’autre ne me parvient que nos respirations et les ultimes crépitements du foyer.

— Tu vas pas me dire…, commence l’Incorrigible.

— La ferme !

— Il y a quelqu’un à l’étage au-dessus, prévient Jérémie.

— On s’en doute, hé, l’ pruneau d’agent !

— Cognons ensemble contre la porte ! décide l’homme des tam-tams.

Donnant l’exemple, il se met à frapper des deux poings le fer rouillé, de manière rythmique. Je m’y colle aussi, sur le côté, quant au Mammouth, c’est avec ses pieds qu’il sonne le tocsin. On y va de tout cœur, si fort que, malgré le feu mourant, les rats n’osent s’approcher.

Nous frappons, non pas comme des sourds, mais comme des joueurs de cloches indonésiens. Plein tube ! Nos portugaises en saignent ! Ce branle doit forcer les étages et s’entendre depuis le haut.

— Stop ! nous fait soudain M. Blanc.

Il ajoute, la voix extatique :

— On vient !

— C’est dans la forêt verge qu’ t’as acquéri un n’oui pareil ? ne peut s’empêcher de réflexionner Bérurier. À écouter s’ bagu’nauder les panthères noires ?

L’heure n’étant pas aux papotages et aux petits biscuits, le génial Jérémie continue d’imiter les Tambours du Bronx sur la porte de fer.

Et tout à coup, on perçoit, sous nos martèlements, le couinement des verrous.

De la lumière nous aveugle, pauvres taupes que déjà nous étions devenus.

Une voix familière :

— Oh ! mon Dieu !

Sommes-nous si dénuementés après deux ou trois heures d’engeôlage ? Il est vrai que nous n’avons plus de fringues et que nos jambes se trouvent crépies de boue malodorante. La fumée de notre feu de vêtements a noirci nos visages, rougi nos yeux.

Béru porte des plaies aux mollets, causées par les sales rongeurs affamés qui raffolent de la viande de porc et ont trouvé en celle du Gravos un merveilleux succédané.

Je me frotte les lotos pour essayer de distinguer. Mes châsses sont ruisselants, brûlants, atrophiés. Pourtant, je reconnais (à la voix) le brave Honnissoit.

— Vous tombez à point nommé ! fais-je.

Un peu faiblard comme déclaration, d’autant que je la profère d’une voix benête.

— C’est grâce à Marie-Laure !

— Pardon ?

Il amorce un geste qui me semble encore fantomatique ; je tourne la tête et avise la petite Pontamousson, en retrait, comme si je l’apercevais à travers un verre dépoli.

— Cette petite dégourdoche vous filait, imaginez-vous. En voilà une qui a le feu sacré et fera une belle carrière dans l’info ! En ne vous voyant pas ressortir, elle m’a téléphoné. Heureusement, j’arrivais juste à la Grande Taule lorsqu’elle a appelé et je me suis pointé avec deux hommes !

Illico, je redeviens le chef suprême des armées en campagne.

— Deux hommes ! béé-je ! Et vous en avez un avec vous ! Donc il n’en reste qu’un seul, là-haut !

Il a compris et s’élance dans l’escadrin en criant :

— Venez, Calisson !

Nous leur filons le dur.

Comment qu’ils ont dégainé, mes braves archers. La chère petite Marie-Laure (de mes Noailles) n’est pas en reste. Gazelle ailée, elle parvient à me doubler entre le premier sous-sol et le raide-chaussé.

Je mets le turbo. Mes vapes fumigènes se dissipent et nous franchissons coude à coude la ligne d’arrivée. Y a photo !

Ce que je craignais s’est produit : l’inspecteur laissé en couverture gît sur les tapis avec une chouette entaille au couvercle, causée par la crosse d’un P.-M. Bien entendu, plus personne dans le Palais du Tapis, du patron aux vendeurs, en passant par les body guards. La grande décarrade !

Honnissoit est déjà au téléphone pour lancer la chasse à courre. Le départ des vilains ayant été précipité (en fait, il ne s’agit pas d’un « départ », mais d’une « fuite »), nous n’avons aucun mal à trouver dans le bureau de Tabriz, des pièces plus ou moins d’identité le concernant et qui vont charpenter les recherches.

Jérémie et ma pomme établissons un signalement très « construit » des « auxiliaires ».

— Nous allons les retrouver, monsieur le directeur, je vous le garantis. Ils ont trop peu d’avance pour nous filer entre les doigts !

— Touche du bois ! grogne le Somptueux ; et n’en attendant, trouve-moive une salopette ou une blouse, qu’ je pussasse rentrer m’ changer. Dis voir, Sana, bien entendu, j’ai l’ droit d’ faire une note de frais pour mes harnais cramés ?

— C’est évident.

Il en craque une louise de contentement et assure :

— Pour remplacer, j’ai idée d’ m’offrir un costar pied-d’-coq dont j’ai vu en vitrine boul’vard d’ Sébastopol. L’ rider style milord, chicos en plein.

Berthe m’ f’sait r’marquer qu’ je me linge trop sombre, alors que les hardes très claires me met en valeur. Là j’ vais en jeter comm’ un malade !

Il rit aux anges, puis, désignant le blessé, à ses pieds, il déclare :

— V’là Auvrecond qui sort du sirop. Ça va, bout d’homme ? Fais-toi pas d’ souci pour ce satanage ; les plaies à la tronche, quand on n’en meurt pas, on en guérit toujours !