— Vous comprenez, ajoute le Pimpant, é n’ pouvait plus avoir s’l’ment l’ goût d’ la merde vu qu’ c’en était carrément. Trop, c’est tout moche, comme dit les Anglais !
Et de balancer, en manière de preuve de ses dires, un rot qui, sous couvert de l’anis, exhale de rares putricités.
Là-dessus, nous sommes appelés et donc élus.
Pinuche nous a offert des « business » et la petite Pontamousson n’a obtenu qu’une touriste de son journal. Je demande à Bérurier d’échanger sa place contre celle de Marie-Laure. Il rechigne, puis transige : il prendra d’abord son repas dans notre classe, beaucoup plus élaboré que celui des touristes, ensuite il ira cuver en queue d’avion. Mais le sort en décide autrement. Ma présence à bord étant connue, le chef steward vient m’annoncer qu’on me propose une place vacante en first.
Je remercie chaudement et délègue ce privilège à Bérurier qui, du coup, irradie de bonheur.
Vol faisant, nous nous livrons, ma gentille journaleuse et moi, à une récapitulation minutieuse de cette époustouflante affaire. Avant notre départ, le complice de Tabriz qui était repéré a été interpellé sans dommage, c’est le Gros que nous avons chargé de démarrer l’interrogatoire. Alexandre-Benoît s’est montré flatté de cette marque de confiance. Il a enfilé une moufle droite (afin d’éviter d’éventuelles « bavures ») et a administré quarante-deux gifles au bédouin avant que lui soit posée la première question. Ce profond psychologue a en effet remarqué, au long de sa vie professionnelle, qu’un prévenu avait le moral vite sapé quand on le frappait sans le moindre préambule en observant un mutisme absolu. Aux premiers horions, il proteste ; aux suivants, il implore des explications et, aux derniers, se contente d’émettre des cris inarticulés. Alors Béru interrompt la séance, se fait apporter un sandwich et un pot de beaujolpif. Il consomme les deux, libère quelques incongruités inhérentes, tombe la veste, remet sa moufle et reprend la séance.
Une nouvelle salve de vingt-quatre mandales est programmée. Toujours dans un silence de crypte.
Le visage du Mastard confine au sublime dans ces cas d’exception. Tu sais que, quelque part, il reflète la complète sérénité de la Joconde ?
Il y a quelque chose de religieux dans ses traits boursouflés. C’est ce qui impressionne le plus son « client ». Cette certitude d’accomplir une mission sacrée. Ce dépouillement de tout sentiment, charitable ou cruel. Il n’est plus que volonté radieuse, certitude d’obtenir la finalité souhaitée. Irrévocable, tu comprends ? Et dans ce cas, il a une sorte de droit sacré à la vengeance, puisque l’individu l’avait condamné à mourir par les rats dans la putricité obscure du cachot. N’a-t-il pas au mollet une blessure suppurante causée par les dents d’un des immondes rongeurs ?
Pour la seconde fois, il pose la moufle, pète un grand coup sonore, joyeux comme un chant de coq à l’aube, va à sa « victime » et demande :
— Prêt pour les réponses ?
Si le mec ne répond pas, ou qu’il hésite, le Dodu remet son gant de travail et poursuit sa claquerie feutrée. Elle ne marque pas tout de suite, mais à la longue, tu constates que la gogne du gazier a enflé et s’est colorée sans comporter d’ecchymoses ; que ses yeux sont troubles avec l’air indélébilement pensif du bovin qui n’a jamais pensé.
Ce prolongement de l’épreuve a vite raison du coriace. Estourbi, la cervelle en porte-à-faux, les portugaises vibrantes, il a bientôt un geste des deux mains pour demander grâce.
Dès lors, le Mastard décroche le biniou et dit à Honnissoit :
« — Commissaire, tu pourrais-t-il v’nir me remplacecer pour l’interrogatoire, si tu voudrais bien ? »
Ange se la radine alors, innocent.
« — Où en êtes-vous ? »
Et le Maffu, paterne :
« — Môssieur voudrerait soulager sa conscience en f’sant un lessivage complet. J’ reste à promiscuité, des fois qu’il nous f’rait des absences d’ mémoire. »
L’homme en question, un sujet syrien du nom de Kaarâ Melmouh a bonni ce qu’il savait : que Tabriz était un agent de l’Irak, ami personnel de Saddam Hussein, qui, depuis Paris, servait de plaque tournante à différents pays musulmans pour des transactions occultes. Dans son « Palais du Tapis », certaines personnes gênantes étaient « liquidées », du matériel « top secret » partait à l’étranger à l’intérieur de certains tapis « conçus pour ». Bref, l’homme régnait sur une partie des Services secrets irakiens, syriens et palestiniens. Kaarâ Melmouh n’était pas dans les confidences du « patron », pourtant, ses fonctions d’équarrisseur et d’homme de main lui permettaient de découvrir pas mal de choses. Ainsi, il était au courant des tractations en cours avec le couple Hans Scheunburger-Elsa Braker ; il savait qu’elles étaient plus qu’épineuses car les deux Allemands avaient les Services israéliens aux trousses. C’est à cause de ceux-ci qu’ils ont dû abandonner le fusil dans l’apparte du colonel Lemercier. Ils sont repartis de l’immeuble en passant par les combles, « les autres » ayant investi le rez-de-chaussée. Par contre, il ignore tout de leurs démêlés avec Antonin Pétsek et les Masturbeaux. De même, il n’a pas la moindre idée de ce qu’Elsa est allée récupérer chez les voisins de l’officier.
On papote de tout cela, Marie-Laure et moi, pendant que Pinuche en écrase dans le troisième fauteuil. La bouffe est terminée, le film aussi (un naveton sud-amerloque dans lequel les actrices ressemblent à des putes de la rue Saint-Martin et les acteurs à des nervis montmartrois de l’époque Lapin à Gil). Les loupiotes sont en veilleuse. C’est le moment des respirations nocturnes, des vilaines petites odeurs lâchées en loucedé dans des calbars plus très clean.
Le bruit sifflant et monotone (fasse Dieu qu’il continue !) des réacteurs berce les franchisseurs d’océan. Depuis l’escale de Dakar, notre navire volant semble se dissoudre dans le ciel étoilé. Quelques insomniaques s’obstinent à écouter de la musique transmise par casque. Une vieille asthmatique grommeluche de la gargane en se vaporisant des pharmachieries dans la clape.
Et nous deux, la petite chérie, on est blottis, ma main caressant le couvercle de sa petite culotte, là où les poiluchards font doucement ressort ; que, temps en temps, mon médius fourvoie sous l’étroite étoffe pour s’engager dans des humidités fabuleuses. J’adore ces douces caresses à dix mille mètres ! Dans la pénombre collective. Un baiser « bu » à la sauvette, sur le zinc des lèvres. Ensorcellerie des ondes qui se mêlent, douce tiédeur d’un visage jeune, pas complètement dégagé de l’enfance. Ah ! merci la vie ! Voilà qui compense tes merderies infâmes, tes sales niqueries, arnaques salopes, trahisons, coups et blessures pouvant entraîner l’amor.
Je quitte un peu sa chatte pour ses seins, modestes mais fermes. Prends tes belles années, chérie, ne les laisse pas moisir sur un compte épargne où elles se dévalueraient plus vite que tes jours. Profite, profite ; dis merci à Dieu et murmure-Lui « encore », ce mot qui va avec « merci », mais qu’il ne faut jamais prononcer le premier.
Sur le coup du petit matin, il y a un incident. L’hôtesse-cheftaine vient de découvrir qu’un passager a chié dans le conteneur du petit déje. Un passager des first ! Et il était bourré au point de se gourer de lourde ! Or, à la connaissance de cette vaillante employée de la Varig, seul le gros type qui s’est éclusé trois whiskies, deux bouteilles de blanc, trois de rouge, une rouille de Moët et Chantons, quatre poires Vilaine-Mine et un nombre inchiffré de bières s’est trouvé dans l’état d’ivresse nécessaire à l’exécution d’un pareil forfait. Elle interpelle Bérurier qui, d’ailleurs, pue sa culpabilité. Il vagit des imprécations, comme quoi il veut dormir et que si la porte des tartisses avait été indiquée en français, il n’aurait pas eu à s’hisser le fion jusqu’au tiroir du haut, se coupant la peau roustonne, pour se séparer de son colombin de l’aube.