— Bravo ! Messire, comme avec tous les simples d’esprit, la fortune t’arrive en dormant !
— C’ t’ un don, convient notre ami.
J’ordonne l’action et, déjà, me dirige vers la demeure number five quand Marie-Laure intervient :
— Attendez ! J’ai une idée.
Comme jusque-là elle en a toujours eu d’excellentes, je m’arrête pour lui accorder l’oreille attentive qu’elle mérite.
— Vous allez pénétrer dans cette maison et vous y ferez quoi ?
— Ce qu’il faut, éludé-je-t-il.
— C’est-à-dire questionner le dénommé Rauch qui sera illico sur ses gardes et se taira ? Je doute que M. Bérurier puisse utiliser la manière forte dans ce quartier résidentiel d’un pays étranger.
Te dire que je l’approuve en secret serait gâcher du papier.
— Sans doute, admets-je, mais nous n’avons pas d’autres façons de procéder.
— Si !
— Laquelle ?
— Je me rends seule auprès du bonhomme, je prétends être une auxiliaire d’Elsa Braker qui devait la rejoindre ici ; je feins d’ignorer le crash de son avion et je vois venir. Je sais suffisamment de choses sur cette affaire pour assurer une prestation honorable, fie-toi à moi.
Lumineux ! m’exalté-je en l’entendant développer son plan. Voilà qui est chiément pensé, mais qui peut tourner à la cata. Cela s’appelle « se jeter dans la gueule du loup ».
— Vous rendez-vous compte du risque énorme que vous courez, Marie-Laure ?
Elle fouille son réticule pour en extraire sa carte de presse.
— Gardez-la-moi, c’est le seul document qui pourrait se montrer compromettant, et encore, je peux très bien avoir cette carte comme couverture ! En quittant l’aéroport, j’ai remarqué un grand hôtel appelé Brasilia Palace, allez vous installer là-bas et attendez de mes nouvelles !
Bérurier a ses paupières, en forme de bénitiers, emplies de larmes.
— Tu m’ permets d’ t’embrasser, Mouch’ron ?
Elle sourit.
— Bien sûr, Tonton.
L’accolade donnée, le Gros murmure :
— Elle a plus de couilles qu’ bien des mecs, c’te perruche ; tu sais qui est-ce ell’ m’ rappelle, Tonio ?
— Oui, dis-je, je sais.
CHAPITRE XXI
MYCOLOGIE : Étude scientifique des champignons.
Nous prîmes une suite pour les trois afin de rester groupés. Comme je ne voulais pas m’éloigner du téléphone, je décidai de faire monter le repas dans l’appartement.
Bérurier objecta qu’il était inutile de demeurer à trois devant un combiné. Il n’y avait rien à redire. Ces choses-là sont affaire de bienélevance : tu les sens ou tu ne les sens pas. Comme il ne les « sentait pas » (mais il a d’autres qualités), je le laissis sortir et invita Pinaud à le suivre. Étant gentleman, il déclinit. Je le pris à part et insista pour qu’il accompagnît le Mammouth, prétendant que je serais plus tranquille de ne pas le lâcher seul dans cette ville du bout du monde. L’argument eut raison de ses louables réticences et ils partirent.
Je me fis monter une tortilla et de la bière, me mis en slip sous le filet d’air conditionné, insuffisant pour conjurer la tropicalité de l’endroit, et mangis sans appétit en visionnant un feuilleton brésilien aussi mauvais que ceux qu’on nous propose en France.
Je m’endormas, en même temps que le crépuscule, dans un fauteuil à bascule qui vous coince les pinceaux quand on se balance si l’on n’y prend garde.
Mes péones rentrèrent à une heure du matin, avec deux bitures et une pute. Les trois étaient aussi grosses les unes que l’autre.
L’homme Pinuche s’écroula en travers du canapé. Sur les instances de Bérurier, la pute entreprit de le sucer, mais son pénis, déjà d’un âge, se montra aussi insensible à cette fellation professionnelle que le président Mitterrand à une carte de vœux de Charles Pasqua.
Au bout d’un temps assez long, preuve du stoïcisme de la donzelle, Béru lui enjoignit de couper les circuits d’induction pour se consacrer à sa propre personne.
Lorsqu’il dégagea son braque géant de ses guenilles, j’assistis à la scène, toujours renouvelée, de l’effarement d’une femme se trouvant brusquement nez à nœud avec le chibre du siècle.
La personne pute qui se prénommait Maria-Colomba récria que, malgré son expérience et le nombre incalculable de mandrins qu’elle avait encaissés dans sa malle arrière, jamais elle ne saurait héberger un obusier d’un tel diamètre. Le Gros, par gestes éloquents, s’employa à la rassurer et à plaider l’extensibilité d’un frifri habitué à fonctionner. Mais l’effroi de la donzelle grimpait au fur et à mesure qu’elle palpait le goumi du maestro. On crut que toute transaction allait s’arrêter là, quand elle démontra qu’elle ne pouvait emboucher une pareille trompette, sans s’éclater les commissures des lèvres. Le Mastard, quand il est pété à outrance, ne cède à aucun argument. Dès lors la conversation gestuelle s’envenima. La péripatétipute s’enflamma et partit dans des injures dont la véhémence compensait l’absence de traduction. Au bout de peu, Alexandre-Benoît sortit de sa réserve, comme un Indien qui va acheter ses croissants du matin, et mit un taquet d’un quintal au menton de Maria-Colomba. Elle eut le regard en tissu écossais et partit à la renverse sur le lit où avait lieu la discussion.
Sa Majesté, en impossession de ses facultés, crut qu’elle lui cédait. Il débarrassa la grosse pétasse de sa culotte, laquelle devint une sorte d’enveloppe de ballon dirigeable dégonflé, emprunta l’huile figée de ma tortilla, l’utilisa pour s’oindre le panais et entreprit la visite du château. Certes, ce ne fut pas aisé et il dut marquer bien des temps morts, mais on n’escalade pas l’Éverest d’une traite.
Son opiniâtreté fut récompensée et, soudain, ce monstre préhistorique poussa un cri de triomphe et se mit à investir les lieux à coups de reins guillerets, en récent acquéreur qui fait le tour du propriétaire. Quand la dame pute se remit de son k.-o., ce fut pour glousser d’aise et enfoncer ses ongles violets, longs de cinq centimètres dans le dargeot d’Alexandre-Benoît, gros comme le ballon de Guebwiller (1424 m).
La chose se mua rapidement en coït. Les deux protagonistes émirent, à tour de rôle d’abord, puis de concert, des bramées de forêts scandinaves, des barrissements de savanes africaines, des inarticulances d’hôtels de passes parisiens. Le rut est toujours noble, n’importe ceux qui en bénéficient, et le cri de jouissance d’une intellectuelle ne prend pas le pas sur le panard d’une servante d’auberge. Crier l’amour est le plus noble des chants. Aucune « Vibrante Marseillaise », nul « Grand Air de Lakmé » ne produit des sons comparables à ceux qu’exhalent des amants en train de dégorger leurs glandes australes.
La sonnerie du téléphone, selon mon estimation, dut correspondre au lâcher de ballons du Gros !
Elle chuchote si bas que j’ai le plus grand mal à l’entendre.
Je me saisis du bloc téléphonique et vais m’enfermer dans le dressing « agaçant » (Béru dixit).
— Je t’écoute ?
— Je suis à la maison…
— Au 5 ?
— Oui, tout a bien fonctionné, il m’a crue dur comme fer. C’est un homme qui s’ennuie.
— Où est-il ?
— Dans sa chambre, il dort.
— C’est quel genre ?
— Bande à Bader, recherché par toutes les polices du monde : un vrai dur ! Il ne devait pas avoir d’autres endroits où se terrer.
Un flash m’arrive, étourdissant de promptitude :
— Il t’a baisée ?
— Oui.