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Bien que chargé à son maxi, l’hélico fonce au-dessus des arbres serrés. C’est superbe, une forêt, mais je préfère celle de Fontainebleau. Ici, elle terrorise, et encore on ne fait que la survoler. Je suis certain que si je me déplaçais entre les fûts, les lianes, les plantes follement exubérantes, je deviendrais tout de suite claustro.

On navigue une vingtaine de minutes au-dessus de la mer végétale. Le soleil paraît immense. Il est à la gauche de l’appareil, quand tu sors de la gare de Saint-André-le-Ga. Bien dans sa peau ! Un œuf sur plat commis par une poule pas atrophiée de la bagouze.

— Bon, soupiré-je, je crois que ça peut aller.

Ça peut, car, avec un doigté de pitre-poker (dit Béru pour pickpocket), j’ai subtilisé le revolver que Rauch porte sur le bassin, dans un holster, et cisaillé de mon canif à la lame plus tranchante que la voix d’Alfred Rocard, sa ceinture de sécurité. Ensuite de quoi, toujours en artiste, j’ai déverrouillé la porte de son côté.

— Do you spique-t-il français ? lui demande l’Homme au Gros Moignon qui, jusqu’alors, n’a pas moufté.

— Oui, pourquoi ? demande le méchant.

— Bicot on a à causer. Mon pote, ici derrière, va vous poser des questions dont auxquelles il faudra qu’ vous répondassiez.

Rauch, c’est le genre de super-aventurier toujours sur le qui-vive. En un éclair, il pige que ça ne carbure plus et porte la main à son composteur.

— Ne cherchez pas, fais-je en lui appuyant le canon sur la nuque, c’est moi qui l’ai. Paré ? demandé-je au Gros.

— Pratiqu’ment, mec !

Il glisse sa main dans le dos de Friedrich Rauch et saisit sa ceinture de cuir.

— Ça joue ! annonce-t-il.

On est vach’tement synchrones, le Big et moi. D’une secousse, je fais coulisser la porte et Bérurier flanque une grosse bourrade de cul à son voisin. Surpris, l’autre est soudain déséquilibré et le voici dans le vide, mais maintenu par la poigne de fer d’Alexandre-Benoît. Bien que dur à cuire, il gueule au charron, le charognard. D’autant plus qu’il souffre du vertige. Alors tu penses : suspendu dans le vide, à quatre cents mètres d’altitude avec, pour ultime « sécurité », une main de catcheur dans la culotte d’un zouave, c’est pas le panard !

Surpris, bien que je l’eusse averti qu’il y aurait probablement des attractions en vol, le Requin prévient, placide :

— Je crois qu’il n’a pas de parachute, les gars.

— Vous inquiétez pas, Light, c’est juste pour lui faire respirer le grand air.

— Oh ! Alors, si c’est pour un traitement, soupire le Ricain, flegmatique, en continuant de piloter.

Je me penche au-dessus de Rauch. L’air, déjà frais à cette altitude, me fouette le visage.

Comme il continue de brailler, je lui crie :

— Fermez votre putain de gueule, Rauch ! J’ai une question à vous poser : une seule pour le moment, plus tard on verra… Vous me répondez, et si ce que vous dites me convient, mon collaborateur vous ramène sur votre tabouret. Sinon, on prolonge l’expérience. D’accord ?

Il hurle un « Oui » comme je n’en ai jamais entendu. Un « Ouiiiiiiiiiii » plein de trouille, de sanglots, de colère, de gnagna, tout ça…

— Vous montez cette expédition pour retrouver ce qu’Elsa Braker vous apportait. C’est une action insensée, à la désespérée, dirais-je ; pour oser l’entreprendre, il faut que l’enjeu soit d’importance. De quoi s’agit-il ?

— D’un fusil lanceur d’ondes mortelles ! répond-il. Remontez-moi !

L’Antonio, sais-tu pourquoi il est irremplaçable ? Lapalissade : parce qu’il n’y en a qu’un ! Je te prends cette occurrence : la réponse est plausible. Et moi, tu sais ce que je t’objecte, mec ? Elle l’est trop ! Trop plausible ! Il a lâché le morcif avec une promptitude qui ne me dit rien qui vaille.

— Rauch ! je lui balance, en mettant mes paluches en cornet. Vous avez droit à une dernière réponse. Si elle est aussi bidon que la première, vous allez goûter aux joies du parachutisme sans parachute ! J’attends.

Alors, il est vaincu. Il a eu le courage, dans sa position catastrophique, de placer un baroud d’honneur en mentant, à présent, c’est l’escalade finale.

— Ça concerne un plan d’attaque éclair contre Israël par une coalition de plusieurs pays arabes.

— Pourquoi vous l’apportait-on à vous qui vous terrez en pleine Amazonie ?

— Remontez-moi, je vous donnerai tous les détails. Vous l’avez promis !

— Exact, lui lancé-je. Remonte-le, Gros.

— Gigot ! gronde le Surpuissant, mais faudra qu’ tu vas m’aider à l’ maintiend’ su’ son siège pendant qu’ j’ lu rentrererai les guiboles ; av’c sa pattoune naze, y n’ pourra pas « s’aider » tout seul. Oh, merde !

— Qu’y a-t-il ? m’enquiers-je, car ses cent dix kilogrammes obstruent toute l’ouverture.

— Ça ! fait-il. V’là ce qu’y a !

Il se retourne, soudain libéré, brandissant la ceinture de cuir fauve de Rauch, dont la boucle de laiton a cédé sous le poids de son maître. Je regarde par la vitre. Au-dessous, Friedrich choit en tournoyant, essayant de nager dans l’espace, parvenant à s’y déplacer, ce qui doit, quelque part, lui donner de l’espoir ; mais t’es au courant de l’attraction terrestre, hein ? Plus dure sera la chute ! L’hélico poursuivant sa marche, la fin de la trajectoire m’échappe.

Béru, pensif, se remet en posture de voyageur.

— Et Rauch ? demande le Requin.

— Il a raté une marche, répond Béru.

Marie-Laure se refuse à comprendre. Elle est livide, ses lèvres instantanément retroussées semblent être en cuir.

Elle ne peut que balbutier, en agitant la tête :

— Qu’est-ce qu’il y a ? Hein ? Qu’est-ce qu’il y a ?

— Tu es veuve ! lui dis-je avec pas mal de cynisme, je le reconnais.

Ah ! la jalousie, ce chancre de l’âme !

Light consulte son altimètre.

— Cent vingt pieds ! annonce-t-il. Avec l’épaisseur des frondaisons, il n’est pas certain qu’il soit mort.

— Il faut descendre ! dis-je.

Il a un ricanement que tu croirais Méphisto en train de faire l’S, dans Faust.

— Alors là, flic, vous me demandez l’impossible. Sur des kilomètres carrés, il est impossible de trouver un coin de la surface d’un billard pour poser.

Il puise des dragées de chewing-gum à la menthe dans une poche de son blouson et entreprend de ruminer, ce qui a toujours été l’occupation principale des vaches et des Américains.

Il y a des jours avec, et des jours sans.

Et puis des jours où la chance et la malchance font du porte-à-porte de concert, si bien que c’est tantôt l’une et tantôt l’autre qui se présentent.

Après ce sombre coup de buis du valdingue de Rauch, voilà l’embellie qui carillonne à la lourde de notre destin. Une plombe et demie de vol, et tout à coup, le pilote joue le mousse de Christophe Colombo. Le môme de la caravelle gueulait « Terre ! Terre ! ». Le Requin, lui, se contente de déclarer, très sobre :

— Là-bas : droit devant !

Leurs calculs, aux deux durs, c’était pas la grotte de Bic ! Un spectacle étonnant comme une peinture de Roland Cat ! Dans la sylve cathédralesque, une trouée noire. Érigée dans ladite, un monument d’aluminium argenté, très haut et portant les couleurs de la Varig !

L’hélico fonce vers l’endroit, comme un moustique vers le cul d’une rombière qui fait dorer sa cellulite.

On survole, on tourne autour. On avise des sièges d’avion disloqués, des bagages dispersés, des vêtements accrochés aux arbres.