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Je lui souris :

— L’homme étant imbu de lui-même, je m’imaginais que je la devais à mes seuls mérites, monsieur le ministre. Mais si elle vous semble injustifiée, je tiens ma démission à votre proposition.

Il hoche son groin pour « Guignol’s de Canal + ».

— Ne prenez pas la mouche, mon cher ; vous le savez, j’ai mon franc-parler.

— Qui donc l’ignorerait, monsieur le ministre ?

Il branle sa forte tête et une expression ricaneuse éclaire d’une fausse joie son lourd visage de bûcheron de la politique.

— Le président de la République aurait des faiblesses pour vous, crois-je savoir ?

— Tous les monarques ont de l’indulgence pour les bouffons.

— Parce que vous en êtes un ?

— Disons que ma désinvolture peut le faire croire.

— Môssieur San-Antonio, savez-vous que vous n’êtes pas à votre place, actuellement ?

— Je me le dis parfois, conviens-je.

— Et savez-vous pourquoi ? Parce que vos mérites dont vous venez de parler sont trop grands. Vous êtes un homme d’action, mon cher, et vous le prouvez abondamment ; un héros moderne, sans cesse en train de guerroyer, et dont le cul n’est pas à sa place dans un fauteuil pivotant. Bayard n’aurait pas pu être Richelieu, ni Richelieu Bayard !

— Conclusion, je démissionne ?

— Conclusion, je vous décharge de vos actuelles fonctions pour vous en confier d’autres qui conviendront bien mieux à votre tempérament.

— Intéressant. Et de quoi s’agit-il, monsieur le ministre ?

— De fonder un corps de police d’élite.

— Parallèle ? Comme l’était le S.A.C. ? réagis-je. Une section spéciale placée sous votre contrôle et qui fonctionnerait avec des fonds secrets ? Une légion romaine prête à toutes les actions occultes ? Non, merci, monsieur le ministre !

— Ce que vous êtes soupe au lait, monsieur San-Antonio ! Et comme vous avez une piètre opinion de moi. Il n’y a rien de secret dans mon projet, rien de « parallèle » comme vous le dites et je vous fous mon billet qu’il aura l’approbation de votre cher président.

— Mon président est également le vôtre, monsieur le ministre.

— Mais oui, mais oui, mais bien sûr. Ce que je veux fonder c’est une vaste brigade que vous dirigeriez. Elle ne s’occuperait que des « cas » particuliers, du genre de celui que vous venez de régler. Elle échapperait à la pesanteur administrative, jouirait de prérogatives particulières. L’époque est terriblement dangereuse, monsieur San-Antonio, elle a besoin d’une force de frappe capable d’intervenir vite sans se perdre dans les « boutiqueries » habituelles. Vous êtes l’homme d’une telle réalisation.

— Il faut que je réfléchisse.

— Naturellement. Prenez tout votre temps et donnez-moi votre réponse ce soir ; au cours d’un dîner discret dans un endroit qui le sera aussi.

Diable de bonhomme. Il y a en lui une détermination, une volonté sans compromis que je reconnais.

— D’accord.

— Parfait : on ne va pas se livrer à une lutte de bras de fer pour vous faire accepter la chose dont vous avez toujours rêvé en secret, mon cher ami.

Il éclate d’un rire de marchand de bestiaux venant d’acheter à bas prix tous les bourrins de la garde républicaine.

— Donnez-moi un conseil, mon bon ; qui prendre pour vous succéder ?

— Celui qui m’a précédé, monsieur le ministre ; il était idéal pour tenir ce poste.

— Mais il est à la retraite !

— Il ne demande probablement qu’à rempiler.

— Il est vieux ! objecte encore le ministre.

Je hausse les épaules :

— Sans doute, mais il ne demande qu’à rajeunir !

FIN