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Les épaules collées au mur, Galya se campa fermement sur ses pieds. « Je ne veux pas.

— Viens ici, dit Rasa. Tout de suite. »

Galya s’approcha du lit et s’assit, se tenant à un bon mètre de l’autre femme. Elle garda les yeux baissés.

« Tu es vierge ? » interrogea Rasa.

Galya rougit.

« Tu es vierge, oui ou non ? »

Galya se mordit la lèvre.

« Réponds-moi, dit Rasa.

— Non.

— Un seul homme ? »

Galya se tourna vers le mur.

« Deux ? Plus ?

— Deux, répondit Galya, tout en se demandant pourquoi elle disait la vérité. Un garçon du village… On était très jeunes. Dans un champ près de la maison de Mama. Ça a été tellement rapide, il avait à peine commencé que c’était fini, et après, il est parti en courant. Il ne m’a plus jamais parlé. Je n’ai pas dormi pendant deux semaines. Jusqu’à ce que le sang vienne. »

Rasa se radoucit, sa voix se fit indulgente. « Et le deuxième ?

— Aleksander », dit Galya en la regardant droit dans les yeux. Si Rasa reconnaissait le nom, elle n’en laissa rien paraître. « À Kiev. Le soir avant de prendre l’avion pour Vilnius. Il m’a dit que j’habiterais avec une famille de Russes très gentils à Dublin, que je m’occuperais de leurs enfants, et…

— Et quoi ? »

Galya faillit ajouter qu’elle leur apprendrait l’anglais, c’était ce qu’Aleksander lui avait dit dans la voiture, pendant qu’ils parcouraient les nombreux kilomètres qui séparaient son village, près de la frontière russe, de la capitale de l’Ukraine. Aleksander lui avait parlé de la vie qu’elle aurait, des endroits qu’elle verrait, de l’argent qu’elle gagnerait et enverrait à son petit frère Maksim pour qu’il puisse rembourser les dettes de Mama.

Dans la chambre d’hôtel de Kiev, tout en lui décrivant l’existence qui l’attendait, Aleksander la prit dans ses bras. Galya n’avait jamais vu un tel luxe, des tapis aussi épais, des draps de soie, et tant de mets appétissants sur la table qu’elle ne pourrait jamais en venir à bout. Elle aurait tout cela, dit-il en cherchant sa bouche, en pressant ses hanches contre elle. Et elle succomba, malgré ce que devait penser Mama en la regardant du haut du Ciel, parce que, mon Dieu, comme elle était reconnaissante ! Aleksander était si beau, grand, avec des yeux sombres et de longs cils, et Galya avait besoin de toucher quelque chose de beau, juste une fois dans sa vie.

Son orgasme avait explosé comme du verre, la laissant vide et creuse, à l’image de ces mannequins qu’elle avait vus dans les vitrines du centre commercial de Metrograd. Pendant une minute, ou peut-être seulement quelques secondes, elle s’était crue amoureuse. Mais ce sentiment l’avait désertée, chassé de sa poitrine quand Aleksander lui tendit un passeport lituanien avec la photo d’une fille qui ressemblait juste assez à Galya Petrova pour qu’un œil distrait s’en contente.

Elle monta seule dans l’avion, serrant le passeport dans sa main, le cœur frémissant de joie et de peur. Tous ses nerfs pétillaient d’excitation. C’était son premier vol, et elle retint son souffle quand elle se sentit poussée en arrière contre le dossier de son siège par la vitesse de l’appareil. Au moment où les roues quittèrent le sol, elle pria pour que Dieu la dépose saine et sauve à Vilnius.

Elle regarda autour d’elle les visages des autres passagers, riant avec leurs compagnons, ou bien immobiles et silencieux. Dans tous les yeux, elle vit la même prière.

Tout le monde croit en Dieu au décollage, pensa-t-elle.

Qui aurait le courage de prendre l’avion, sinon ?

* * *

« Tu devais t’occuper de leurs enfants, et quoi d’autre ? demanda Rasa.

— Jouer avec eux, dit Galya.

— Et maintenant, tu es ici, à Belfast. Alors, qu’est-ce que tu vas faire ? »

Galya se tordit les doigts sans répondre.

« Cet Aleksander t’a menti et tu as atterri dans une ferme où tu devais travailler comme une esclave. Tu étais sale quand je t’ai trouvée, tu sentais plus mauvais qu’un vieux cheval. Maintenant, regarde les jolis habits que je t’ai achetés. Et puis tu pourras gagner de l’argent, une fois que tu m’auras remboursée.

— Remboursée ?

— L’agence qui t’a recrutée… J’ai dû payer une somme rondelette pour qu’on te laisse partir de cette ferme. Comment vas-tu me rembourser ?

— Je n’ai pas demandé…

— Je me fiche de ce que tu as demandé, l’interrompit Rasa, durcissant à nouveau la voix. Je t’ai sortie de là. Ça m’a coûté un paquet d’argent et tu me le dois. Il te suffit juste de faire plaisir aux clients. C’est si pénible que ça ? Souris-leur, sois jolie et obéissante. »

Rasa se rapprocha de Galya, tendit une main pour écarter les cheveux de son visage. « Tu es très jolie, tu sais. »

Galya se mordilla nerveusement un ongle.

« Comme une poupée, dit Rasa. C’est tout ce que tu as à faire. Sourire, être jolie et obéissante. »

Galya tourna les yeux vers elle. « Et si je dis non ? »

Rasa sourit tristement. « Alors le client ne sera pas content, dit-elle en articulant lentement, dans un russe coloré par son accent lituanien. Et les hommes qui t’ont donné cette chambre et ce toit sur ta tête, ils ne seront pas contents non plus. Tu ne veux pas avoir l’air d’une ingrate, hein ? Ils vont croire que tu fais la difficile et ils seront fâchés. Ils ont besoin de l’argent pour payer ton loyer. Tu ne veux pas qu’ils soient en colère, n’est-ce pas ?

— Non, dit Galya, d’une voix si peu audible qu’elle-même l’entendit à peine.

— C’est bien, tu vas être gentille », dit Rasa. Elle se pencha pour déposer un baiser sec sur la joue de Galya. « Obéis, et tout ira bien. Je te le promets. »

Galya avait donc enlevé le pantalon de jogging gris et les sous-vêtements anodins qu’on lui avait donnés quelques jours auparavant, puis enfilé la dentelle et les chaussures sur lesquelles elle pouvait à peine tenir debout. Elle était restée assise là pendant une heure avec la chair de poule, attendant que le client arrive. Les semaines qui s’étaient écoulées depuis qu’elle avait pris l’avion de Kiev à Vilnius, puis de Vilnius à Bruxelles, puis de Bruxelles à Dublin, tout se brouillait et ne formait plus qu’un amas de journées longues et pénibles, travailler, dormir, dormir, travailler, dans le froid et l’humidité, toujours sale, toujours fatiguée, regrettant douloureusement à chaque instant le pays qu’elle avait quitté.

À présent, elle était assise dans une chambre avec un lit moelleux, froid mais au sec, et on lui demandait seulement de faire plaisir à un client. En serait-elle capable ? Peut-être, si elle réussissait à chasser Mama de son esprit.

Oui, peut-être qu’elle aurait pu se donner, sans cet homme bon qui était venu, avec la croix au bout d’une chaîne qu’il avait mise dans sa main et le numéro de téléphone écrit sur un morceau de papier. L’espoir qu’il lui avait insufflé s’était changé en courage dans son cœur, en sang sur ses mains.

« Appelle-moi », avait-il dit, avec un accent qui n’était pas celui de Belfast.

« Je peux te sauver », avait-il dit encore.

Et Galya l’avait cru.

12

Il reposa le téléphone sur la table, près du verre sur lequel perlaient des gouttes de condensation. Quand il appuya son doigt épais contre la surface mouillée, il sentit le froid sur sa peau calleuse.

Elle avait appelé plus tôt qu’il ne s’y attendait. Il était réveillé, ne réussissant pas à trouver le sommeil, et sirotait un panaché lait-citron. Moitié lait fermenté, moitié limonade. Il but une gorgée, tourna dans sa bouche le mélange sucré-acide, et avala.