Выбрать главу

Aujourd’hui, ils s’étaient surtout amusés, mais les choses se gâtèrent dès qu’ils entrèrent dans le bar près du Belfast City Hall, un endroit où ils buvaient souvent ensemble et flirtaient avec les serveuses lituaniennes. Ce soir, l’ambiance était différente. Il y avait plus d’hommes qu’à l’ordinaire, et quelques femmes seulement qui gloussaient au bras de leurs compagnons efféminés tandis que ceux-ci roucoulaient et se sifflaient les uns les autres.

Darius comprit aussitôt et essaya d’entraîner Tomas vers la sortie. Mais il fut impossible de le retenir, déjà il se frayait un chemin vers le bar à coups d’épaules. C’est seulement lorsqu’il parvint au comptoir, la main tendue pour payer, que Tomas prit conscience que quelque chose n’allait pas. Il s’immobilisa, fit un tour sur lui-même, les yeux écarquillés.

« C’est plein de pédés ici, déclara-t-il.

— Ah bon ? fit Darius, feignant la surprise. Alors, tirons-nous, avant qu’il n’y en ait un qui se mette à te draguer.

— Non, dit Tomas en lui repoussant brutalement la main. On est déjà venus ici, c’était nickel. Maintenant, y a plein de pédés. »

Darius passa son bras massif autour des frêles épaules de Tomas. « C’est une soirée spéciale pédés, et après ? Il y a des tas de bars qui font ça. On n’a qu’à aller ailleurs, OK ? Au Fly, tiens ! Pour mater les petites étudiantes… Suffit d’appeler Herkus, il nous y emmènera.

— Non, non, dit Tomas, échappant à l’accolade de Darius. Je vais pas me barrer à cause de pédés qui s’imaginent que tout leur appartient. C’est eux qui devraient se casser. Pas moi. C’est pas moi, le putain de pervers. Je suis pas un gogol, moi. »

Avant que Darius ne puisse l’en empêcher, Tomas saisit le bras d’un des hommes appuyés au comptoir, le fit pivoter et lui envoya un crochet du droit mal ajusté. Le coup glissa sur la lèvre inférieure, avec suffisamment d’impact pour faire couler le sang mais sans la force nécessaire pour causer de réels dégâts.

Tout autour, les homosexuels se mirent à crier.

« Putains de gogols ! » rugit Tomas en lituanien, bien que personne ne le comprenne parmi l’assemblée ahurie.

Darius referma sur lui ses gros bras et l’entraîna vers la porte. « Doucement, doucement », lui murmurait-il à l’oreille.

Dehors, dès qu’il eut tiré Tomas une rue plus loin, il appela Herkus.

« Putains de pédés », répétait Tomas en marchant dans le froid vif du soir. Les gens qui faisaient leurs courses de Noël descendaient du trottoir pour les éviter. « Ils se croient chez eux partout. C’est rien que des pervers. Des putains de pervers.

— T’as raison, acquiesça Darius. Des pervers. Bon, on tente le Fly ? Y a plein de filles, là-bas.

— Non », dit Tomas. Il marqua un arrêt. « Si on allait voir la pute que Rasa a ramenée du Sud ? »

C’est ainsi qu’ils s’étaient rendus à l’appartement, sur le flanc est de la ville. Darius et Sam attendirent en buvant, assis au salon, pendant que Tomas entrait dans la chambre et fermait la porte à clé.

Darius sentait un malaise tourner dans ses entrailles. Tomas risquait de se défouler sur la fille. Oh et puis, tant pis. Dans le pire des cas, si celle-ci était amochée au point de devenir invendable, il demanderait l’argent à Herkus pour rembourser les frères, et tout serait oublié.

En entendant Tomas élever la voix, Darius et Sam ne se formalisèrent pas. Il lui arrivait souvent de perdre les pédales avec ce qui touchait au sexe. Mais lorsqu’il se tut brusquement, ils échangèrent un regard embarrassé.

* * *

Herkus se massa les tempes du bout des doigts, cherchant à faire disparaître son mal de tête. Mais la douleur ne passait pas. Il songea un instant à prendre une autre vodka dans le minibar, ou peut-être un gin, mais préféra finalement s’abstenir.

« Elle leur a échappé, expliqua-t-il.

— Comment ? demanda Arturas.

— Ils étaient en train de se disputer. Et tout d’un coup, Darius s’est rendu compte qu’elle se taillait en courant. »

Arturas se leva. « Ils allaient jeter Tomas à l’eau.

— Faut croire », dit Herkus.

Il voyait la colère à peine contenue de son patron qui s’embrasait sous sa peau. « Ils se seraient débarrassés de lui comme d’un animal, reprit Arturas.

— Oui, patron. »

Arturas hocha la tête. « Tu les as tués, c’est bien. C’est mieux que ce qu’ils méritaient.

— Oui, patron.

— Maintenant, tu vas tuer la pute. »

Herkus s’humecta les lèvres et s’agita dans son fauteuil. « Comme je l’ai dit, patron, elle s’est enfuie. »

Arturas se pencha vers lui. « Tu la retrouves.

— Dans cette ville ? Elle peut se planquer n’importe où.

— Tu la retrouves.

— Évidemment, je vais la chercher, mais… »

Arturas fit tressauter Herkus en envoyant son poing dans l’appuie-tête du fauteuil. « Tu la retrouves ! »

Herkus se leva. « Oui, patron. »

Arturas recula d’un pas. « Parfait. Merci. »

Herkus gagna la porte, l’ouvrit, et sortit dans le couloir. Alors qu’il s’apprêtait à la refermer derrière lui, Arturas le rappela. « Herkus ? »

Il s’immobilisa. « Oui, patron ? »

Arturas désigna de nouveau ses narines rougies. « Rapporte- moi quelque chose, d’accord ? »

Herkus soupira. « Oui, patron. »

18

Galya regarda Billy Crawford poser un verre à bord haut devant elle sur la table en formica. Il le remplit à moitié avec quelque chose qui n’était pas tout à fait du lait, puis ajouta de la limonade.

« Un panaché lait-citron », dit-il. Il reprit le verre et le lui tendit.

Elle perçut l’odeur écœurante, douce et aigre de la boisson et détourna la tête.

Il rit. « On s’habitue », dit-il. Il but une longue gorgée et replaça le verre sur la table. Des gouttes blanches s’accrochaient à sa moustache. « Un café ? » demanda-t-il.

Galya acquiesça et resserra la couverture autour d’elle.

Il s’approcha du plan de travail près de l’évier et mit en marche la bouilloire électrique. Le café instantané qu’il sortit du placard ne semblait pas des plus frais, dans un bocal qu’on ne devait pas ouvrir souvent.

« Je ne sais pas de quand il date », dit-il, comme s’il lisait dans ses pensées. Il versa une cuillerée dans un mug. « Tu le prends comment ?

— Noir », répondit-elle.

La cuisine ressemblait à celle de Mama, au pays, avec des placards dont les portes coulissaient mal, du carrelage fissuré par terre, une vieille cuisinière dans le coin. Le réfrigérateur ronronnait, près d’un lave-linge à chargement par le dessus. Le papier mural aux fleurs d’un vert défraîchi se décollait dans les coins.

Galya observa Billy Crawford tandis qu’il s’affairait. C’était un homme de petite taille, pas plus grand qu’elle mais avec des épaules larges et un cou de taureau. Ses muscles saillaient, roulant sous sa chemise. Il avait des doigts courts et sans grâce, de la terre sous les ongles. Ses chaussures étaient de bonne qualité, quoique très usées.

Elle les détailla plus attentivement.

Ce n’étaient pas des chaussures, mais plutôt des brodequins de travail. À travers les voilages qui garnissaient les fenêtres, elle voyait la cour entourée de hauts murs dans laquelle était garée la camionnette. Elle discerna la forme d’une bétonnière sous une bâche saupoudrée de neige. Autour du rectangle de ciment s’entassaient des piles de briques, des sacs de sable et de gravier, des pelles, une pioche, et d’autres outils qu’elle ne reconnut pas.