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— Se débarrasser de lui », répondit le Lituanien.

Les yeux de Sam s’éclairèrent. « Quoi, on le balance quelque part ?

— On raconte à Arturas que ton frère vient ici, il emmène la fille et revient pas. Arturas demande où il est parti, et nous on dit, on sait pas.

— Il nous croira ? » demanda Sam.

Le Lituanien haussa les épaules. « On dit vraie chose, on est morts. Arturas ne croit pas, on est morts aussi. Quelle différence ? »

Sam indiqua du menton le coin de la pièce. « Et elle ?

— À ton avis ? » répliqua le Lituanien.

Sam le dévisagea en clignant bêtement des yeux.

« Va. » Le Lituanien fit un pas de côté. « Prends-lui stiklas.

— Je lui prends quoi ?

— Stiklas, stiklas. » Le Lituanien cherchait le mot. « Verre. Prends-lui verre. »

Sam s’approcha de la fille. Calme, les mains levées. « Doucement… T’énerve pas. »

Galya attaqua, manquant de peu son avant-bras.

« Merde ! » Sam battit en retraite.

Darius le poussa dans le dos. « Allez… Prends.

— Merde, lâche-moi. T’as qu’à lui prendre toi-même. »

Le Lituanien s’avança en jurant dans sa barbe. Galya agita son arme, mais il lui attrapa aisément le poignet, le tordit avec force, et le verre tomba par terre. Un bras épais s’enroula autour de sa gorge. Elle sentit une odeur de cuir et de lotion après-rasage quand elle prit une dernière inspiration, avant de plonger dans le noir.

Elle rêva des mains rugueuses de Mama, de pain chaud, et d’une époque où elle ne savait rien de Belfast à part les histoires terribles qu’on entendait parfois à la radio.

2

L’inspecteur Jack Lennon fut tiré de son sommeil par des cris stridents. Il s’assit brusquement sur le canapé. Avait-il dormi longtemps ? Non. Le film passait toujours à la télévision.

Encore un hurlement, et déjà il était debout. Cela faisait un peu plus d’une semaine qu’Ellen ne s’était pas réveillée en fuyant à grands cris les cauchemars qui hantaient ses nuits.

Aucun être humain ne devrait jamais voir les souffrances atroces dont la fille de Lennon avait été témoin. Il s’étonnait même qu’elle n’ait pas perdu la raison, admirant la force intérieure qui lui permettait de résister. Une ténacité héritée de sa mère, sans doute, laquelle était morte sous ses yeux. Il avait abandonné le corps de Marie McKenna aux flammes, dans cette maison près de Drogheda dont il était sorti en serrant Ellen inconsciente contre lui. Elle n’évoquait jamais ce qui s’était passé là-bas. Peut-être ne se rappelait-elle pas, ou, tout simplement, ne voulait pas en parler. Dans les deux cas, Lennon était soulagé. Il n’était pas sûr qu’il supporterait d’entendre le récit de ces événements dans la bouche de sa fille.

Lennon était tout à fait réveillé maintenant. Il gagna la chambre d’Ellen, ouvrit la porte, alluma la lumière. Blottie sous sa couette entortillée, la petite le regarda avec l’air de ne pas le reconnaître. Elle hurla encore.

Lennon s’agenouilla près du lit, posa une main sur sa joue. Il avait appris à ne pas la prendre dans ses bras quand elle se débattait avec ses terreurs nocturnes. Le choc de ce contact était trop violent pour elle.

« C’est moi, dit-il. Papa est là. Tout va bien. »

Ellen cligna des paupières, son visage se détendit. Il fut surpris, comme chaque fois, de voir qu’elle semblait plus âgée lorsqu’elle émergeait de ses cauchemars. Une fillette de sept ans, portant des siècles de douleur derrière ses yeux.

« Ce n’était qu’un rêve, dit Lennon. Tu n’as rien à craindre. »

Elle porta les doigts à sa gorge, délicatement, comme si la peau était sensible à cet endroit.

« De quoi as-tu rêvé ? » demanda Lennon.

Ellen fronça les sourcils et s’enfonça sous la couette qu’elle remonta pour ne plus laisser apparaître que le sommet de sa tête.

« Tu peux me raconter, dit Lennon. Peut-être que tu te sentiras mieux ensuite. »

Elle risqua un coup d’œil. « J’avais froid et j’étais mouillée. Et après, j’arrivais plus à respirer. J’étouffais.

— Comme quand on se noie ?

— Non… C’était quelque chose qui me serrait le cou. Et après il y avait une vieille dame. Elle voulait me parler, mais je me suis enfuie.

— Elle faisait peur ?

— Non…

— Alors pourquoi tu t’es enfuie ?

— Je sais pas, répondit Ellen.

— Tu crois que tu vas pouvoir te rendormir ?

— Je sais pas.

— Tu peux essayer ?

— D’accord. »

Lennon lui caressa les cheveux. « C’est bien », dit-il.

Il regarda les paupières de l’enfant qui se fermaient. Sa respiration s’apaisa. Elle remua un peu quand le téléphone sonna dans le salon. Il retint son souffle. Puis, voyant qu’elle ne bougeait plus et que le bruit ne l’avait pas réveillée, il alla répondre.

« Bernie McKenna à l’appareil », dit une voix dure.

Ils s’étaient parlé maintes fois depuis ces derniers mois, au téléphone ou face à face, mais Bernie continuait à se présenter avec une politesse convenue.

« Comment allez-vous ? » fit Lennon. La réponse à cette question ne l’intéressait que dans la mesure où elle lui permettrait de prévoir le tour que prendrait la conversation. Leurs entretiens se déroulaient rarement sans éclats.

« Bien, merci. » Elle ne s’enquit pas de la santé de Lennon. « Et Ellen ? demanda-t-elle seulement.

— Quoi, Ellen ? » Lennon regretta aussitôt l’hostilité qui perçait dans sa voix.

« Inutile de prendre ce ton-là », répliqua Bernie en hachant ses mots. Lennon l’imagina, lèvres pincées, au bout du fil. « C’est ma petite-nièce. J’ai parfaitement le droit d’avoir de ses nouvelles, alors que vous…

— Vous ne vous êtes pas souciée d’elle pendant six ans », coupa Lennon. Il fit la grimace, se préparant à ce qui allait suivre.

« Vous non plus », fut la réponse.

Lennon ravala sa colère. « Elle va bien. Elle est au lit.

— Elle rêve encore ?

— Oui, parfois. »

Bernie fit claquer sa langue pour marquer sa désapprobation. « Pauvre petiote. Elle avait des cernes sous les yeux la dernière fois que je l’ai vue.

— Il y a des nuits meilleures que d’autres, dit Lennon.

— Vous avez appelé le Dr Moran ?

— Mon médecin l’a inscrite sur la liste d’attente pour le pédopsy…

— Mais cela prendra des mois. Le Dr Moran peut la voir tout de suite. »

Anticipant ce qu’il allait devoir subir, Lennon ferma les yeux. « Je n’ai pas les moyens de consulter dans le privé.

— Moi si, dit Bernie. Michael ne nous a pas laissés démunis. Je peux lui offrir ce dont elle a besoin. »

Lennon savait par ouï-dire que la famille de Michael McKenna avait hérité d’une coquette fortune quand celui-ci était mort, assassiné d’une balle dans la tête un an auparavant. Sa sœur Bernie pouvait sûrement s’autoriser quelques largesses, mais il était furieusement déterminé à ne rien accepter.

« Je ne veux pas de l’argent de Michael McKenna, dit-il.

— Et pourquoi ? Où est le problème ?

— Je sais d’où il vient. »

Il l’entendit qui respirait avec force pour contenir sa colère, puis elle lâcha : « Je n’ai pas de leçons à recevoir de gens de votre espèce.