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Il porta la main à sa poche.

« Vous croyez qu’il y en aura d’autres ? demanda Connolly.

— Hmm ? » Lennon sentit le passeport rigide sous ses doigts.

« D’autres meurtres ? dit Connolly.

— J’espère que non. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais moi je n’ai aucune envie de passer Noël à regarder des saletés pareilles. Enfin, il pourrait peut-être quand même en sortir une bonne chose. »

Connolly s’avança dans la chambre. « Quoi ? »

Lennon prit son téléphone dans sa poche et composa le numéro de l’inspecteur chef Ferguson. « Sam Mawhinney et son pote ont été tués dans le District D. On a retrouvé Tomas dans le nôtre, le District B, mais il a été tué dans le C. Avec un peu de chance, l’affaire sera confiée à l’une des brigades criminelles des autres districts, et on pourra rentrer chez nous. »

C’était une vue optimiste à laquelle Lennon ne croyait guère. Mais il pouvait toujours espérer.

21

Herkus se rendit à Rugby Road, près des Jardins botaniques, où l’appartement de Rasa occupait l’étage supérieur d’une maison mitoyenne. Un couple de cadres vivait au rez-de-chaussée. Il avait appris que cette partie de la ville s’appelait les Holylands[3], mais ne savait pas pourquoi. Il ne voyait rien de particulièrement saint ici. On trouvait en tout cas quelques bons restaurants, ainsi qu’une librairie formidable. Non qu’il lût beaucoup, surtout pas en anglais, mais il aimait la lumière chaude et tamisée de la boutique, les livres rangés sur les étagères. Cela lui rappelait l’époque où il était écolier.

Rasa semblait fatiguée, stressée, quand elle ouvrit la porte de la maison. Elle s’était sans doute levée tôt. Mais au moins, elle avait dormi, ce qu’Herkus considérait comme une chance ; lui ratissait la ville en long et en large depuis la veille au matin, et toujours pas la moindre piste. Avec cette fichue neige qui tombait maintenant, pour couronner le tout.

Il se l’autorisait rarement, mais il pensa à consommer un peu de la dope du patron une fois qu’il l’aurait achetée au contact de Rasa. Juste assez pour se donner un coup de booster et tenir la matinée.

Il suivit Rasa à l’étage, puis dans l’appartement. L’endroit sentait la cigarette et l’encens s’exhalant d’un bâtonnet qui brûlait sur la table basse. Partout, des vêtements et des magazines de mode épars sur les meubles et le sol. Un mannequin de tailleur occupait un coin de la pièce, drapé dans du tissu.

« Tu étais obligé de faire ça à Darius ? » demanda Rasa en s’asseyant à une petite table près de la fenêtre où se mêlaient bobines de fil, ciseaux et aiguilles en vrac. Une plante en pot, jaunie par la soif, était posée sur le rebord de la fenêtre. Rasa attrapa un paquet de cigarettes et un briquet.

« Oui, répondit Herkus. Passe-moi une clope. »

Rosa fit le signe de croix, prit une cigarette et lui tendit le paquet. Herkus soupçonnait qu’il y avait quelque chose entre elle et le gros Darius. Elle déplorait sa mort, naturellement, mais cette femme était une pierre à l’intérieur. Elle s’en remettrait vite.

Il s’assit à la table en face d’elle et sortit une cigarette du paquet. Après avoir allumé la sienne, Rasa lui présenta la flamme.

« Quel gâchis », dit-elle en rejetant la fumée.

Herkus grogna pour exprimer son assentiment. Ayant déjà fourni un compte rendu à Rasa par téléphone, il ne voulait pas remettre ça. Mais elle insista.

« Ce crétin de Sam Mawhinney, dit-elle. Tout ça, c’est à cause de lui. Je suis bien contente que tu lui aies réglé son compte. Son frère ne vaut pas mieux. »

Herkus ne répondit pas. Il tira une bouffée de sa cigarette.

« Ah, les imbéciles. Et cette petite garce… J’ai su qu’elle nous attirerait des ennuis dès que je l’ai vue.

— Alors pourquoi tu l’as amenée à Belfast ? demanda Herkus.

— Parce qu’elle était mignonne, dit Rasa. Les hommes sont prêts à payer le prix fort pour une jolie fille comme ça. Elle aurait pu devenir bonne si on lui avait montré les ficelles, en prenant le temps. Mais ces idiots de frères ont insisté pour la mettre tout de suite au travail, sans attendre. Je leur ai dit qu’il fallait la laisser s’habituer pendant une ou deux semaines, quitte à la droguer un peu, au besoin. Ils ne voulaient rien entendre. Et maintenant, regarde dans quelle merde ils nous ont fourrés. »

Herkus jeta un coup d’œil par la fenêtre. Il neigeait toujours. Rasa s’était choisi un quartier agréable à vivre, près du parc et de tout ce que Botanic Avenue pouvait offrir. Rares étaient les étudiants assez fortunés pour louer un appartement dans cette rue. L’agitation de la ville semblait un autre monde, à des lieues du spectacle paisible qui s’offrait ici au regard.

« Quand as-tu vu la fille pour la dernière fois ? demanda-t-il.

— Hier après-midi, répondit Rasa. J’ai dû la reprendre en main.

— Pourquoi ?

— Parce qu’un client est reparti sans qu’elle lui ait rien donné. Elle a eu le culot de dire qu’il voulait seulement parler. »

Herkus contemplait toujours la rue en bas. « Parler ?

— C’est ce qu’elle a dit. Mais je connais les hommes. Les hommes ne veulent pas parler. Ils veulent seulement…

— C’était qui ?

— Je ne me rappelle pas son nom, dit Rasa. Mais je l’avais déjà vu. Petit et costaud à la fois.

— Gros ? »

Rasa secoua la tête. « Non, pas gros. Musclé, large d’épaules, comme mon grand-père. Un tonneau sur pattes. Avec un visage rond et une barbe, des cheveux noirs coiffés en arrière. Il lui a offert un pendentif. »

Herkus se prit le menton dans la main, laissant aller ses yeux dans le vague, tandis que son esprit s’emparait du fil qui surgissait entre les paroles de Rasa.

Après qu’il fut demeuré silencieux un moment, elle demanda : « Qu’est-ce qui ne va pas ? »

Il lui accorda de nouveau son attention. « Quel genre de pendentif ?

— Une croix », dit Rasa.

Herkus écrasa la cigarette dans la terre sèche de la plante. Il se leva et, parcourant la pièce du regard, repéra une enveloppe et un stylo posés sur la table basse. Il alla les chercher et les apporta à Rasa.

« Dessine l’homme », dit-il.

Elle le dévisagea d’un air hébété, sans comprendre.

Herkus lui mit d’autorité l’enveloppe et le stylo dans les mains. « Tu sais dessiner. Je t’ai vue faire. Montre-moi. »

Rasa réfléchit un moment, puis gribouilla sur l’enveloppe, ébauchant à grands traits une face ronde, des cheveux épais, une barbe telle qu’elle l’avait décrite. Bien qu’il ne pût juger de la ressemblance avec l’homme en question, Herkus trouva le portrait plutôt bon. Rasa travaillait autrefois dans la mode, avant de quitter la Lituanie, et elle aurait souhaité poursuivre son activité ici, peut-être en tant que designer. Au lieu de quoi, elle était devenue un maillon dans une chaîne commerciale qui fournissait des jeunes filles. Ce qui ne constituait pas un changement radical de carrière, de l’avis d’Herkus.

Il lui prit l’enveloppe des mains. « Ça lui ressemble ?

— Pour autant que je me rappelle », répondit Rasa.

Il désigna la ligne qui barrait l’un des sourcils. « C’est quoi, ça ?

— Il a une cicatrice… Il est laid. »

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3

Littéralement, « terres saintes ».