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Des grognements s’élevaient dans les arbres tout autour. Un museau sortit du sous-bois, dressé pour mieux flairer la piste du mort. Puis un autre apparut, et encore un autre, des chiens quittant le couvert de la végétation avec l’espoir de festoyer sur l’offrande que Galya leur avait apportée.

Elle ouvrit la bouche pour les chasser en criant, mais le sol bascula sous ses pieds ; elle s’effondra sur les pierres et les feuilles en décomposition. La terre en s’inclinant la projetait contre le corps de Papa. Sauf que Papa n’était plus là. Elle roula dans les cailloux et la boue.

Les chiens avançaient, et elle comprit qu’ils n’étaient pas venus pour dévorer son grand-père. Ils venaient pour elle. Elle tenta de se relever, de leur échapper, mais la boue pesait sur elle comme une tiède couverture.

Ils s’élancèrent. Elle leva les mains pour se protéger. Leurs bouches étaient des mains sur son corps, dures et sans pitié tandis qu’elle se noyait dans la boue, leurs crocs pareils à des doigts hideux dont les pointes émoussées exploraient ses oreilles, ses côtes, ses orteils, ses cuisses, tous les endroits secrets réservés à un amant qu’il ne lui serait peut-être jamais donné de rencontrer. Enfin, ils lui ouvrirent les lèvres et parcoururent ses dents.

Galya sentit l’odeur de la sueur et du lait aigre. Elle comprit qu’elle était en train de rêver et remonta vers la surface de la fondrière, essayant désespérément de se réveiller, mais elle se fatiguait, l’effort lui était trop pénible. Elle renonça, se laissant happer au cœur des ténèbres, avalée par un sommeil si épais qu’il lui sembla qu’elle était peut-être morte.

Elle coulait. Les mains la lâchèrent, rappelées par une autre voix, le hurlement d’un animal au loin.

23

Billy Crawford quitta la fille pour aller répondre à la chose en haut. Toujours, elle appelait. Ne lui laissant jamais aucun répit. Un jour, elle lui ôterait la lumière des yeux, il en était certain.

Il grimpa l’escalier qui conduisait au grenier, ses épaules frôlant les murs. Elle appela encore, d’une voix qui lui faisait l’effet d’un coup de griffe. Il demeura immobile et silencieux à la porte, grimaçant chaque fois que le cri rauque lui parvenait.

« Que Dieu me vienne en aide », dit-il dans un souffle qui n’était pas même un murmure. Un échange privé entre lui et le Seigneur. « Que Dieu me donne la force de supporter cette épreuve. »

Il ouvrit la porte et entra dans la petite pièce, prenant de courtes inspirations pour ne pas être envahi par l’odeur de la chose qui gisait dans un coin. En six enjambées, il se trouva dans son champ de vision.

Les yeux se fixèrent sur lui, la bouche édentée s’ouvrit. Elle poussa un cri et ses mains crochues s’agitèrent.

« Tais-toi », ordonna-t-il.

La voix s’éleva faiblement, une plainte brisée qui lui écorchait les oreilles comme les griffes d’un rat.

« Tais-toi », répéta-t-il, plus durement.

Elle gémit encore, levant vers lui ses yeux pâles, écarquillés et pleins de larmes.

Il lui plaqua une main ferme sur la bouche, repoussa sa tête. Elle le regardait. Il sentit les gencives qui glissaient mollement au contact de ses doigts calleux.

« Tais-toi, dit-il. Sinon je te fais mal. »

Elle ne bougea plus. La bouche sans dents cessa de chercher une prise sur sa main.

Il s’agenouilla près d’elle. « Prie avec moi », dit-il.

Il joignit les mains, inclina la tête, ferma les yeux.

« Notre Père », commença-t-il.

Il pria pour que Dieu Très Haut ait pitié de cette créature et mette bientôt fin à ses souffrances. Il pria pour que vienne l’heure, enfin, où il pourrait dormir une nuit entière sans entendre ses hurlements blessés. Il pria pour que le Seigneur miséricordieux la soulage de ce qui lui tenait lieu d’âme et suppurait dans son sein.

Il pria, et la chose pleura.

24

En chemin vers son bureau, une canette de Coca dans une main, le rapport préliminaire de la police scientifique concernant Tomas Strazdas dans l’autre, Lennon croisa un sergent qui lui demanda s’il était au courant du meurtre à Sydenham. La victime pourrait bien l’intéresser.

« Qui est-ce ? interrogea Lennon.

— Mark Mawhinney. »

Lennon s’arrêta. « Le frère de Sam Mawhinney ?

— À ce que j’ai entendu dire, répliqua le sergent. Il est connu. Le policier qui est arrivé le premier sur les lieux l’a identifié. Il avait le cou brisé, et des empreintes dans la neige indiquent qu’il y a eu une bagarre. »

Lennon entra dans son bureau, un poids au ventre. Il jeta le rapport sur un tas de documents et appuya la canette froide contre son front.

Quatre morts en douze heures.

Connolly était resté à l’appartement de Bangor avec le sergent du District C. Il n’y avait rien à faire, hormis attendre qu’une autre équipe scientifique vienne prendre le relais. On comparerait le sang avec celui de Tomas Strazdas, par pure formalité, et peu importait que la preuve ne fût pas établie avant Noël.

Lennon s’assit, décapsula la canette, et poussa un juron quand le liquide, en jaillissant, se répandit sur la paperasse. Il écarta vivement le rapport Strazdas et le passeport pour les mettre à l’abri, puis épongea les dégâts avec un mouchoir en papier.

Le rapport n’était guère qu’une ébauche remise par le Service Scientifique, une société privée qui effectuait la plupart des recherches médicolégales pour le compte de la police nord-irlandaise. Après que leurs locaux à Belfast eurent été détruits par un attentat à la bombe au début des années quatre-vingt-dix, les techniciens de l’équipe s’étaient relogés tant bien que mal dans la ville balnéaire de Carrickfergus où ils occupaient d’anciens bâtiments de la police totalement inadaptés à leurs besoins.

Malgré ces conditions de travail peu favorables, ils garantissaient des analyses d’une précision extrême qui comptaient parmi les meilleures d’Europe, leurs méthodes ayant été affûtées par les décennies d’investigation sur les attaques terroristes, de plus ou moins grande ampleur, qu’ils avaient vu se produire presque quotidiennement devant leur porte.

Pour ce qu’en savait Lennon, le corps de Tomas Strazdas reposait toujours près de l’eau, protégé de la neige sous une tente blanche, attendant d’être emmené à la nouvelle morgue de l’hôpital Royal Victoria où l’accueillerait un expert médico-légal du Département d’État.

Le 24 décembre, on enverrait n’importe quel pauvre bougre qui se trouvait de garde ce soir-là. Un cadavre à examiner, déjà, ça n’avait rien de réjouissant. Mais à présent, il en venait trois de plus. Lennon fit un vœu silencieux, espérant qu’on ne le désignerait pas pour assister à une opération qui commençait par le déballage des scalpels et des scies.

Il avait fait un crochet par le bureau d’Uprichard pour demander si les affaires seraient confiées à l’un des autres districts, mais l’inspecteur chef l’ignorait. Les volontaires ne se bousculaient pas au portillon, le soir de Noël. Uprichard promit de passer quelques coups de fil pour tenter d’influencer la décision.