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Strazdas ne cilla pas. Ni dans sa respiration ni dans son attitude, rien ne trahit la moindre réaction.

« Nous attendons la confirmation de l’autopsie pratiquée par le Département médicolégal, mais nous pensons que Tomas a été assassiné. Nous soupçonnons qu’il a été tué ailleurs, dans un appartement à la périphérie de Bangor, puis que son corps a été amené à l’endroit de la découverte. Nous croyons que son meurtrier, ou ses meurtriers, avaient l’intention de le jeter à l’eau, mais ils ont été surpris par un agent de la Police portuaire qu’ils ont agressé avant de prendre la fuite. »

Strazdas regardait droit devant lui. Il s’humecta brièvement les lèvres du bout de la langue.

Rainey s’éclaircit la gorge. « C’est en effet une triste nouvelle, inspecteur. M. Strazdas vous remercie de la lui avoir communiquée. À présent, si ça ne vous ennuie pas, il aimerait avoir un peu de temps pour l’assimiler. »

Il tira de sa poche une carte de visite et la remit à Lennon. « Si vous souhaitez parler à M. Strazdas plus tard, n’hésitez pas à appeler ce numéro. Soyez assuré qu’il vous apportera son entière coopération. »

Lennon prit la carte et la rejeta sur la table basse. « Merci. J’ai quelques questions à lui poser aujourd’hui, si vous n’y voyez pas d’inconvénient. »

Rainey se pencha pour lui murmurer à l’oreille : « M. Strazdas a besoin de tranquillité pour absorber cette terrible nouvelle. Encore une fois, je vous prie de…

— M. Rainey, je suis sûr que vous comprenez que dans une enquête comme celle-ci, le temps est un facteur essentiel. Plus vite M. Strazdas répondra à mes questions, plus vite nous retrouverons l’assassin de son frère. Vous ne voudriez pas que votre client ou vous-même apparaissiez comme ayant fait obstruction à l’enquête, n’est-ce pas ? »

Rainey se redressa et lança un regard à Strazdas.

Strazdas hocha la tête, un mouvement si imperceptible que Lennon se demanda s’il ne l’avait pas imaginé.

« Très bien, dit Rainey. Alors, faites vite. Et quand je dis que c’est terminé, c’est terminé, OK ?

— OK », acquiesça Lennon.

Rainey se retira dans un coin de la pièce.

Lennon sortit son bloc-notes et son stylo de sa poche. « M. Strazdas, que faisait votre frère en Irlande du Nord au moment de sa mort ?

— Tomas était citoyen de l’Union européenne, répondit Strazdas. Il avait le droit de voyager et de résider librement dans n’importe quel pays de l’Union. Comme moi.

— Oui, bien sûr, fit Lennon. Mais ce n’était pas ma question. Que faisait-il ici ? Il était venu pour travailler ? Pour s’amuser ?

— Je cherche à investir dans cette ville. » Strazdas agita la main en direction de la fenêtre, comme si tous les bâtiments de l’autre côté étaient à prendre. « Pour cette raison, je suis arrivé en avion hier soir. Tomas avait déjà recensé plusieurs possibilités, des terrains à développer, et aussi un lieu où installer mon activité principale.

— Votre activité principale, répéta Lennon. Je crois comprendre que vous dirigez une agence de recrutement. Vous fournissez des travailleurs migrants à des entreprises locales.

— C’est exact.

— Tomas aurait donc été en contact avec des agents immobiliers, par exemple ? À qui aurait-il pu parler ?

— Je confirme, dit Rainey depuis le coin du salon. Je l’ai accompagné dans plusieurs visites. Je peux vous fournir une liste des agents, si nécessaire. »

Lennon ne prêta pas attention à l’avocat. « Tomas connaissait-il deux frères du nom de Sam et Mark Mawhinney ? »

Strazdas haussa les épaules. « Je ne sais pas.

— Quels liens Tomas entretenait-il avec les groupes paramilitaires loyalistes à Belfast ? »

Rainey répondit : « Aucun à notre connaissance. Inspecteur, si vous continuez avec ce genre de questions, je vous demanderai de partir.

— Tomas a été arrêté à plusieurs reprises pour trouble de l’ordre public, dit Lennon. C’était un bagarreur.

— Tomas avait un tempérament colérique. » Strazdas ne semblait pas se froisser de la critique portée à l’encontre de son frère. « Il ressemblait à notre père, de ce côté-là. Ça lui causait parfois des ennuis.

— Il a peut-être mal choisi la personne avec laquelle il s’est battu hier soir.

— Peut-être.

— Tomas vous assistait-il dans le trafic de femmes introduites dans ce pays pour l’industrie du sexe ? »

Silence, pendant de longues secondes.

Rainey s’avança vers la porte qu’il désigna de la main. « Merci, inspecteur, dit-il en souriant. Ce sera tout. »

Lennon attrapa la carte de l’avocat sur la table basse et se leva. « Je vous recontacterai.

— Je n’en doute pas. » Rainey s’effaça devant Lennon, puis sortit avec lui dans le couloir.

« Inspecteur », lança-t-il alors que Lennon se dirigeait vers l’ascenseur.

Lennon se retourna.

« Je ne tolérerai pas que mon client soit harcelé. » Rainey accompagna ses paroles de son regard le plus sévère.

Lennon revint vers lui, s’approcha tout près. « Et moi, je ne tolérerai pas une putain de guerre de gangs la veille de Noël. Quatre morts en moins de vingt-quatre heures. En ce qui me concerne, ce ne sont que des sales types qui se bouffent le nez entre eux, sauf qu’un jeune officier de police se trouve à l’hôpital à cause de cette histoire. Je ne sais pas ce qui se passe, mais il vaudrait mieux que ça s’arrête là. Un cadavre de plus, et votre client figurera en tête de ma liste de gens à cuisiner. Compris ?

— Si vous souhaitez interroger à nouveau mon client, il vous faudra prendre certaines précautions. » Rainey croisa les bras sur sa maigre poitrine.

« Pas de problème », dit Lennon.

29

Strazdas demeura assis sans bouger en attendant que Rainey revienne. Il ferma les yeux et écouta le sang battre dans ses tempes. Mais toujours il entendait sa mère, sa voix haineuse. Une agitation dans l’air et le craquement de fines semelles sur la moquette le firent revenir à lui.

« Il va falloir être prudent, dit l’avocat en fermant la porte. S’il arrive quoi que ce soit d’autre, vous vous retrouverez dans la ligne de mire.

— Je contrôle la situation », dit Strazdas.

Il n’aimait pas les avocats, mais on ne pouvait se passer de leurs services en affaires. Surtout dans des moments comme celui-ci.

« Vous contrôlez ? ricana Rainey. Quatre morts, a-t-il dit. Vous m’avez seulement parlé de votre frère et des deux qui l’ont buté. Arturas, mon ami, vous payez bien, mais pas suffisamment pour justifier que je prenne un tel risque. »

Strazdas répliqua : « Je vous paierai davantage.

— Pour commencer, je ne suis pas avocat au pénal. » Rainey s’assit dans le fauteuil face à Strazdas. « Patsy Toner aurait été l’homme qu’il vous faut, mais il est mort maintenant. À votre place, je sauterais dans le premier avion pour Bruxelles et je me ferais discret, je garderais profil bas pendant quelque temps.

— Vous êtes la deuxième personne qui me donne ce conseil aujourd’hui, dit Strazdas. Mais je reste ici, jusqu’à ce que le boulot soit fait. »

Rainey se pencha en avant pour demander : « Quel boulot ? » Avant que Strazdas n’ait le temps de répondre, il leva une main et ajouta : « Non, ne me dites rien. »

L’avocat plongea la main dans sa poche et en sortit un petit flacon en verre rempli de poudre blanche. Une minuscule cuillère en argent y était accrochée par une chaînette.