Выбрать главу

« Ça ne vous dérange pas ? s’enquit-il. Pour me calmer les nerfs. »

Strazdas se lécha les lèvres et renifla. « Pas du tout », répondit-il.

DEUXIÈME PARTIE

HERKUS

30

Herkus prit mille livres en espèces dans le coffre dissimulé chez lui derrière l’évier de la cuisine, puis partit vers l’est de la ville.

La colère lui tordait les tripes, mais il savait comment la maîtriser. Il était furieux contre Arturas qui refusait d’entendre raison et de quitter le pays. Furieux contre la pute qui avait tranché la gorge de Tomas. Furieux contre ces crétins de frères à cause desquels tout était arrivé.

Les Mawhinney étaient les sous-fifres d’une organisation loyaliste dirigée par Rodney Crozier. Bien que se remettant à peine de la blessure au couteau infligée par un rival l’année précédente, Crozier tenait ses hommes d’une main ferme. Mais Herkus doutait qu’il ait approuvé la tentative de meurtre sur sa personne, ni lui ni aucun de ceux qui le remplaçaient pendant qu’il était encore diminué. Sinon, ils auraient envoyé un pro.

Et Herkus serait mort.

À cette pensée, il se sentait la bouche sèche. Vingt ans, dix ans, ou même cinq ans auparavant, l’idée de la mort ne le gênait pas. Il était jeune, fort, rapide, et courageux. Peut-être même téméraire. Si la vie devait finir, ce serait simplement une autre aventure, comme descendre du bord de la Terre.

Puis il commença à remarquer les rides qui se creusaient sur son visage. Sa masse musculaire molle et flasque par endroits. Les douleurs qu’il avait parfois dans les genoux en grimpant un escalier, ses poumons qui devaient fournir davantage d’efforts.

Une nuit, il rêva d’Agnes, l’épouse qu’il avait laissée en Lituanie. Il s’éveilla avec la gorge à vif, la voix rauque d’avoir crié. Ils s’étaient mariés peu de temps après son service militaire et avaient pris un appartement à Vilnius. Elle parlait tout le temps d’avoir des enfants, ne pensait qu’à ça, les bébés, comment elle les appellerait, si ce seraient des garçons ou des filles, jusqu’à ce qu’il en arrive à ne plus pouvoir accomplir sa performance. Chaque fois qu’il prenait sa femme, chaque fois qu’il sentait son plaisir monter, il voyait à son regard distant qu’elle songeait à l’enfant qu’il lui donnerait. Alors il se retirait, ratatiné et vaincu, et elle pleurait comme si l’enfant était mort-né.

La veille de son départ pour Bruxelles, ils parlèrent de la future vie qu’ils auraient ensemble, loin de la grisaille de leur pays. Il promit de lui envoyer un billet dès qu’il aurait gagné un peu d’argent. Un vieil ami lui avait affirmé que grâce à Strazdas, l’homme d’affaires, il prendrait un nouveau départ en Belgique.

Pour fêter l’événement, ils remplirent un panier de vin, de bière, et de bonnes choses à manger, et prirent la voiture pour aller dans la forêt du côté de la Neris. Il avait creusé un trou une semaine avant, dissimulé entre les sombres alignements des arbres. Elle mourut en acceptant silencieusement son sort, ne cria même pas quand il porta le premier coup, et il se dit qu’elle avait toujours su que ça se terminerait ainsi.

Il avait aimé Belfast, au début, mais maintenant cette ville lui tapait sur le système. La pluie, l’étroitesse d’esprit, la suffisance et le sale orgueil de ses habitants qui considéraient que leur petite guerre minable était plus importante que toutes les autres. Il pesta au volant en les regardant marcher sur les trottoirs et entrer dans les bureaux de paris, les pubs, les boutiques crasseuses où l’on vendait des vêtements et du matériel électrique. Aucune des grosses chaînes de magasins qui avaient colonisé le centre-ville ne s’était aventurée dans ces quartiers, au milieu des drapeaux, des graffitis et des pavés peints de couleurs vives.

Dans Holywood Road, les Taxis de Maxie se trouvaient pris en sandwich entre des restaurants de cuisine indienne et chinoise à emporter. Brian Maxwell en était officiellement propriétaire. En réalité, son frère Gordie gérait tout dans un bureau situé au-dessus. Il pilotait aussi d’autres affaires depuis ce minuscule réduit, même si l’on n’y voyait jamais le moindre dossier ni document.

Gordie Maxwell ne se leva pas à l’entrée d’Herkus. Il demeura renversé en arrière sur sa chaise, les pieds posés sur le bureau. Son ventre distendait sa chemise et écartait le tissu entre les boutons. Herkus distingua ses poils gris, il sentit l’odeur âcre qui émanait de son corps.

« Fallait pas buter Sam Mawhinney, dit Maxwell. D’accord, lui et ses frères étaient des abrutis, des marmots qui se la pètent, mais Sam ne méritait pas ça. »

Herkus s’assit. « À cause de lui, une pute a tué le frère de mon patron.

— Le frère de ton patron était un sale con, une grande gueule qui ne connaissait rien à rien, répliqua Maxwell. Il a envoyé un de mes chauffeurs à l’hôpital sans raison. On ne le regrettera pas beaucoup dans le coin.

— Si Arturas t’entend parler comme ça, il sera très en colère.

— Dommage pour lui, dit Maxwell, qu’il aille se faire voir. Et maintenant j’apprends que Mark Mawhinney a eu un petit accident ce matin ? »

Herkus ne répondit pas.

Maxwell secoua la tête. « Il y a des gens qui te cherchent, ils m’ont posé des questions à ton sujet. Des amis des Mawhinney. Je leur aurais bien dit que tu allais venir ici, sauf que je ne peux pas les piffrer, encore moins que toi et ton putain de patron.

— C’est gentil de ta part, fit Herkus, dont l’humour se limitait à quelques rares pointes de sarcasme. Tu as ce que je veux ? »

Maxwell se cura les dents et examina les débris qu’il en retirait. « Oui… » Ouvrant un tiroir, il sortit une large enveloppe rembourrée et la jeta sur le bureau.

Herkus saisit l’enveloppe et en répandit le contenu sur un journal. Une douzaine de cartouches de neuf millimètres, au milieu desquelles tomba un sachet en plastique plein de poudre blanche.

« J’autorise pas souvent qu’on vienne chercher du matos ici, fit observer Maxwell. C’est à ça que servent les taxis. Je te l’ai obtenu en express, d’ailleurs. Tu comprends pourquoi je te fais payer le prix fort.

— Oui », dit Herkus. De sa main gantée, il prit un rouleau de billets dans sa poche et le déposa sur le bureau. Maxwell entreprit de compter.

Herkus tira le Glock 17 de sa ceinture.

Maxwell arrêta de compter.

« C’est le pétard d’un flic ? demanda-t-il.

— Oui, dit Herkus.

— Si j’avais su, je t’aurais pas procuré les balles. Comment tu l’as eu ? »

Herkus retira le chargeur et inséra deux cartouches pour remplacer celles qu’il avait utilisées le matin.

« D’accord, ça me regarde pas », reprit Maxwell.

Herkus ramassa les cartouches éparses ainsi que le sac de cocaïne et fourra le tout dans ses poches. Il laissa le pistolet sur le bureau, canon pointé vers Maxwell.

« Je cherche quelqu’un, dit-il.

— Ah ouais ?

— Il fréquente les putes.

— J’en connais beaucoup qui vont aux putes… », dit Maxwell en traînant la voix.

Herkus lui tendit le portrait tracé sur l’enveloppe. « Le voilà », dit-il.

Maxwell examina le dessin en le tenant à bout de bras. Il se passa la langue sur les lèvres. « C’est qui ?

— Juste quelqu’un, dit Herkus. Mais je paye pour le trouver. »

Maxwell lui décocha un coup d’œil, s’humecta à nouveau les lèvres.