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« Tu me provoques, connard, dit Roscoe en extirpant une autre cigarette du paquet.

— Toujours aussi charmant, à ce que je vois, fit Lennon. Ça ne prendra pas longtemps. Si tu m’aides, je me barre. Sinon, je rapplique chez toi pour le dîner de Noël. »

Roscoe alluma sa cigarette et rangea le paquet. Des flocons de neige se posaient sur son crâne rasé. Il releva sa capuche.

« Putain, ça te plairait pas. Ma gonzesse n’est pas foutue de faire cuire une dinde. » Il ôta la cigarette de sa bouche, assez longtemps pour cracher dans la neige. « Bon, qu’est-ce que tu veux ?

— Sam et Mark Mawhinney », répondit Lennon.

Roscoe ricana. « Ces deux-là ? De sacrées ordures. Ils n’ont eu que ce qu’ils méritaient. Je leur refilais des petits boulots de temps en temps, mais ils ont voulu palper une fois de trop. Alors, je leur ai mis une branlée et les ai envoyés paître. Ils se sont recasés avec la bande de Crozier. Là, au moins, ils étaient en bonne compagnie.

— Ils faisaient travailler des prostituées ? » demanda Lennon.

Le sourire de Roscoe s’étira. « C’est vrai que tu t’y connais », dit-il.

Lennon sentit une bouffée de chaleur lui monter au visage, malgré le vent glacé. « Fais gaffe à ce que tu dis, gronda-t-il, incapable de soutenir le regard de Roscoe. Je n’y vais plus. »

Levant un sourcil dubitatif, Roscoe se fendit d’un sourire plus large encore.

Lennon et Roscoe avaient autrefois passé un accord. Lennon rendait visite aux filles que Roscoe hébergeait dans divers appartements, profitait gratuitement de leurs services, en échange de quoi aucun de ces endroits ne risquait de faire l’objet d’une descente. Tout le monde y trouvait son compte. Roscoe travaillait proprement, du moins aussi proprement qu’il était possible de l’envisager dans pareil domaine, et il avait toujours une oreille qui traînait quelque part. Toutes les informations dignes d’intérêt s’affichaient sur son radar.

Le pacte fut brisé un an auparavant, quand Roscoe fit savoir à Dan Hewitt que Marie et Ellen étaient cachées dans un de ses appartements. La trahison lui valut un passage à tabac. Mais il restait utile à Lennon, sans quoi il aurait connu pire châtiment.

« Un tigre ne peut pas changer de peau, déclara sentencieusement Roscoe.

— Un léopard, tu veux dire.

— Bref, on s’en fout. En tout cas, oui, les Mawhinney faisaient bosser des putes.

— Quel genre ? demanda Lennon. Trafic ?

— Ouais, dit Roscoe. Des salopards de première. Moi, je me mets pas dans ces conneries-là. Rien que des plans louches, avec des types louches. Je te le répète, ils ont eu que ce qu’ils méritaient.

— Ces types louches, reprit Lennon, ce ne seraient pas des Lituaniens ?

— Tout juste.

— Et parmi eux, il y avait Tomas Strazdas. Tu l’as croisé ?

— Deux ou trois fois. Un petit roquet avec une grande gueule et qui sortait tout de suite les poings. Enfin, plus maintenant.

— Plus maintenant, répéta Lennon. Sam Mawhinney lui a tranché la gorge, et ensuite il s’est fait exploser la cervelle.

— Non, dit Roscoe.

— Non, quoi ?

— C’est pas Sam Mawhinney qui lui a tranché la gorge, dit Roscoe. C’est une fille.

— Une fille ? » Lennon se pencha plus près. « Une prostituée ?

— Ouais, une pute, dit Roscoe. Elle l’a égorgé, et après elle s’est tirée. Les Baltes ont fait porter le chapeau à Sam et l’ont buté. Du coup, Mark Mawhinney a essayé de s’en prendre aux Baltes pour venger son frère. J’ai entendu dire qu’il s’était fait broyer le cou. »

Roscoe se tut et se mit à rire. « Putain, tu sais vraiment que dalle, hein ?

— Non, fit Lennon, que la situation n’amusait pas du tout. Éclaire-moi.

— Mark racontait partout qu’il voulait se venger. Son pote Jim Pollock lui a fait savoir qu’un gros malabar allait venir pour acheter du matos. Faut croire que Mark n’a pas assuré, parce que le malabar l’a buté et s’est cassé.

— Le malabar ?

— Herkel, ou Hercules, quelque chose comme ça. Un colosse capable d’écraser n’importe qui comme une chiure d’oiseau. Il bosse pour le frère du mort.

— Herkus, dit Lennon, se rappelant sa conversation avec Dan Hewitt.

— Ouais, peut-être. En tout cas, il cherche la fille comme un malade. Il a fait passer l’info par Gordie Maxwell, avec du pognon à la clé et tout.

— Elle a été vue quelque part ?

— Il paraît qu’elle serait partie avec un type qui fréquente régulièrement les putes. » Roscoe sourit. « C’est peut-être toi. »

Lennon ne releva pas et jeta sa cigarette sur le terrain mouillé. « Si tu me contactes dès que tu apprends quelque chose, je considérerai que j’ai une dette envers toi.

— Ça pourrait se faire, dit Roscoe. Qu’est-ce que j’y gagne ?

— Je ne dis pas à ta gonzesse ce que tu penses de ses talents culinaires. »

Roscoe grimaça. « Connard.

— J’attends de tes nouvelles, fit Lennon en retournant à sa voiture d’un pas incertain dans la neige.

— Va te faire mettre », lança Roscoe dans son dos.

Lennon s’installa au volant de l’Audi. Il tourna la clé dans le contact et actionna les essuie-glaces pour évacuer la neige qui obstruait le pare-brise.

L’horloge du tableau de bord indiquait pas loin d’une heure. Il avait prévu de repasser chez Susan au moment du déjeuner pour voir Ellen. Mais le bureau de Gordie Maxwell se trouvait à l’autre bout de la ville.

Une fille, avait dit Roscoe. Tout ça à cause d’une prostituée qui s’était échappée. Lennon sortit le passeport de sa poche et examina la photo, même s’il était peu probable que ce soit elle. Avait-elle quitté la ville ? Où en était Herkus de ses recherches ?

Il composa le numéro de l’accueil à son commissariat. Moffat répondit.

« Je veux que tu fasses circuler le mot, dit Lennon. Herkus Katilius. Mets tout le monde sur le coup. Et débrouille-toi pour fournir le numéro d’immatriculation de sa voiture.

— Qu’est-ce que je donne comme explication ? demanda Moffat.

— Rien, pour l’instant. Dis seulement qu’il faut inventer une raison quelconque pour l’embarquer. Si on le serre, appelle-moi tout de suite pour que je puisse me rendre sur les lieux. Et préviens qu’il est dangereux.

— Pas de problème, dit Moffat. Au fait, j’ai entendu des bruits du côté de la hiérarchie. Il n’y a pas eu de communiqué de presse, rien d’officiel encore, mais les quatre meurtres sont traités comme une seule affaire.

— Ça ne me surprend pas, répondit Lennon.

— Ce n’est pas tout, reprit Moffat. Apparemment, l’enquête va être confiée à la brigade de l’inspecteur chef Thompson. »

Lennon poussa un juron. « À moi, donc.

— Joyeux Noël », dit Moffat.

Lennon raccrocha et mit le moteur de l’Audi en route.

33

Dans le magasin de bricolage, Billy Crawford se dirigea droit vers la section Bâtiment à l’usage des professionnels. S’il avait pensé que la fille appellerait si vite, il se serait mieux préparé. Normalement, il fallait une ou deux semaines de sévices et de mauvais traitements avant qu’elles ne cèdent au désespoir et trouvent un moyen de téléphoner.

Mais cette fille-là était différente.

S’il avait su, il n’aurait pas établi le premier contact à la veille de Noël. Heureusement, l’idée lui était venue de vérifier l’état de ses outils avant qu’il ne soit trop tard. Il avait besoin de nouvelles lames pour sa scie à métaux 30 cm, d’un nouveau ciseau pour son marteau burineur pneumatique, et de ballast à béton.