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De temps à autre, pas souvent, mais assez pour qu’il s’en inquiète, les conversations s’échauffaient. De plus en plus fréquemment depuis qu’il avait entrepris cet ouvrage. Une fois, avant de creuser le troisième trou dans son sol de béton, il en était même venu aux mains avec lui-même.

De telles bêtises devaient cesser. Il ne pouvait se permettre d’avoir un esprit imprévisible. Sa tâche exigeait de la vigilance et une main assurée. Tout acte imprudent entraînerait sa perte.

« Assez », s’ordonna-t-il à lui-même.

Il fallait se concentrer sur le moment présent, penser à des choses bien précises, non pas aux « peut-être » ni aux « si jamais ». C’était déjà l’après-midi, et il avait encore une longue journée de travail devant lui. Une jeune fille dont il devait s’occuper, avec des cheveux blonds soyeux sur sa jolie tête, et deux rangées de magnifiques dents blanches derrière ses lèvres.

Il pouvait presque les sentir sur sa langue.

34

En revenant à l’hôtel, Herkus pestait contre la circulation. Tous ces imbéciles qui faisaient leurs courses de Noël, jamais ils ne pensaient à acheter leurs cadeaux avant. Il les invectivait en postillonnant sur le pare-brise.

Il n’aurait peut-être pas dû prendre cette dernière sniffée de coke après avoir quitté Maxwell. Deux auraient suffi pour chasser le pli sombre qui lui barrait le front, mais il n’avait pas pu résister.

Il s’exhorta au calme, tandis qu’il remontait lentement Chichester Street, puis Victoria Street. L’hôtel n’était plus qu’à une centaine de mètres, juste derrière l’un des plus gros centres commerciaux de la ville. Un concert de klaxons s’élevait parmi les voitures qui se bousculaient autour des rampes d’accès au parking souterrain. Malgré deux agents de la circulation plantés au milieu du chahut, les automobilistes n’en faisaient qu’à leur tête.

Herkus était coincé, pas moyen de sortir de là. Il augmenta le chauffage et continua à beugler. Ça le soulageait.

Son portable sonna.

« Quoi ? fit-il en prenant l’appel.

— C’est moi, dit Arturas. Où es-tu ?

— Pas loin. Au bout de la rue, en fait, mais ça bouchonne.

— Encore combien de temps ?

— J’en sais rien, répondit Herkus. Ça risque de durer encore un moment. J’avance de trois mètres par minute. Putains de courses de Noël. »

Un silence, puis Arturas demanda : « Tu as quelque chose pour moi ?

— Oui.

— Alors, descends et viens à pied.

— Hein ?

— Arrête-toi, dit Arturas. Gare-toi. Si tu es tout près, tu peux marcher. »

Herkus lâcha un rire exaspéré. « Non, je peux pas. Il n’y a aucun endroit où s’arrêter sur le côté. Et même s’il y en avait, impossible de se dégager de ce bordel. C’est juste…

— Je m’en fous. Ramène-toi.

— Écoutez, patron, je… »

En voyant une main qui frappait à la vitre, Herkus faillit lâcher le téléphone.

« Une minute », dit-il à Arturas.

L’agent de la circulation se penchait vers lui. Il avait un visage poupin, des joues rouges mouillées par la neige. Il frappa à nouveau et, d’un geste, somma Herkus de baisser sa fenêtre.

Herkus sourit poliment et appuya sur le bouton.

« Monsieur », dit l’agent.

Herkus répondit par un signe de tête.

« Vous savez pourquoi je viens frapper à votre vitre ? » demanda l’agent d’une voix lasse.

Herkus indiqua que, non, il l’ignorait.

« Parce que j’ai vu que vous étiez au téléphone, reprit l’agent. Comme vous le savez sûrement, l’utilisation du téléphone portable au volant d’un véhicule en circulation est un délit passible d’une amende.

— Ah bon ? » fit Herkus. Il raccrocha, sans plus se soucier de la voix métallique d’Arturas, posa le téléphone sur le tableau de bord, et se tourna vers le policier en gardant les mains bien visibles sur le volant. Ses paumes moites collaient au cuir.

« Absolument, dit l’agent. Je ne vous demanderai pas de descendre du véhicule, à cause de l’embouteillage, mais je vais jeter un coup d’œil à vos papiers si vous voulez bien.

— Papiers ? répéta Herkus d’un air ahuri.

— Permis de conduire et attestation d’assurance, répondit l’agent, avec un effort manifeste pour rester aimable.

— Pas parler anglais, bredouilla Herkus.

— Contrôle de papiers, dit l’agent. Immédiatement. »

Herkus secoua la tête. « Pas anglais. »

L’agent ouvrit la portière, se pencha à l’intérieur et éteignit le moteur, ôtant les clés du contact dans la foulée. « Sortez », ordonna-t-il. Il accompagna ses paroles d’un geste du pouce sur lequel, dans aucune langue, on ne pouvait se méprendre.

Herkus laissa retomber sa main droite entre ses jambes, frôlant du bout de ses doigts le plancher de la voiture. Le Glock et les munitions reposaient dans un compartiment logé sous le siège. Attraper le pistolet serait un jeu d’enfant.

« Sortez, répéta l’agent.

— Pas parler anglais », dit encore Herkus.

Son esprit explora à toute vitesse un éventail de possibles, mais il reconnut dans cette accélération les effets de la cocaïne. Le sachet était dissimulé à côté du Glock. Il inspira profondément, sentit l’air froid de l’hiver lui picoter les narines.

Reste calme, se dit-il. Tout doux. Ils ne peuvent rien te faire. Il retira sa main d’entre ses jambes et sortit de la voiture.

« Eh ben voilà ! dit l’agent. C’était pas si difficile. »

Herkus haussa les épaules. L’autre agent de la circulation n’avait pas quitté son poste, mais il gardait un œil sur son collègue tout en envoyant divers signaux aux automobilistes.

« Papiers, répéta l’agent. Permis de conduire. Assurance.

— OK », fit Herkus.

Rentrant dans la voiture, il abaissa le pare-soleil, attrapa son permis lituanien et l’attestation de sa compagnie d’assurances, puis les tendit à l’agent.

Celui-ci examina la carte plastifiée et le document. « European People Management ? demanda-t-il.

— Mon patron, dit Herkus. Il paye assurance.

— Votre anglais s’est déjà amélioré, fit remarquer l’agent. Alors, voyons si vous me comprenez maintenant : nous allons déplacer votre voiture sur le côté de la chaussée et bavarder tranquillement. D’accord ?

— D’accord », dit Herkus.

L’agent siffla pour appeler son collègue, plus grand et plus mince, et lui fit signe d’approcher. Après un rapide conciliabule, ils convinrent d’une stratégie. Le gros monta dans la Mercedes et redémarra le moteur pendant que l’autre détournait la circulation tout autour.

« Allez donc attendre sur le trottoir, monsieur », dit l’agent.

Herkus fit ce qu’on lui demandait, mais il prit tout son temps, gagnant le trottoir d’un pas nonchalant comme s’il agissait de son propre gré. L’autre policier repartit diriger la circulation, parlant en même temps dans un émetteur radio fixé au revers de son uniforme. La Mercedes s’approchait lentement du trottoir.

Le téléphone sonna dans la poche d’Herkus. Il le sortit, lut le nom qui s’affichait à l’écran. Arturas. Il rejeta l’appel en jurant.

Qu’il attende, pensa-t-il. Ou alors, il n’a qu’à venir ici et parler aux flics.