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Ils se fichaient bien de le voir téléphoner au volant. Ce n’était qu’un prétexte pour l’arrêter. Il se passait quelque chose. Que voulaient-ils vraiment ?

On verra bien, pensa Herkus. On verra.

35

Lennon coupa par le sud de la ville, Sandy Road, puis Lisburn Road, contournant l’université de Queen’s avant de remonter Botanic Avenue. Il s’arrêta devant l’adresse de Rugby Road que lui avait communiquée Dan Hewitt. Une lumière était allumée à la fenêtre de l’appartement du premier étage.

Il verrouilla la voiture et alla sonner à la porte. Reculant d’un pas, il leva les yeux vers la fenêtre. La lumière s’éteignit. Il sonna encore.

« J’arrive », dit une voix quelque part à l’intérieur.

Il entendit des pas dans l’escalier, le claquement de talons qui se rapprochaient sur un sol carrelé.

La porte fut ouverte par une femme qui portait un petit sac de voyage. Elle le dévisagea un instant. Son regard glissa vers la voiture de Lennon garée dans la rue, puis revint se poser sur lui.

« Taxi ? demanda-t-elle.

— Non, répondit Lennon. Police. »

La femme resta bouche bée, les yeux écarquillés. Aussitôt son visage se durcit.

Il lui montra sa carte. Elle n’y jeta pas même un coup d’œil.

« Désolée, dit-elle. Comprends pas anglais.

— Rasa Kairyté ? » demanda Lennon.

Elle secoua la tête. « Pas anglais.

— Pouvons-nous parler à l’intérieur ?

— Non, répondit-elle.

— Alors, ici. »

Elle recula, essaya de fermer la porte, mais Lennon retint le battant.

« Tomas Strazdas, dit-il. Sam Mawhinney, Mark Mawhinney, Darius Banys. »

Elle eut soudain les yeux pleins de larmes. « Pas anglais, répéta-t-elle, la voix brisée.

— Vous pourriez être la prochaine, dit Lennon.

— Non, se défendit-elle. Pas moi. Je n’ai rien fait.

— Je peux vous aider, dit Lennon. Parlez-moi, et je vous mettrai en sécurité. »

Elle rit. « Sécurité ? Avec police ? C’est police d’Arturas.

— Arturas Strazdas ? »

Une voiture approchait, ses pneus chassant la neige grise et détrempée. Le conducteur donna un coup de klaxon.

« Je pars maintenant », dit-elle. Elle s’avança sur le seuil, ferma la porte derrière elle.

« Que voulez-vous dire, la police d’Arturas ? demanda Lennon alors qu’elle s’éloignait déjà.

— Je pars », répéta-t-elle. La neige déposait de légers flocons sur ses cheveux.

Le chauffeur de taxi descendit de voiture et ouvrit le coffre. Il chargea le sac de Rasa, plissant les yeux pour surveiller Lennon qui talonnait sa cliente.

« Où ? demanda Lennon.

— Loin d’ici », répondit-elle.

Le chauffeur interrogea Rasa : « Y a un problème, ma petite dame ?

— Non », dit-elle en ouvrant la portière et en s’asseyant à l’arrière.

Lennon saisit la portière par la poignée pour empêcher Rasa de la refermer.

Le chauffeur tenta de s’interposer. « Hé là, vous pouvez pas…

— Foutez-moi la paix », dit Lennon en le repoussant. Il lui montra sa carte de police, puis s’adressa à Rasa : « Arturas a quelqu’un dans la police ? Qui ?

— Vous arrêtez moi, maintenant ? demanda-t-elle.

— Non, répondit Lennon.

— Alors, je pars », dit-elle.

Elle tira avec force pour que Lennon lâche prise, ferma la portière, et détourna les yeux.

Le chauffeur se dépêcha de s’installer au volant et passa la première vitesse. Les roues patinèrent avant de s’engager en traction.

Lennon poussa un juron. Son téléphone sonna pendant qu’il regagnait l’Audi.

« On a trouvé votre homme », annonça le policier de service.

36

Les chutes de plâtre et de bois finirent par dégager un trou assez grand pour que Galya puisse y passer les épaules. Ayant d’abord percé une ouverture de quatre centimètres, elle avait réussi à creuser un espace large comme son poing, puis, en quelques minutes, à arracher d’autres lattes tout autour. Elle posa enfin le tiroir et essuya la sueur sur son front.

La voix au-dessus lançait des stridulations aiguës. Galya n’y prêtait pas attention. Bien qu’elle eût cessé de se jeter contre le mur, une douleur lancinante lui parcourait encore les épaules et les coudes.

Elle glissa la main par l’ouverture et sentit le contact de l’air frais. Explorant vers le haut, elle rencontra une surface dure et lisse. Vers le bas, un tissu rugueux. Des serviettes, pensa-t-elle. Un placard, comme celui-ci.

Sur quoi donnait-il ?

Elle enfonça plus loin le bras, au mépris des échardes qui se piquaient dans sa manche. Ses doigts touchèrent un panneau de bois. Elle poussa. Une porte s’ouvrit, livrant passage à une légère brise. Elle se recula et colla ses yeux contre le trou. La lumière du jour, faible mais ininterrompue, révéla le contenu du placard. Au-delà, un palier, une rampe d’escalier, une balustrade.

Galya reprit le tiroir et frappa avec le coin le plus tranchant. Les lattes cédaient plus facilement, sous la poussée qui les détachait maintenant des solives auxquelles elles étaient clouées. Soufflant et ahanant, Galya éprouvait une flambée de joie pure chaque fois qu’un fragment de bois ou de plâtre tombait de l’autre côté du mur.

La voix au-dessus répondait aux heurts successifs par de petits cris blessés. Galya, dans son exaltation, s’imagina que c’était la maison qui hurlait et protestait contre les blessures qu’on lui faisait subir. À son tour, elle se mit au diapason, rugissant à mesure que le trou s’agrandissait, de plus en plus large, jusqu’à ce que la lumière du couloir la touche au visage.

Galya laissa retomber le tiroir. Elle toussa. La poussière de plâtre lui piquait la gorge et les poumons, se déposant en une bouillie épaisse dans sa bouche. Elle saliva et s’en débarrassa en crachant par terre. Mama lui aurait reproché ce comportement indigne d’une jeune fille bien élevée. Comme une bête dans un champ, aurait-elle dit.

Galya rit, puis porta une main à sa bouche. Reconnaissant le goût du sang, elle découvrit ses mains pleines d’ampoules et d’entailles. Son cœur cognait violemment dans sa poitrine.

« Reste calme », s’enjoignit-elle.

Elle renifla, cracha de nouveau. Puis, ayant enfoncé les deux bras dans l’ouverture, elle passa la tête, suivie de ses épaules encore douloureuses après le mauvais traitement infligé par la palissade du chantier. Les esquilles hérissées dans les lattes de bois griffaient ses vêtements. Elle écarta une pile de serviettes posées sur une étagère, s’agrippa aux montants, et tira.

Ses pieds décollèrent d’à peine quelques centimètres du sol. Elle tira plus fort. Des éclats de bois transperçant son vêtement se fichèrent dans sa poitrine. La fine chaîne lui enserra le cou, puis se brisa, et elle sentit la croix tomber. Ruant dans le vide, elle essaya de se faire chavirer d’elle-même vers l’avant. Lorsque son talon rencontra la porte du placard, elle comprit, et, logeant un pied de chaque côté du chambranle, poussa sur ses jambes.

À travers le tissu de son vêtement déchiré, des échardes découpèrent des traînées sanglantes sur son ventre et ses flancs. Elle tira sur ses bras et lança des coups de pied jusqu’à parvenir enfin à se faufiler par le trou, puis, entraînée par son propre poids, bascula sur l’étagère. Elle tomba par terre en même temps que les serviettes et se reçut sur une épaule, le cou tordu, mais le choc fut amorti par une épaisse moquette.