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Galya roula sur le dos, le souffle coupé, dans un nuage de poussière. Elle toussa. Une douleur fulgurante lui vrilla le trapèze. Pas d’air pour crier. Elle releva ses genoux jusqu’au menton et serra les mâchoires. Des points noirs dansaient devant ses yeux, telles de diaboliques étoiles.

Lentement, elle fit entrer un peu d’air dans ses poumons, expira, inspira encore, jusqu’à retrouver une vision claire. Elle se coucha sur le flanc, en veillant à ne pas solliciter les muscles de son épaule, puis se mit à genoux au milieu des serviettes dont les motifs floraux accusaient le passage des années.

La peinture de la rambarde était d’un jaune brunâtre et terne, le papier peint de couleur identique. On aurait dit que quelqu’un avait fermé la porte de cette maison trente ans auparavant et n’y était jamais revenu. Même l’air semblait flétri.

Galya se mit debout et tendit le bras pour éprouver l’état de son épaule. La douleur s’atténua quand elle fit jouer l’articulation. Elle retint son souffle et tendit l’oreille. La voix au-dessus lançait toujours ses douloureux trilles, quoiqu’elle parût se fatiguer à présent. Au début, Galya avait cru à un chien, mais elle savait maintenant que c’était une voix humaine. Un être humain qui souffrait.

Un étroit escalier occupait le fond de la pièce où Galya avait échoué. Vers le haut, elle ne voyait que les premières marches, les autres se perdant dans l’obscurité. La plainte venait de là. Elle préféra tourner son regard vers le bas, vers l’issue qui lui permettrait de quitter cet endroit aux portes verrouillées où les hommes se comportaient de manière étrange.

Cette voix était-elle un appel au secours ? Bien sûr. Mais Galya devait absolument s’échapper avant que l’homme ne revienne. Et s’il s’agissait d’une fille comme elle ? Maintenait-il quelqu’un d’autre prisonnier dans cette maison ?

Elle demeura immobile pendant un long moment, figée sur place par l’indécision, le désir de s’enfuir le disputant à l’envie impérieuse de porter secours à la personne qui criait ainsi. Et si c’était moi, pensa-t-elle, enfermée là-haut, tout près, geignant comme un animal ?

« Je vais aider », dit Galya tout haut.

Elle s’approcha de l’escalier et leva les yeux pour sonder l’obscurité. Un courant d’air froid aspiré vers le haut passa près d’elle, comme suivant son regard.

« Il y a quelqu’un ? » lança-t-elle en anglais.

La voix s’arrêta net.

« Qui est là ? » demanda encore Galya.

La voix s’éleva de nouveau, plus fort, plus déchirante, avant de se briser dans les aigus.

Galya se ravisa et fit un pas en direction de l’escalier qui descendait au rez-de-chaussée. Elle s’immobilisa, un pied devant l’autre.

Une pensée lui vint à l’esprit, intraitable, sans pitié : Mama porterait secours.

Galya ne pouvait en douter. Elle se retourna vers l’étage et posa le pied sur la première marche. Le bois craqua.

La voix se tut, puis lâcha un glapissement terrible qui semblait arraché aux ténèbres. Galya s’appuya des deux mains aux murs de chaque côté pour ne pas vaciller.

« Va aider », dit-elle.

Elle monta, lentement, résolument, résistant à l’envie de faire demi-tour. Les murs étaient humides sous ses paumes. Les marches gémissaient sous son poids les unes après les autres. L’air se fit plus froid et une odeur pénétrante lui envahit les sens, comme celle qu’on respirait à la ferme de Mama, près des animaux malades et moribonds.

L’obscurité était moins dense lorsqu’elle parvint au sommet de l’escalier. Elle vit deux portes, l’une fermée, l’autre entrouverte. Dans le faible éclairage se dessinait un palier, de petite taille, pas plus d’un mètre carré.

Du bout des doigts, Galya poussa le battant qui s’ouvrit vers l’intérieur, laissant passer plus de lumière. Un lit à une place, ressemblant davantage à la couchette d’un prisonnier, était installé sous une fenêtre découpée dans le toit. Aucun autre meuble, hormis une chaise en bois simple et un portant auquel étaient suspendus des vêtements masculins.

Elle fit face à la porte fermée. Une clé dépassait sous la poignée. Elle la tourna, sentit le frottement du métal, le pêne qui sortait de la gâche. Le battant prit du jeu. Elle actionna la poignée.

Ce fut d’abord l’odeur qui l’assaillit. Urine, selles et bile, en couches successives, mal diluées dans une solution chlorée. Elle plaqua une main sur sa bouche et son nez. Les plaintes cessèrent, relayées par une inspiration difficile.

Un lit était dressé de l’autre côté de la pièce, tête contre le mur, sous la charpente du toit qui le surmontait comme un clocher d’église. Une forme s’agitait faiblement sous les couvertures.

Galya franchit le seuil, sentit le plancher froid sous ses pieds. Elle s’approcha lentement, sans quitter le lit des yeux. La forme poussa un cri. Une main maigre se balança dans le rai de lumière qui trouait l’air chargé de puanteur.

La main d’une femme, épuisée par l’âge, avec des ongles longs, jaunis et fendillés. Un entrecroisement de cicatrices et de croûtes récentes sur la peau.

« Vous m’entendez ? » dit Galya dans un souffle, à peine un murmure.

La voix répondit, un hululement qui mourut dans le sifflement de poumons vidés de tout leur air.

« Vous avez besoin d’aide ? » demanda Galya.

Une tête se souleva sur l’oreiller, un visage aux joues creuses, moucheté de rouge, avec de fines mèches de cheveux blancs vrillés sur un crâne rose. La femme avait des yeux noirs et fixes, une bouche édentée qui s’ouvrait et se fermait dans le vide. Les ligaments de son cou tremblaient sous l’effort qu’elle devait fournir pour soutenir sa tête, jusqu’à ce que, incapable d’en supporter le poids plus longtemps, elle la laisse retomber sur l’oreiller en gémissant.

Galya s’avança le long du lit. La femme la regardait, bouche béante. Un filet de bave coulait aux commissures de ses lèvres retroussées sur des gencives roses et luisantes.

« Aaaahhhh, dit-elle.

— Je ne comprends pas, dit Galya. Vous avez besoin d’aide ? Je vais chercher quelqu’un ? Un docteur ?

— Mwaah », dit la femme. Ses bras se soulevèrent, étirant des mains comme des griffes, mais ses jambes maigres et raides ne bougeaient pas sous les couvertures.

« Qu’est-ce que vous voulez ? » demanda Galya.

La vieille femme émit un chuintement entre ses gencives et saisit Galya par le bras. Galya tenta de se dérober, mais les doigts couverts de cicatrices s’enroulèrent autour de son poignet comme des lianes. La femme leva son autre main contre le bois écaillé de la tête de lit, dont le vernis portait des traces de sang séché, et racla ses doigts jusqu’à y ouvrir une nouvelle plaie.

« Arrêtez, dit Galya. Vous faites du mal à vous… C’est pas bien. »

La vieille femme resserra son étreinte quand Galya essaya de se dégager. De son index ensanglanté, elle traça des lignes sur les draps à hauteur de son ventre.

« S’il vous plaît, non, dit Galya. Je vais chercher aide. »

La femme montra avec insistance les formes sanglantes qu’elle venait de dessiner. Galya sentit sa vieille main lui lâcher le poignet au moment où elle baissait les yeux pour contempler les traits rouges qui maculaient le tissu. Peu à peu, un sens se dégagea du motif maladroitement étalé sur le drap.

Cinq lettres.

Un mot.

COURS.