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Après avoir garé sa voiture dans une rue peu fréquentée près de l’université de Queen’s, il ne fallut que vingt minutes à Lennon pour gagner à pied le centre-ville, malgré la lourde couche de neige sur les trottoirs. La circulation n’avançait pas. Mais lorsqu’il parvint aux abords du centre commercial et tourna le coin de Victoria Street, ses chaussures soi-disant imperméables avaient déclaré forfait, ses chaussettes étaient trempées et il ne sentait plus ses orteils.

Son portable sonna au moment où il repérait les deux agents de la circulation et l’homme qu’ils avaient arrêté. Il se colla au mur du centre commercial pour tenter de s’abriter et prit l’appel.

« La petite est restée seule toute la journée, dit Bernie McKenna.

— Elle n’est pas seule, répondit Lennon. Elle est avec Susan et Lucy.

— Au lieu de passer Noël en famille, elle est casée chez une simple voisine qui n’a pas le cœur de refuser.

— Ce ne sont pas de simples voisines, corrigea Lennon. Lucy est sa meilleure amie.

— Peut-être bien, répliqua Bernie, mais cette enfant ne mérite pas d’être délaissée un jour pareil. Je peux venir la chercher et la ramener demain avant le dîner. Elle profitera de Noël avec ceux qui veulent d’elle. Vous n’aurez pas à vous inquiéter.

— Je serai à la maison ce soir, dit Lennon. Elle passera Noël avec moi. »

Il dut faire un effort pour mettre de la conviction dans ses paroles, donner l’illusion qu’il y croyait vraiment. Famille ou pas, il préférait qu’Ellen se réveille le lendemain matin chez Susan que dans la maison de Bernie McKenna.

« Cette Susan m’a dit que vous aviez été appelé sur une affaire, reprit Bernie, qui jubilait de pouvoir exprimer ses reproches. Une histoire de meurtres. Elle ne savait pas quand vous alliez rentrer.

— Je serai là ce soir, dit Lennon. Vous verrez Ellen le lendemain de Noël, comme prévu. Ne me rappelez pas. »

Il raccrocha. Le téléphone sonna presque immédiatement, mais il le fourra dans sa poche après avoir appuyé sur la touche pour rejeter l’appel.

Un peu plus loin, un homme grand et large d’épaules dans sa veste en cuir se tenait au bord de la chaussée, l’air maussade, près d’une Mercedes noire, garée à moitié sur le trottoir, tandis que l’un des agents faisait signe aux voitures d’avancer.

Lennon s’approcha et montra sa carte aux agents. L’homme n’eut aucune réaction. Il regardait ailleurs, comme si la présence des policiers à ses côtés était le cadet de ses soucis.

« Herkus Katilius », dit Lennon.

Herkus haussa les épaules.

« Inspecteur Jack Lennon. Je suis chargé de l’enquête sur le meurtre de Tomas Strazdas, un de vos associés. »

Herkus daigna lui accorder un coup d’œil.

« Le frère d’Arturas Strazdas, votre employeur.

— Pas parler anglais, marmonna Herkus.

— C’est la deuxième fois que j’entends ça aujourd’hui, dit Lennon. Je n’y ai pas cru la première fois non plus. »

L’un des agents s’avança. « Il se débrouille très bien en anglais. »

Herkus le fusilla du regard.

Le portable de Lennon sonna de nouveau dans sa poche. Voyant que c’était Bernie McKenna, il rejeta encore une fois l’appel, puis régla le téléphone sur vibreur et le remit dans sa poche.

« Y a-t-il quelque chose que vous voudriez me dire à propos du meurtre de Tomas ? » demanda-t-il.

Herkus secoua la tête. Il fit la grimace quand son propre téléphone sonna.

« Vous attendez un appel ? » dit Lennon.

Herkus eut un sourire narquois. « Et vous ?

— Non. Pas de quelqu’un à qui j’aie envie de parler.

— Pareil pour moi », dit Herkus.

Lennon se demanda pour la dixième fois s’il aurait mieux valu qu’Herkus soit emmené au commissariat. Pour la dixième fois, il maintint sa décision. L’environnement sévère d’une salle d’interrogatoire pouvait faire fléchir l’individu moyen, mais Lennon devinait à un simple regard qu’Herkus n’en était pas à sa première expérience et que la vue d’une cellule ne lui ferait ni chaud ni froid. Un homme de sa trempe savait la boucler pendant le premier entretien en attendant l’arrivée de son avocat. Ce connard de Rainey qu’il avait croisé dans la chambre d’hôtel de Strazdas, probablement. L’homme de loi rappliquerait aussitôt et exigerait qu’Herkus soit relâché ou libéré sous caution. Et Lennon n’avait rien pour accuser le Lituanien, sinon de vagues rumeurs qu’il pouvait seulement essayer d’utiliser à son avantage en profitant d’une interpellation.

« Je suis au courant pour la fille », dit-il.

Le sourire s’effaça sur les lèvres d’Herkus. Puis revint lentement. « Quelle fille ? » demanda-t-il.

Lennon sortit le passeport de sa poche, l’ouvrit, approcha la photo sous le nez d’Herkus.

« La fille qui a voyagé avec ce passeport. Elle doit ressembler pas mal à celle-ci, sur la photo.

— Je sais rien de cette histoire, dit Herkus.

— Moi, si. J’ai appris beaucoup de choses. Je sais qu’elle a tué le frère de votre patron. Je sais que Darius Banys et Sam Mawhinney ont été exécutés en représailles. Je sais aussi que Mark Mawhinney s’est fait étrangler ce matin. Tôt ou tard, je vais commencer à penser que vous avez quelque chose à voir avec tout ça. Alors, je serai obligé de vous arrêter pour vous interroger officiellement dans nos locaux. »

Herkus se détourna. « Pas parler anglais, dit-il, les yeux dans le vague.

— Je vous repose la question, dit Lennon, sans durcir le ton afin de ne pas montrer son agacement. Est-ce que vous auriez quelque chose à me dire sur la mort de Tomas Strazdas ? Ou sur la fille qui en est la cause ?

— Je la connais pas, je vous dis. »

Lennon rangea le passeport dans sa poche. « Vous avez l’air fatigué, reprit-il.

— Vous aussi.

— C’est vrai, la nuit a été longue. Pour vous aussi, je parie.

— Oui, fit Herkus. Longue nuit.

— Sans doute à suivre tous les deux la même fausse piste », dit Lennon.

Herkus fronça les sourcils. « Hein ?

— Rien, peu importe. » Lennon s’approcha plus près, baissa la voix. « Il y a un bruit qui court… Vous pouvez peut-être me dire si c’est vrai ou pas.

— Peut-être.

— Il y aurait un homme, un micheton, qui a parlé à la fille avant qu’elle tue ce pauvre Tomas. Et il saurait peut-être où elle est allée. Vous avez entendu un bruit comme ça, vous ? »

Herkus sourit. « J’entends beaucoup de bruits.

— Il paraît aussi qu’un portrait de cet homme circule entre certaines mains, et qu’on offre une récompense à celui qui le retrouvera. Ce bruit-là aussi, vous l’avez entendu ? »

Le regard d’Herkus prit la tangente, comme un lézard qui détale pour se mettre à couvert. « J’entends beaucoup de bruits, je vous dis.

— Vous n’auriez pas une copie de ce portrait sur vous, par hasard ? »

Des flocons de neige s’accrochaient aux cheveux d’Herkus. « Qu’est-ce que c’est, portrait ?

— Une image », répondit Lennon. Le froid s’insinuait entre les plis de son manteau, apportant avec lui la fatigue. « Il est dessiné au dos d’une enveloppe. Des photocopies ont été distribuées à des chauffeurs de taxi.

— Vous avez entendu ce bruit-là ? » dit Herkus.

Lennon sentit que sa patience s’épuisait. « C’est bon maintenant, arrête de te foutre de ma gueule. Je sais que Gordie Maxwell donne des photocopies à ses chauffeurs. Je sais que tu as l’original. Passe-le-moi, qu’on puisse se casser d’ici et rentrer au chaud. »