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Herkus secoua la tête. « J’ai pas image.

— Vide tes poches, ordonna Lennon.

— Non.

— Je ne te demande pas ton avis.

— Impossible. Vous n’avez pas droit. » Herkus se tapota l’aile du nez et cligna de l’œil. « Je connais choses comme ça.

— Tu connais que dalle, dit Lennon. Fouille incidente à l’arrestation. Tu as des traces de poudre blanche autour des narines et les pupilles dilatées. C’est un motif raisonnable. Vide tes poches. »

Lennon claqua une main sur le toit de la Mercedes. « Ici. »

Herkus ne bougeait pas, le visage impassible.

« Tu veux venir au commissariat ? On peut fouiller la voiture aussi, pendant qu’on y est. »

La langue d’Herkus apparut entre ses dents, humecta ses lèvres. Il jura en lituanien et sortit une liasse de livres sterling et d’euros de la poche de son pantalon, puis des clés, un portefeuille.

« La veste aussi », dit Lennon.

Herkus jura encore et posa divers papiers, un paquet de cigarettes et un briquet sur le toit de la voiture.

Lennon examina le tout : factures d’hôtel, fiche horaire des vols pour Bruxelles, relevé de compte bancaire indiquant un solde de plus de quinze mille.

Mais pas de portrait.

« Écarte les bras. »

Herkus garda les mains le long du corps.

Lennon les souleva lui-même et repoussa les pans de la veste d’Herkus pour inspecter la poche intérieure. « Tu as un objet tranchant sur toi ?

— J’ai l’air de junkie ? » répondit Herkus.

Lennon passa le pouce sous son nez, montra la poudre blanche. « Oui, dit-il. Et pas qu’un peu. Si je me blesse, ça finira mal. Tu piges ? »

Herkus bâilla.

Lennon glissa la main dans une poche. Rien. Puis dans l’autre. Il sentit du papier.

« C’est quoi, ça ?

— Je sais pas. »

Lennon sortit le papier. Une enveloppe à fenêtre, ouverte, vidée de son contenu depuis longtemps. Au verso, l’esquisse grossière d’un homme avec un visage rond, d’épais cheveux noirs et une barbe. Lennon agita l’enveloppe sous les yeux d’Herkus.

« C’est pas mienne.

— Elle est tombée dans ta poche, c’est ça ?

— Sais pas.

— Et j’imagine que tu ne sais pas non plus qui c’est ?

— Sais pas.

— Alors, ça ne t’embête pas que je la garde. »

Herkus tendit la main. « C’est mienne, maintenant. Vous avez pas le droit de prendre. »

Ce salopard avait raison. Lennon ne pouvait alléguer aucun motif. Même dans le cadre d’une fouille incidente à l’arrestation, nulle loi n’interdisait de transporter un dessin dans sa poche. Lennon sortit son portable et l’approcha de l’enveloppe. Le téléphone fit entendre un bourdonnement synthétique puis un déclic au moment où la photo était prise. Il rendit l’enveloppe, en lui ajoutant une carte de visite.

« Si jamais tu t’aperçois que tu sais quelque chose sur la mort de ton associé, fais-nous signe. »

Herkus rangea la carte avec l’enveloppe et entreprit de ramasser ce qui lui appartenait sur le toit de la Mercedes. « Je peux aller, maintenant ? demanda-t-il.

— Oui, dit Lennon. Mais n’oublie pas, on t’a à l’œil, toi et ton patron. J’imagine qu’on se reverra dans pas longtemps. »

Herkus gagna la portière côté conducteur. « Joyeux Noël », dit-il avec un sourire ironique.

Lennon ne répondit pas.

38

Herkus s’inséra dans le flot des voitures, assisté par les deux agents de la circulation. Cet inspecteur ne lui inspirait rien de bon. Il avait connu un policier de son espèce, à Vilnius. Lequel était enterré dans les bois maintenant, pas loin de sa femme.

Il composa le numéro d’Arturas et annonça : « J’arrive.

— C’est pas trop tôt, dit Arturas.

— Je me suis fait arrêter par les flics. Ensuite, un inspecteur s’est pointé. Lennon, il s’appelle.

— Un blond, baraqué ?

— Oui, dit Herkus.

— Il est venu ici ce matin.

— Il est au courant pour la pute, dit Herkus. Il sait qu’elle a tué Tomas, et il sait qu’on la cherche.

— Il ne sait rien du tout. Il va à la pêche.

— Il est déjà pas mal au parfum. Il a le passeport avec lequel elle a voyagé. Il y a encore deux vols pour Bruxelles aujourd’hui. Un qui part de Belfast, l’autre de Dublin. Tirez-vous, le temps que l’orage se calme.

— J’ai promis à ma mère, déclara Arturas. Je lui ai promis que je retrouverais la pute. Tu veux la prévenir, toi ? Lui dire qu’on a pris la fuite ? »

Herkus réfléchit un moment. Il n’avait rencontré qu’une fois Laima Strazdiené. À l’époque, il vivait en Belgique depuis moins d’un an, se débrouillant tant bien que mal avec la langue française à Bruxelles, complètement largué en flamand quand il sortait de la ville.

Il travaillait dans un bordel près de la gare de Bruxelles-Central, fréquenté par des hommes d’affaires et des diplomates en transit. Son boulot était simple : garder la porte, refuser les sales têtes et les mauvais plans, et mettre une trempe en cas de souci à l’intérieur.

Il y avait du monde ce soir-là, enfin, sans que ce soit la foule non plus, jusqu’à ce qu’un Anglais — un politicien nommé Edward Hargreaves, si la mémoire d’Herkus était bonne — provoque un barouf d’enfer parce qu’une des filles avait piqué de l’argent dans son portefeuille. Herkus monta dans la chambre et s’interposa entre le client et la pute. Elle niait. Hargreaves s’étouffait de rage.

« Elle dit, elle n’a pas pris, dit Herkus en anglais.

— Bien sûr que si ! affirma le client en enfilant son pantalon. J’avais sept cents euros en arrivant ici. Quand je suis allé chercher l’argent pour la payer, il n’y avait plus que trois cents. Il manque quatre cents euros. »

Herkus interrogea la fille du regard. Elle lâcha un torrent d’insultes et d’invectives, parmi lesquelles il distingua seulement « enculé », un mot qu’il devinait lourd de sens. Hargreaves comprit aussi, à en juger par sa réaction.

Hargreaves se calma en entendant quelqu’un s’éclaircir la gorge, avec fermeté, sur le seuil de la chambre. Herkus se retourna au moment où Laima Strazdiené entrait. Elle lui arrivait à peine aux épaules, silhouette menue aux traits délicats qui évoquait un elfe, mais il sut aussitôt qu’il n’y avait rien de léger ni d’espiègle chez elle.

Ce n’était pas son tailleur de femme d’affaires et les bagues qui lui boudinaient les doigts, ni la raideur de ses épaules quand elle s’avança dans la chambre, ni ses lèvres pincées. C’était le froid glacé au fond de ses yeux, noirs comme des morceaux de charbon incrustés dans les orbites.

« Il semblerait qu’il y ait un problème ? » s’enquit-elle dans un anglais parfait.

Herkus expliqua, couvrant de son mieux les voix de la prostituée et du client qui protestaient en chœur.

Laima hocha la tête, une seule fois, et sourit poliment. « Un instant », dit-elle.

Elle sortit, laissant à leur étonnement Herkus, la fille et Hargreaves.

« Qu’est-ce qu’elle fout ? » demanda Hargreaves.

Avant qu’Herkus n’ait eu le temps de répondre, Laima revint, un rouleau de billets de cent euros à la main. Elle en compta quatre et les tendit au client.

« Naturellement, nous ne vous facturerons pas pour le service d’aujourd’hui, dit-elle.