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— Merci », fit Hargreaves.

Sans sa colère pour lui servir d’étai, il se trouvait renvoyé à la nature sordide de sa visite. Il s’habilla à la hâte et remercia encore Laima.

« Veuillez raccompagner ce monsieur », dit-elle à Herkus.

Herkus s’exécuta. Lorsqu’il eut entraîné Hargreaves dans le couloir, elle referma la porte. Les deux hommes ne prononcèrent plus aucune parole et leurs yeux évitèrent de se croiser quand les premiers cris retentirent dans la pièce derrière eux.

Une fois le client parti, Herkus s’attarda près de l’entrée. Il n’avait pas envie d’en entendre plus que nécessaire. Les autres filles se rassemblèrent dans le hall en échangeant des regards apeurés, sursautant, pour certaines, à chaque hurlement.

Bientôt les cris devinrent des gémissements, puis un silence entrecoupé de râles épuisés. Les filles regagnèrent lentement leurs chambres, des larmes dans les yeux, incapables d’encaisser ce qu’elles venaient d’entendre.

Enfin, Laima ressortit de la chambre. Elle s’essuya le front avec un mouchoir, la poitrine tressautant parce qu’elle respirait fort. Le tissu de dentelle tacha son front de rouge. Herkus faillit le lui faire remarquer, et il songeait à lui offrir un mouchoir en papier propre, quand il remarqua ses bagues.

Des cheveux s’en échappaient tels des filaments de barbe à papa. Sur les diamants restaient accrochés des lambeaux de peau.

« Cette jeune femme ne travaille plus pour nous, déclara-t-elle. Emmenez-la, elle n’a pas sa place dans mon établissement. »

Herkus déposa la fille suffisamment près des urgences de l’hôpital pour qu’elle puisse parcourir le reste du chemin en rampant. Il dut descendre la quasi-totalité d’une bouteille de vodka pour pouvoir s’endormir ce soir-là.

* * *

« Non, répondit-il, je ne veux pas la prévenir.

— Alors, on reste, dit Arturas. De toute façon, si cet inspecteur avait vraiment de quoi nous incriminer, il aurait déjà convoqué l’un de nous deux pour un interrogatoire officiel. Continue à chercher.

— Bon, fit Herkus. Mais c’est dangereux.

— Ne t’inquiète pas. Je serai généreux pour ton Noël cette année.

— Généreux, c’est-à-dire ? »

Un silence. Puis : « Très généreux.

— D’accord, dit Herkus.

— Mais d’abord, apporte-moi ce que je t’ai demandé. »

L’hôtel était en vue. « Ça vient », dit Herkus.

39

Galya savait avant même d’essayer que les portes seraient verrouillées. Pourtant, mue par l’espoir et la peur, elle alla à la porte d’entrée et la trouva hermétiquement fermée, la serrure doublée d’un lourd cadenas. Elle tira vers l’intérieur, consciente de l’inutilité de son geste, mais le battant ne bougea pas d’un pouce. Du bois, pas de verre, revêtu d’une épaisse couche de peinture.

Dans la cuisine, son estomac qui gargouillait lui rappela qu’elle n’avait pas mangé depuis… combien de temps ? Plus tard. Ce n’était pas le moment de penser à ça. Elle préféra consacrer son attention à la porte donnant sur le jardin de derrière. Elle secoua la poignée. Rien, pas même un tremblement. Une montée de panique dans sa poitrine. Elle posa une main sur son cœur, pour contenir la peur.

La fenêtre au-dessus de l’évier.

Lorsqu’elle tira sur le voilage, il glissa à terre tel un ange rendant son dernier soupir. Elle attrapa une des chaises près de la petite table et la lança contre la vitre. La chaise retomba sans avoir entamé le verre, mais une tasse délogée de l’égouttoir explosa sur le carrelage. Contemplant les morceaux épars, elle eut la vision d’une tache rouge qui s’étalait sur un maillot de football jaune. Elle ferma les yeux et chassa l’image.

Du double vitrage renforcé, comme dans la chambre dont elle s’était échappée. Elle savait qu’elle épuiserait en vain ses dernières forces à essayer de le briser. Mais que faire ? Elle ne pouvait pas rester à attendre qu’il revienne.

Galya retourna à la porte et saisit le cadenas, le tourna entre ses mains.

Toute serrure a une clé.

Cherche-la.

Elle ouvrit un à un les tiroirs de la cuisine, ne vit que de vieux couverts et un ramassis d’objets inutiles : piles usagées, attaches en plastique provenant d’un kit de meuble à monter soi-même, rouleaux de ruban adhésif. Le genre de choses que les gens jetaient, en général. Mais pas cet homme.

Dans le dernier tiroir, tout au fond, elle découvrit un téléphone portable. Rose vif, avec une fleur collée derrière l’étui. Elle se demanda un instant où il s’était procuré un téléphone qui semblait appartenir à une petite fille, mais bloqua aussitôt ses pensées, avant que celles-ci ne l’entraînent trop loin et ne ramènent dans sa poitrine une peur qu’elle ne pourrait contrôler. Elle appuya sur le bouton « On » en maintenant la pression.

Comme l’écran demeurait éteint, elle rejeta le téléphone dans le tiroir.

N’ayant rien trouvé non plus dans les placards, Galya retourna dans le vestibule. Il y avait deux autres portes. Elle ouvrit la première, mais rencontra une résistance après l’avoir entrebâillée de quelques centimètres. Un espace à peine assez large pour y passer la tête et regarder à l’intérieur.

Dans la pénombre, des cartons s’entassaient presque jusqu’au plafond, renfermant papiers et documents, outils au rebut, articles pour la maison. Elle distingua aussi des sacs de vieux vêtements, de couvertures et de draps. L’un de ces empilements, en s’effondrant, avait déversé son contenu contre la porte. L’air était chargé d’une odeur épaisse, mélange d’humidité et de poussière qui ne pouvait s’échapper. La porte n’avait pas dû être ouverte depuis des mois, pensa Galya, peut-être des années. Elle la referma, rendant à l’obscurité cette accumulation de vieilleries.

La deuxième porte ouvrait sur un salon. Un canapé l’occupait en son centre, devant une table basse sur laquelle était posée une bible imposante. Pas d’autre mobilier, hormis une pendule sur la cheminée. Ici aussi, un voilage tamisait la lumière du jour.

Elle s’approcha de la table et examina le livre. Un signet aux couleurs jaunies était glissé entre les pages, orné d’une image de Jésus à genoux, son regard bleu croisant celui d’un enfant, complété en dessous par un verset en caractères savamment élaborés. Galya lut le mot « souffrir » et plongea dans sa mémoire pour chercher la traduction en russe. Quand elle trouva la réponse, elle détourna les yeux.

Lui apparut alors un meuble qu’elle n’avait pas encore remarqué, derrière la porte. Un secrétaire ancien dont le rouleau était relevé, comportant une quantité de petits compartiments étagés autour d’un tiroir de taille plus importante, l’ensemble surplombant un sous-main en cuir comme les murs d’une forteresse. Autant de cachettes idéales pour une clé.

Galya fouilla les casiers les uns après les autres. Rien, à part quelques morceaux de papier froissé. Elle tira enfin sur la poignée du gros tiroir, mais celui-ci ne s’ouvrit pas.

Une certitude qu’elle savait pourtant vaine la saisit aux tripes : la clé qu’elle cherchait était rangée là-dedans. Elle dégagea les petits espaces disposés de part et d’autre, quatre au total, afin de pouvoir y glisser les mains. Le bois était froid et sec contre ses doigts qui palpaient les côtés du tiroir, essayant de se frayer un chemin pour en explorer le contenu.

Il y avait quelque chose à l’intérieur. C’était doux au toucher, comme un tissu de velours. Elle enfonça plus loin les doigts, se meurtrissant les chairs contre le bois, jusqu’à réussir à passer les articulations. Sans tenir compte de la douleur, elle se concentra sur une autre sensation. Un objet dur — non, plusieurs objets — sous le velours, à peine perceptibles au toucher.