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Il lui lâcha la tête et essuya sa main mouillée de bave sur les couvertures. Le silence l’enveloppa comme un manteau. Il s’y abandonna avec bonheur, un bref instant, puis partit en laissant la chose à son sommeil.

Il savait qu’un jour elle ne se réveillerait pas, que son corps ne supporterait plus le sédatif, mais il s’en moquait. Parfois, il se demandait pourquoi il la gardait en vie. Peut-être la considérait-il, bizarrement, comme un animal domestique tombé en disgrâce. Un hamster ou un poisson qui a depuis longtemps cessé d’amuser les enfants, mais que les parents continuent à nourrir en espérant secrètement sa fin.

De retour dans la cuisine, il rassembla le matériel qui lui serait nécessaire. Un grand saladier à remplir d’eau chaude, une bouilloire, des gants de toilette, du savon, une brosse à dents, un paquet de bicarbonate de soude, des colliers de serrage en plastique, sa torche électrique, et une autre seringue de sédatif.

Mais celle-ci comportait une aiguille.

Il s’était constitué une bonne réserve de barbituriques trois ans auparavant en s’introduisant par effraction dans une clinique vétérinaire de campagne, entre Lisburn et Moira. L’endroit sentait le désinfectant et les selles canines. Après avoir déambulé dans les couloirs et pris ce qu’il lui fallait, il était parvenu à une pièce aux murs garnis de cages.

Des chiens le regardaient derrière les barreaux. Ils étaient trois, haletants, la langue pendante. Il approcha son doigt de l’une des cages, laissa l’animal lécher son gant. C’était une sensation étrange, cette humidité liquide perçue à travers une fine membrane de caoutchouc. Dans son esprit montait une image, surgissant comme un requin des ténèbres abyssales. Il ferma les yeux pour chasser le souvenir avant que ce dernier ne puisse prendre forme.

Il y avait des choses oubliées auxquelles il valait mieux barrer l’accès du monde éveillé. Dans ses rêves, il ne pouvait empêcher qu’elles lui viennent, mais jugeait préférable de dresser un mur entre son ancien et son nouveau moi tel que celui-ci lui apparaissait au présent.

Abandonnant les chiens à leur prison obscure, il fit un dernier tour dans la clinique pour s’assurer qu’il n’avait laissé aucune trace de son passage, et ressortit.

La police avait lancé un appel au journal télévisé, expliquant que les médicaments volés constituaient de dangereuses drogues si elles tombaient entre de mauvaises mains. Mais il ne fallait pas s’inquiéter, ses mains à lui étaient précisément les bonnes. Elles l’avaient prouvé en accomplissant son œuvre jusqu’à présent, et ce soir encore.

Si Dieu le voulait.

Il emporta une chaise — celle qu’il avait trouvée renversée en revenant à la maison un peu plus tôt — dans le vestibule et la laissa près de la porte de la cave, puis retourna à la cuisine pour chercher le reste du matériel. Quand tout fut prêt, il glissa dans sa poche la seringue dont l’aiguille était protégée par un capuchon en plastique. Il prit la torche dans sa main droite, posa la main gauche sur la poignée de la porte.

Le battant s’ouvrit vers l’intérieur et il sentit le noir monter à sa rencontre. Il alluma la torche, dirigeant le faisceau sur les marches pour s’éclairer dans la descente. Tendant l’oreille, il entendit la respiration paniquée de la fille en bas.

Bien sûr, elle savait que l’heure était venue. Elle tenterait quelque chose et il devait se tenir prêt. Mais elle était petite, légère, en face de lui qui était fort et lourd. Elle n’aurait pas le dessus dans un corps à corps.

Il s’arrêta à mi-hauteur et promena le rayon lumineux autour de la cave, explorant les coins et les anfractuosités. À sa grande surprise, il la découvrit recroquevillée près du placard ouvert. Elle n’avait pas essayé de se cacher, comprenant peut-être que sa tentative serait vaine. Mais elle avait passé tout ce temps à chercher un moyen de fracturer la caisse à outils posée à côté.

« Laisse ça », dit-il.

Elle leva les yeux, montrant les dents comme un animal surpris en train de dévorer une carcasse. Il regretta immédiatement cette association. Elle avait de si jolies dents.

« Debout », dit-il en descendant deux autres marches.

Elle tira sur le couvercle de la caisse à outils en lâchant un grognement sourd, les tendons de son cou crispés par l’effort. Puis elle tourna la caisse, la dressa sur une extrémité, l’agrippa à deux mains, et rassembla ses forces pour la soulever du sol tandis que le poids des outils se déplaçait à l’intérieur. Elle la laissa retomber sur le béton recouvert de linoléum, essayant encore de l’ouvrir.

« Tu n’y arriveras pas, dit-il en approchant de la dernière marche. C’est du matériel solide. »

Au moment où il posait le pied sur le linoléum, elle attrapa encore la caisse à outils et voulut la lancer dans sa direction. La caisse s’écrasa bruyamment sur le sol quelques centimètres plus loin.

Elle s’accroupit et se roula en boule, oscillant sur ses pieds écorchés, la tête enfouie dans ses mains. Elle marmonnait quelque chose dans sa langue, et il se demanda si elle priait. Il distinguait seulement le mot « Mama », qu’elle répétait en boucle.

« S’il te plaît, lève-toi », dit-il.

Elle restait à terre, se balançant d’avant en arrière, les mains plaquées sur sa tête, murmurant contre ses genoux.

Il vint se placer derrière elle et passa la torche électrique dans sa main gauche, sortant avec la droite la seringue de sa poche. Il arracha le capuchon d’un coup de dents et le cracha. « S’il te plaît, dit-il. Je te le demande une dernière fois. Lève-toi. Ne me rends pas la tâche plus difficile. »

Elle serra plus fort ses bras autour de sa tête.

Il posa la torche sur le béton, doucement, pour ne pas faire de bruit, puis se redressa. La torche roula sur elle-même et projeta son ombre contre le mur. Il se pencha, attrapa la fille par les cheveux et, en tirant, l’obligea à se lever.

Elle hurla quand l’aiguille s’enfonça dans sa fesse. Il appuya sur le piston avant qu’elle ne puisse lui échapper, puis la repoussa violemment. Elle alla percuter le mur opposé et s’effondra, criant toujours.

« Tais-toi, dit-il. Ça n’a pas fait mal, hein ? »

Elle ne disait rien et se parlait seulement à elle-même, continuant à prier dans sa langue bizarre.

« Tu aurais pu l’avaler avec du café et quelque chose à manger, si tu m’avais écouté. Regarde le résultat maintenant. »

Le débit de la fille ralentissait, sa tête commençait à dodeliner.

« Mais ça agit plus vite ainsi, dit-il en s’approchant d’un pas. Tu vas plonger en un rien de temps. Tu peux dormir, laisse-moi m’occuper de tout. Ne t’inquiète pas, tout ira bien. Tu seras bientôt chez toi. »

Elle ne bougeait déjà plus avant qu’il n’ait terminé de parler. L’homme qui se dénommait lui-même Billy Crawford se mit alors à l’ouvrage. Il ne craignait pas d’être interrompu. C’était la nuit de Noël, après tout.

49

Lennon se gara devant la maison de brique rouge. Trois étages, un petit jardin mal tenu. Le genre d’édifice qui, trois ans plus tôt à peine, aurait été raflé par un promoteur immobilier et divisé en plusieurs appartements de location, ou restauré en une belle demeure individuelle. La plupart des habitations du quartier semblaient avoir évolué de la sorte, mais pas celle-ci.

Il sortit son téléphone de sa poche et consulta ses mails. Connolly avait copié-collé les informations dans le message et importé une image de ViSOR. Lennon comprit aussitôt pourquoi ce profil déclenchait un signal d’alarme : la photo et le portrait dessiné sur l’enveloppe présentaient une indéniable ressemblance. Même visage rond, même nez large. Pas de barbe, mais cela ne signifiait rien. La cicatrice visible au-dessus du sourcil offrait l’élément le plus convaincant. Du côté droit sur le portrait — à gauche sur la photo —, mais c’était là un détail que l’on pouvait clairement imputer à une défaillance de la mémoire chez l’artiste. Nul doute qu’il s’agissait bien de l’homme recherché par les Lituaniens.