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Lennon lut le reste du message, bien que celui-ci n’ajoutât guère aux renseignements déjà communiqués par Connolly durant leur conversation téléphonique. La prostituée avait été enlevée un samedi soir dans Sackville Street, en plein centre de Manchester, aux environs de vingt-deux heures, et retrouvée ligotée à l’arrière de la camionnette de Paynter lors d’un contrôle d’alcoolémie à sept heures le lendemain matin, près de l’arrondissement du commissariat de Salford.

Sommé d’expliquer pourquoi la jeune femme était retenue prisonnière, Paynter n’avait apporté aucune réponse. Elle souffrait seulement de blessures sans gravité, et, au cours de l’entretien, elle raconta que son ravisseur lui avait lavé les pieds tout en délivrant un sermon par lequel il se comparait à Jésus. Il avait ensuite tenté de la violer, mais s’était montré incapable de parvenir à l’excitation suffisante pour mener l’agression à son terme.

Le compte rendu des faits, curieusement, mentionnait aussi que Paynter lui avait longuement examiné et nettoyé les dents.

Au procès, Paynter plaida coupable et n’apparut pas à la barre. Le jugement fut prononcé moins de trente-six heures plus tard.

Après sa libération, Paynter retourna vivre chez sa mère dans le quartier de Eccles Old Road et fut inscrit au fichier des criminels sexuels. Il garda profil bas jusqu’à la mort de sa mère, deux ans plus tard. Quelques jours après l’enterrement, il annonça à la police du Grand Manchester qu’il partait en Irlande du Nord pour s’installer chez sa tante à Belfast. En maçon qualifié, il ne pouvait que tirer avantage du boom de l’immobilier provoqué par l’aboutissement du processus de paix.

Il se fit dûment enregistrer par les services de police d’Irlande du Nord et respecta les mesures de contrôle pendant l’année suivante.

Puis il disparut.

Les efforts soutenus des enquêteurs, par le biais des interrogatoires auxquels ils soumirent tous ceux qui le connaissaient — peu nombreux — demeurèrent sans effet. Comme Paynter s’était bien comporté depuis sa libération, et que les moyens faisaient défaut, on n’accorda plus guère d’attention à son cas au bout de quelques semaines.

La tante jura qu’elle ignorait tout de ses déplacements, le comptable ayant rempli sa dernière déclaration d’impôts était mort d’une crise cardiaque, et l’entrepreneur qui lui fournissait l’essentiel de son travail avait plié bagage, direction l’Espagne, dès le premier recul accusé par le marché.

Lennon retournait donc à la case départ en venant interroger Sissy Reid, la tante de Paynter, chez qui celui-ci avait vécu à son arrivée à Belfast.

Il rangea son téléphone et ouvrit la portière. Une bouffée d’air froid le fit frissonner. Lâchant un juron, il descendit de voiture. Ses chaussures crissaient dans la neige qui ne s’était pas encore transformée en cette gadoue d’un brun grisâtre qu’il connaissait bien. Il verrouilla la portière.

Nulle empreinte de pas ne ternissait le manteau blanc qui recouvrait l’allée du jardin. Il était le premier visiteur depuis que la neige avait commencé à tomber plus dru le matin, et apparemment, personne non plus n’était sorti par la porte principale. Aucune lumière ne brillait aux fenêtres.

La maison était-elle encore habitée ? D’après le compte rendu, la tante n’avait pas de famille, mais peut-être passait-elle Noël chez une amie.

« On verra bien », dit Lennon tout haut. Seule dans l’air glacé de l’hiver, sa voix rendit un son dur et tranchant.

Il ouvrit le portail et remonta jusqu’à la porte en s’enfonçant dans la neige.

Pas de sonnette.

Il frappa, et attendit.

50

Herkus trouva le chauffeur en train de jouer à un jeu d’arcade dans un fish and chips d’Antrim Road. À présent que leurs courses de Noël étaient terminées, les gens désertaient la ville pour rentrer se mettre au chaud, et le trajet en voiture n’avait pas pris longtemps. Il usait pourtant ses dernières réserves de patience, d’autant plus qu’une douleur lancinante s’était installée derrière ses yeux.

Mackenzie. C’était le nom du chauffeur, avait indiqué Gordie Maxwell, ajoutant qu’on le reconnaissait facilement au tatouage UVF[6] qu’il portait sur le dos de la main.

Se sentant observé, Mackenzie pivota sur ses talons. Il haussa les sourcils. « Bon sang, lâcha-t-il, Gordie ne déconnait pas quand il t’a décrit comme une putain d’armoire à glace. »

Herkus sortit l’enveloppe de sa poche et la lui montra. « Ce type-là. Qui c’est ? »

Mackenzie retourna à son jeu. « Gordie a dit qu’il y aurait de la thune pour moi.

— Ça dépend de ce que tu me racontes », répliqua Herkus.

Mackenzie ricana. « Ce que je raconte, c’est fonction de la thune. Noël coûte cher de nos jours et les temps sont durs, avec la crise et tout. »

La douleur démangeait Herkus à l’intérieur du crâne. Il s’éclaircit la gorge. « Je te pose la question une dernière fois. C’est qui, ce type ? »

Mackenzie lui fit face. « Espèce de sale Polack. Je suis pas un petit voyou que tu peux avoir à ta botte comme ça. Demande autour de toi, on t’expliquera… »

Herkus lui envoya un coup de poing dans les couilles. Sans ménagement.

Mackenzie se plia en deux et s’effondra, le souffle coupé, rouge écarlate.

La serveuse derrière le comptoir poussa un cri aigu. Herkus pointa sur elle un doigt épais et la fit taire d’un regard menaçant.

Il s’accroupit à côté de Mackenzie, recroquevillé en position fœtale, les mains plaquées sur son entrejambe.

« Je ne suis pas polonais, dit-il. Alors, c’est qui, ce type ? »

Mackenzie voulut discuter, mais Herkus lui saisit le visage dans son énorme main.

« Je suis de mauvaise humeur. Et fatigué. Ne cherche pas bagarre avec moi, sinon je te fais très mal. Tu comprends ? »

Mackenzie acquiesça.

Herkus le relâcha. « Bon. Maintenant, parle.

— Je ne suis pas sûr à cent pour cent, dit Mackenzie, mais y avait un gars… J’allais souvent le chercher chez Roscoe Patterson. Enfin, dans les apparts où Roscoe fait bosser ses filles. Il ne parlait jamais. Muet comme une carpe.

« Une des filles m’a raconté qu’il ne voulait jamais rien faire avec elles. La seule chose qui l’intéressait, c’était les entretenir de religion et de bondieuseries. Genre, il essayait de les convertir. Moi, personnellement, ça me dérangeait pas. Des barges, y en a pour tous les goûts.

« Le truc, c’est qu’il me demandait chaque fois de le déposer à un endroit différent. Toujours dans le coin de Cavehill Road, mais jamais au même numéro. Genre, il voulait pas que je sache où il créchait. »

Herkus lui fourra l’enveloppe sous le nez. « Ce type-là ? C’est lui ?

— Oui, je crois bien, dit Mackenzie. En tout cas, ça lui ressemble. Avec la cicatrice et tout. Mais il y a eu une fois, je l’ai pris du côté de Newtownards et je l’ai ramené à Cavehill Road. La course faisait douze livres. Il m’a donné le pognon, il est descendu, et je suis reparti. Sauf qu’après, je me suis aperçu qu’il m’avait refilé un billet de cinq au lieu de dix, putain. »

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6

Ulster Volunteer Force (Force volontaire d’Ulster) : groupe paramilitaire loyaliste luttant contre l’IRA et pour le maintien de l’Irlande du Nord dans le Royaume-Uni.