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Il sourit encore une fois et se mit à genoux devant elle. Le linoléum avait été roulé pour laisser apparaître le béton en dessous. Galya vit les formes rectangulaires aux endroits où la dalle avait été creusée, puis comblée. Et elle savait pourquoi.

« Tu as déjà lu la Bible chez toi, dans ton pays ? » demanda-t-il.

Elle comprenait les mots, mais pas le sens de la question. « La Bible ?

— La Bible, oui. À propos de Jésus.

— Oui, répondit-elle. Je vais à l’église.

— Alors tu connais l’histoire de Marie-Madeleine.

— Oui. »

Elle frémit en le voyant sortir une pince coupante de sa poche.

« Ne t’inquiète pas, tout va bien », dit-il. Sa voix était grave et douce.

Elle sentit une pression sur sa cheville, entendit un claquement sec, et son pied fut libre un instant, avant qu’il ne le saisisse d’une main ferme. Elle se raidit.

« Ne lutte pas, dit-il. Détends-toi. »

Elle laissa aller sa jambe. Il prit son pied sur ses genoux et en examina la plante, soufflant sur les plaies, grimaçant comme elle lorsqu’il l’effleura du bout des doigts.

« Et tu sais que Marie-Madeleine Lui a lavé les pieds ? » Tout en parlant, il extrayait délicatement des fragments de verre brisé. « Survint une femme de la ville, une pécheresse. Elle avait appris que Jésus mangeait chez le pharisien, et elle apportait un vase précieux, plein de parfum. »

De sa main libre, il versa un liquide visqueux sur l’éponge qu’il plongea ensuite dans l’eau bouillante. Il malaxa l’éponge entre ses doigts pour produire de la mousse.

« Toute en pleurs, elle se tenait derrière lui, à ses pieds, et ses larmes mouillaient les pieds de Jésus. Elle les essuyait avec ses cheveux, les couvrait de baisers et y versait le parfum. »

Il passa l’éponge sur la plante du pied de Galya. Réagissant à la mousse qui la piquait, sa jambe tressauta. Il lâcha un petit rire qui se voulait rassurant.

« En voyant cela, le pharisien qui avait invité Jésus se dit en lui-même : “Si cet homme était prophète, il saurait qui est cette femme qui le touche, et ce qu’elle est : une pécheresse.” »

Il frotta l’éponge plus fort sur la chair meurtrie. Elle poussa un cri. Sa voix rendait un son creux dans la cave.

« Tu vois, Jésus était humble, dit-il. C’était une prostituée et une pécheresse, mais Il l’a autorisée à Lui laver les pieds. Et ensuite, pendant la Cène, Il a lavé les pieds de Ses disciples. Et Pierre dit : “Non, Seigneur, jamais tu ne me laveras les pieds.” Mais Jésus le fit, même si c’était indigne de Lui. Alors, même si tu es une prostituée et une pécheresse, moi aussi, je vais te laver les pieds. »

Il lui mit le pied dans l’eau bouillante, ravivant la douleur de ses chairs à nu. Elle serra les dents. Il reprit la pince et lui libéra l’autre pied.

« Ainsi, tu seras sauvée, dit-il. Je te remettrai à Lui propre et baignée. »

Tendant le bras, il lui saisit le menton entre ses doigts, posa le pouce sur sa bouche. Elle sentit le goût du savon. Le pouce écarta ses lèvres et s’enfonça jusqu’à buter contre les dents.

« Propre, répéta-t-il. Je vais te rendre tellement propre. »

53

Herkus recula sur la chaussée et leva les yeux vers la bâtisse. Dans la lueur orangée d’un lampadaire, la maison voisine montrait les signes d’un délabrement avancé, mais celle-ci était bien entretenue. Seules les fenêtres dénotaient. Une construction ancienne de ce genre-là devrait avoir des fenêtres à guillotine en bois, pas en PVC et équipées de double vitrage.

Il regarda autour de lui.

Un endroit insolite. Deux maisons côte à côte, loin de toutes les autres, dans un virage. Elles n’avaient aucun vis-à-vis, ni devant ni derrière, et le quartier ne paraissait guère fréquenté.

Un grand froid prit Herkus aux tripes, glacé comme le vent qui soufflait des flocons de neige. Il savait beaucoup de choses que nul homme ne devrait savoir. Des choses qu’on ne pouvait oublier, quand bien même on le voudrait.

Et Herkus savait qu’on tuait des gens ici.

Prudence, donc. Il retourna prendre le Glock 17 dans la Mercedes. Le poids de l’arme dans sa poche le rassura.

Il s’engagea dans une allée qui longeait la maison, remarquant les traces de pneus à demi recouvertes de neige, et déboucha dans une cour.

Les traces dessinaient les deux côtés d’un triangle, à l’endroit où le véhicule avait tourné pour franchir en marche arrière le portail de bois, à présent fermé. Ce serait verrouillé, à coup sûr, mais Herkus vérifia malgré tout.

Il s’accroupit et colla ses yeux devant l’interstice par lequel apparaissaient le cadenas et la chaîne. Comme à l’avant de la maison, il n’y avait aucun signe de vie. Mais une camionnette était garée dans la cour. Son propriétaire se trouvait ici quelque part, Herkus en était certain.

En se dressant sur la pointe des pieds, il atteignait juste le haut du portail. Le bout de sa chaussure trouva une prise suffisante pour lui permettre de prendre appui et de soulever sa lourde masse à bout de bras.

Il retint son souffle, le temps d’inspecter la cour en un regard. Malgré l’obscurité, il distinguait de vagues formes sous la neige. Une brouette, quelque chose qui ressemblait à une bétonnière, et d’autres silhouettes noyées dans la blancheur.

Se hissant de nouveau, il balança les jambes par-dessus le portail et le reste de son corps suivit. Herkus n’avait ni grâce ni légèreté. Il atterrit lourdement, ses chevilles et ses genoux accusant le choc. Après avoir retrouvé son équilibre en se tenant au portail, il s’avança vers la camionnette.

Il posa la main sur le capot. Froid. Examina le sol. Des empreintes de pas entre la camionnette et le portail, puis jusqu’à la maison, recouvertes d’une couche de neige fraîche. Pas d’autres traces, hormis les siennes.

Herkus gagna la porte de service, essaya de tourner la poignée. Bloquée. Il s’approcha de la fenêtre.

Les mains en visière, il distingua la cuisine de l’autre côté de la vitre, et, plus loin dans la maison, une faible lueur. Il repéra dans la cour, à moitié enseveli sous la neige, un tas de briques soigneusement disposées pour former un cube, en prit une dont il éprouva le poids, puis retourna à la fenêtre.

D’un geste appuyé, il lança la brique dans la fenêtre. Il dut reculer précipitamment pour ne pas recevoir le projectile qui revenait vers lui, ayant à peine éraflé la vitre.

Du verre trempé, se dit-il. Quelqu’un ici tenait à limiter les entrées dans la maison, et peut-être aussi les sorties. Mais Herkus n’était pas homme à se laisser arrêter par une plaque de verre trempé. Il pouvait se servir du Glock, bien sûr, sauf que le bruit de la détonation porterait dans les rues alentour et attirerait l’attention.

Il lui suffisait d’un bon tournevis dont il glisserait la pointe au coin de la vitre, et d’une masse avec laquelle frapper sur le manche. La brique ferait l’affaire. Quant au tournevis, il en avait un dans la voiture.

« J’arrive », dit-il en s’adressant à la fenêtre.

54

Billy Crawford ne bougea plus, l’oreille aux aguets.

Qu’avait-il entendu ?

Un bruit assez fort pour être perçu malgré les cris étouffés de la fille. Il travaillait depuis un moment avec la brosse à dents et le bicarbonate de soude en lui tirant la tête en arrière, bouche ouverte de force.