Выбрать главу

C’était elle, la cause. Elle qui avait attiré cet intrus ici, avec son odeur de fille, comme une chienne qui rameute les chiens des lieues à la ronde.

« Chienne, dit-il. Sale chienne. »

Il se plaqua une main mouillée sur la bouche. Avait-il dit ça ? Lui était-il jamais arrivé de prononcer de telles paroles ?

Elle l’y avait poussé. Par sa faute, ce mot dont il se représentait les lettres immondes lui avait échappé. Elle était diabolique. Avant de s’enfuir, il devait l’envoyer rejoindre ses semblables sous le sol de la cave.

Il voulut lui percer la tempe, mais son geste fut arrêté par l’étranger qui gémit lorsqu’il lui retira le tournevis du ventre.

Edwin Paynter inspira profondément pour apaiser le feu de la révélation. Reste calme, pensa-t-il. Il savait ce qu’il avait à faire.

« Chaque chose en son temps », dit-il.

Paynter repoussa la tête de l’étranger en arrière, lui tâta la gorge. Il leva le tournevis en inversant sa prise sur le manche.

« Il y a un flic… », dit l’étranger.

63

Herkus aspira une goulée d’air et rejeta du sang.

« Le flic, dit-il. Il est au courant pour toi. »

Son esprit s’accrochait à cet ultime lambeau de logique. N’importe quoi, du moment qu’il réussissait à arrêter le fou, à gagner du temps.

« Quel flic ? » demanda le fou.

Herkus fouilla dans sa mémoire, luttant contre le brouillard douloureux qui lui envahissait les sens. « Lennon…, dit-il. Lennon. Il connaît ton visage. »

Un mélange brûlant de bile et de sang bouillonna dans sa gorge. Il toussa et poussa un hurlement, le ventre en feu.

« Comment il le connaît ? » demanda le fou.

Herkus rua, essaya de se dégager en rampant. Le fou posa un genou sur son estomac. Herkus hurla encore.

« Dis-moi comment il connaît mon visage.

— Le dessin, haleta Herkus, qui souffrait le martyre.

— Lui aussi ? Qu’est-ce que tu racontes ? »

Herkus voulut répondre, avec l’espoir de sauver sa vie en partageant ce qu’il savait, mais la douleur l’anéantissait et le privait de langage.

« Dis-moi. » Le fou lui soufflait son haleine chaude au visage.

L’obscurité se fit plus dense. Herkus tenta désespérément de mobiliser sa langue, de forcer l’entrée d’air dans ses cordes vocales, mais il ne lui restait plus rien. Rien, sauf les flammes qui lui consumaient l’estomac et avalaient son être tout entier.

Et les visages.

Tous ces visages qui l’attendaient.

Oh, mon Dieu, pensa-t-il. Les mots dansaient dans son esprit, comme de brillantes étoiles au-dessus de lui.

Oh, mon Dieu, pardonne-moi.

Un éclair plus vif lui transperça la gorge, et il sut qu’il n’y avait pas de pardon. Seulement le feu.

64

Couchée sur le flanc, Galya sentit la chaleur se répandre sous son corps, la même odeur métallique qui l’avait submergée un jour plus tôt à peine. Elle se tordit en tous sens pour échapper au flot de sang, mais la chaise la retenait prisonnière. À coups de langue, jouant des mâchoires, elle réussit à expulser la serviette de sa bouche.

Derrière elle, le bruit d’un objet dur qui perçait la chair. Un homme qui soufflait à chaque assaut, l’autre qui gargouillait et haletait, jusqu’à ce que tout se confonde dans un grognement animal.

Elle essaya de basculer son poids. Si elle se retournait, se mettait à genoux, elle réussirait peut-être à s’enfuir. La chaise se souleva, puis retomba. Galya recommença, tirant sur ses épaules. De nouveau, la chaise retomba.

Galya accompagna son effort d’un cri strident. Cette fois, la chaise suivit le mouvement et elle put se mettre à genoux. Ravalant son cri, elle poussa de l’avant.

La chaise fut tirée en arrière.

« C’est toi qui as fait ça », dit-il.

Il rabattit violemment la chaise, tordant les bras de Galya dont la tête heurta le sol. Des étincelles s’allumèrent devant ses yeux. Elle l’entendit qui s’éloignait, puis revenait. Il avait le souffle court et respirait par saccades.

Aveuglée par une lumière soudaine, elle détourna la tête.

« Regarde-moi », dit-il.

Le faisceau de la torche se fraya un chemin à travers les paupières de Galya qu’elle fermait pourtant de toutes ses forces.

Une paume mouillée la gifla. « Regarde-moi. »

Ouvrant les yeux une fraction de seconde, Galya distingua le visage lunaire penché sur elle dans la lumière.

« Tout ça est arrivé par ta faute. C’est toi qui as amené cet homme ici. Tu m’as obligé à le tuer. À cause de toi, tout est raté et je dois m’enfuir. »

Les quelques mots qui lui vinrent à l’esprit sortirent de la bouche de Galya en russe.

« Parle anglais », dit-il.

Elle répéta. Les seules paroles qui eussent encore un sens pour elle.

« Je ne comprends pas ce que tu racontes », dit-il. Il secoua la tête. « Peu importe. »

Il pointa sur elle la lame rougie du tournevis. « Le Seigneur t’a livrée à moi. Je terminerai donc Son ouvrage. Je le Lui ai promis. Mais tu vas souffrir à cause de ce que tu as fait. Supplie pour obtenir le pardon de ton âme, car je ne t’épargnerai pas l’enfer qui t’attend. Mais pas ici. Nous ne sommes plus en sécurité dans cet endroit, à cause de toi. »

Elle entendit le tournevis tomber par terre, sentit la froide morsure de la pince qui coupait le collier de serrage retenant son poignet gauche à la chaise.

Galya parla encore. Elle répéta les seules paroles qu’elle était capable de concevoir.

« S’il te plaît, Mama, ramène-moi à la maison. »

65

Lennon s’avança dans la cuisine plongée dans l’obscurité, son Glock 17 au poing, prêt à tirer. Des morceaux de verre brisé crissaient sous ses pas. Sa respiration produisait un nuage de buée dans la maison dont la chaleur s’échappait par la fenêtre, à présent dépourvue de vitre.

En passant dans le vestibule, il repéra un mince trait de lumière sur le mur d’en face. Il se raidit et cala sa main gauche sous celle qui tenait l’arme, le doigt sur la détente.

Derrière la porte, un escalier en bois descendait à la cave. Des ombres se tordaient dans les ténèbres comme des démons s’acharnant sur des âmes. Il posa le pied sur la première marche et vit le faisceau d’une torche qui s’agitait dans le trou noir en dessous.

Une voix, sourde et rauque, lui parvenait. Un marmonnement dans lequel il ne distinguait que des mots décousus : « … ta faute… tu souffriras… tout est perdu… m’enfuir. »

Une autre voix, douce, un timbre féminin, tissait un contrepoint en récitant en boucle des paroles que Lennon ne comprenait pas.

Le pinceau lumineux tomba sur une jeune femme, en sang, à peine consciente. Dans le halo apparut la vague silhouette de l’homme qui tenait la torche. Le rayon balaya faiblement le sommet de l’escalier, le temps d’éclairer l’interrupteur. Lennon le fit basculer avec le coude et prépara son tir.

« Police ! » lança-t-il.

L’homme leva des yeux écarquillés. Sa bouche s’ouvrait comme une déchirure dans le disque pâle de son visage.

Lennon embrassa la scène en un coup d’œil — le corps du Lituanien qu’il avait interrogé plus tôt, la flaque de sang, les outils éparpillés, la forme pitoyable de la fille attachée à la chaise renversée — et mit en joue.