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« Edwin Paynter, dit-il. Écartez-vous. »

Les yeux de Paynter s’agrandirent encore quand il entendit son nom. Il recula, entraînant avec lui la chaise et la fille.

« N’avancez pas ! » cria-t-il en approchant un objet rouge de la gorge de sa victime.

L’espace d’un instant, Lennon crut que Paynter portait un gant de cuir. En voyant les gouttes qui s’écoulaient sur la fille, il comprit que c’était en fait sa main, rougie par le sang du mort, crispée sur le manche du tournevis.

Il essaya de garder le canon du Glock pointé sur le front de Paynter, mais sa main serrée autour de la crosse, de même que le fou au pied de l’escalier, refusait de rester immobile.

« Laissez-la partir, dit Lennon en descendant d’une marche.

— N’approchez pas !

— Je descends, Edwin. Relâchez-la, et il ne vous arrivera rien. »

La raison hurlait à Lennon de renoncer, mais il voyait les yeux de la fille fixés sur lui et savait qu’il n’avait pas le choix.

« Vous m’entendez ? Écartez-vous d’elle. Je vous promets qu’il ne vous sera fait aucun mal. »

Paynter rit et attrapa un objet près du cadavre du Lituanien.

Lennon réagit d’instinct, avant même que sa conscience ne comprenne, et se baissa. La détonation qui retentit dans la cave fit exploser le mur à côté de sa tête en une volée de poussière rouge et d’éclats de brique.

Perdant l’équilibre, il dévala l’escalier tête la première, épaules, coudes et genoux heurtant le bois tandis qu’il roulait sur lui-même. Son menton s’écrasa sur le sol de béton et, la vue obscurcie, il sentit le goût du sang.

Le monde passa dans un autre temps. Il était maintenant étendu par terre, à la lumière crue d’une ampoule électrique, les mains vides et inertes le long de son corps. Une masse sombre bloqua son champ de vision, et un visage lunaire se pencha sur lui en souriant.

« Les gens comme vous ne tirez jamais les leçons de vos erreurs ? » demanda Paynter.

Hébété, Lennon toussa en avalant son sang.

Paynter s’accroupit et lui appuya le canon du pistolet sur le front.

« Vous ne pouvez pas me battre, dit-il. Pas quand j’ai le Seigneur à mes côtés. »

66

Edwin Paynter n’avait encore jamais tenu une arme à feu dans ses mains. Lorsqu’il ramassa le pistolet par terre, il se demanda s’il fallait simplement presser la détente, ou bien effectuer une autre opération qu’il ignorait. Auquel cas, il se contenterait de s’en servir comme projectile contre le policier.

Il eut bientôt la réponse : presser la détente, ce n’était pas plus compliqué que ça. La déflagration lui envoya un choc dans le coude et dans l’épaule. Il en resta le bras tout frémissant. Avec un sifflement dans les oreilles. Et une chaleur, une raideur à l’entrejambe.

À présent, le policier à sa merci le fixait en papillotant d’un air stupide, comme le chien qu’il avait eu, adolescent — le chien qui avait continué à le regarder avec une adoration bornée pendant qu’il le bourrait tranquillement de coups de pied, jusqu’à ce que les yeux de l’animal se voilent et que sa langue lui pende de la bouche en baignant dans un jus écarlate.

Cette arme lui plaisait. Malgré le vacarme et la douleur à ses tympans, il avait aimé la sensation. Il considéra le pistolet du policier qui gisait non loin et se demanda si on le chargeait avec les mêmes balles que celui qu’il lui appuyait maintenant sur le front.

« Vous avez déjà tiré sur quelqu’un ? » demanda Paynter.

Le policier hésita. « Non.

— Je ne vous crois pas. On vous a déjà tiré dessus ?

— Oui, répondit le policier.

— Ça vous a fait mal ?

— Oui.

— Vous avez eu peur ?

— Oui.

— Et là, vous avez peur ?

— Oui.

— Tant mieux, dit Paynter. Je suis un instrument du Seigneur, et la peur est la seule réponse convenable. Il m’a fallu des années pour apprendre ça. Quand les gens me regardaient d’un drôle d’œil, quand les filles ne voulaient pas me parler, je pensais qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas chez moi. Mais je me trompais. Leur réaction était normale. Ils avaient peur. »

Il se leva, le pistolet toujours braqué sur la tête du policier.

« Comment a-t-il dit que vous vous appeliez, déjà ? Lennon, je crois. Eh bien, M. Lennon, il est temps que je parte. »

La respiration du policier s’accéléra, sa poitrine fut agitée de soubresauts. Paynter crispa le doigt sur la détente, sentit la résistance, la barrière mince comme un cheveu qui séparait la terreur du silence éternel. Le policier ferma très fort les yeux et leva les mains pour tenter vainement de se protéger.

Assez, pensa Paynter, cesse de

Le sol vint brutalement à sa rencontre et le pistolet détona, propulsant la balle dans le béton. Il eut le temps de se demander ce qui l’envoyait à terre, avant de recevoir un coup violent à l’arrière de la tête.

67

Lennon sentit le choc de la fille qui se jetait sur Paynter. Il l’avait vue arriver, et ne put que s’abriter la tête derrière ses avant-bras au milieu de l’enchevêtrement de coudes, de genoux et de pieds.

La fille poussa un hurlement animal en abattant la chaise toujours attachée à l’un de ses poignets sur son ravisseur. Lennon recula, parvint à dégager ses jambes prises entre celles de Paynter et roula sur le côté pour récupérer son Glock.

Grognant et gémissant, Paynter essaya de parer les coups avec ses mains, mais la détermination farouche de la prisonnière finit par avoir raison de lui. Pendant quelques secondes, il sembla renoncer, puis se ressaisit et envoya son pied dans la chaise. La fille perdit l’équilibre.

Lennon se leva et brandit le Glock. « Ne bougez pas, dit-il. Sinon je vous descends, je le jure devant Dieu. »

Paynter le regarda, incrédule, et éclata de rire.

La fille voulut le frapper encore avec la chaise, mais Lennon s’interposa.

« Qu’est-ce qu’il y a de si marrant ? demanda-t-il.

— Vous jurez devant Dieu ? Vous croyez que Dieu a quelque chose à fiche de vos promesses ? »

Lennon chercha une repartie. N’en trouvant aucune, il réagit de la seule manière qui lui venait à l’esprit : il balança un violent coup de pied dans les couilles de Paynter.

Paynter se plia en deux et roula sur le flanc. Son visage passa du rouge au violet.

Recroquevillée contre le mur, la fille marmonnait. Quelque part dehors, dans la nuit glacée, des sirènes retentirent puis se turent. Lennon s’accroupit près d’elle. « Tout va bien, dit-il. Les secours arrivent. »

Paynter se tordit en grognant.

« Si vous bougez, je tire, dit Lennon. Vous m’entendez ? »

Pour toute réponse, Paynter eut un haut-le-cœur et cracha par terre.

Tout en le surveillant, Lennon écouta la fille. Elle débitait des mots incompréhensibles avec un fort accent slave, dans une langue qu’il n’était même pas capable d’identifier. Lituanien ? Letton ? Polonais ?

Quel que fût le sens de ses paroles, elle les répétait en boucle, comme un mantra, la prière qu’un esprit en déroute adressait à un Dieu indifférent.

Lennon lui glissa un coup d’œil de biais. « Vous parlez anglais ? »

Les sirènes se rapprochaient, ainsi qu’un bruit de moteurs rageusement poussés.

« Comment vous appelez-vous ? » demanda encore Lennon.