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« Ils seront un peu grands pour vous, dit-elle, mais ils vous tiendront chaud. En tout cas, ça vaut mieux que cette tenue d’hôpital. »

Galya reposa son mug sur la table et plaça une main sur les habits. Lennon huma l’odeur du linge propre et de l’adoucissant. Il se revit brusquement, petit garçon, dans la maison de sa mère, enfilant des chaussettes tout juste sorties du panier de linge propre par une froide matinée. Il sourit et crispa les orteils en se rappelant la sensation.

Il sentit le sourire s’enfuir de ses lèvres au moment où Galya s’effondra.

Elle était assise, là, une main sur les vêtements, et brusquement, elle parut se casser en deux. Un instant plus tard, la tête rentrée dans les épaules, elle pleurait. Un gémissement sourd qui semblait lui monter du ventre, enflait dans son torse, s’échappait de sa gorge en une plainte étranglée. De grosses larmes roulaient sur ses joues et inondaient ses genoux. Elle les recevait dans ses mains ouvertes comme pour tenter de les conserver, redoutant qu’elles se perdent dans le tissu de sa tunique d’hôpital.

Lennon se leva, sans savoir quoi faire.

Susan agit à sa place. Écartant la table basse, elle s’agenouilla pour ouvrir ses bras à Galya qui s’y jeta et enfouit sa tête contre son épaule.

« Tout va bien, murmura Susan, dont le souffle agitait les légers cheveux blonds de Galya. Vous êtes en sécurité ici. Personne ne peut plus vous menacer. »

Les yeux de Lennon rencontrèrent ceux de Susan, emplis de larmes, débordants d’une profonde compassion. Comment comprenait-elle ce genre de souffrance ? se demanda-t-il. Il voulait dire quelque chose, merci, n’importe quoi, la toucher peut-être, mais il ne put que rester debout, les bras ballants, la langue pétrifiée.

Un mouvement de l’autre côté de la pièce l’arracha à sa propre impuissance. Ellen et Lucy, en retrait dans le vestibule qui donnait sur les chambres, observaient la scène.

« Joyeux Noël », dit-il.

Les fillettes s’avancèrent dans le salon, troublées à la vue de l’étrange invitée.

« Tu es rentré, dit Ellen.

— Évidemment », fit Lennon, sachant pourtant qu’il aurait très bien pu ne pas tenir sa promesse.

Sans répondre, Ellen vint se blottir contre sa jambe.

« Le père Noël est passé ? » demanda Lucy.

Lennon s’éclaircit la gorge. « Allez voir », dit-il en souriant.

Il suivit les fillettes qui partaient vers le sapin, effleurant au passage la nuque de Susan du bout des doigts. Elle leva une main pour presser la sienne et lui accorda un sourire fatigué.

Les deux petites s’emparaient déjà de leurs cadeaux quand il s’assit par terre avec elles. Ellen rapporta ses paquets pour les ouvrir sur ses genoux. Les fillettes riaient et poussaient de petits cris ravis tout en se montrant les jolis papiers qui recouvraient leurs présents et en s’extasiant devant leur contenu.

Chacune découvrit une poupée Barbie avec une panoplie de vêtements et d’accessoires — les esprits de Lennon et de Susan s’étaient rejoints sur ce point. Elles défirent les emballages pour sortir les poupées.

Tandis qu’Ellen installait sa Barbie dans une position avantageuse, Lennon se souvint de la poupée qu’elle serrait dans ses bras quand elle était arrivée de Birmingham avec sa mère, plus d’un an auparavant. Nue, les cheveux en bataille, mais objet de son amour malgré tout. Il se demanda ce qu’elle était devenue.

Tout contre lui, Ellen demanda : « C’est qui, la grande fille ?

— Quelqu’un qui a besoin de l’aide de papa, répondit Lennon. Elle a eu beaucoup de problèmes, alors on va s’occuper d’elle, juste aujourd’hui.

— J’ai rêvé d’elle, dit Ellen.

— C’est vrai ?

— Il y avait un méchant monsieur qui voulait lui faire du mal. »

Il fut un temps où Lennon aurait été choqué de voir qu’Ellen comprenait une foule de choses qui auraient dû rester hors de sa portée. Mais, depuis un an, il s’était habitué à cette manière particulière qu’avait sa fille de savoir ce qu’elle aurait dû ignorer.

« On va le mettre en prison, dit Lennon. Il ne fera plus de mal à personne. »

Satisfaite de la réponse, Ellen se leva et s’approcha du canapé où Susan essuyait les joues de Galya avec un mouchoir en papier. Elle prit la jeune fille par la main.

« Viens », dit-elle.

Sans un mot, Galya se leva et se laissa entraîner vers le sapin, marchant à petits pas précautionneux sur ses pieds écorchés. Elle s’assit par terre entre les deux fillettes. Lennon ne bougeait pas.

Ellen fourra la poupée dans les mains de Galya. « Regarde, dit-elle. On peut lui changer ses habits. »

Elle choisit une robe et la montra à l’invitée.

Galya sourit. « Elle est très jolie », fit-elle.

Ellen sélectionna ensuite un tailleur pantalon. « Et celui-là ?

— C’est joli habit aussi, dit Galya.

— Mais lequel est le plus beau ? demanda Ellen.

— La robe », répondit Galya.

Ellen lui tendit le vêtement et Galya entreprit de défaire les agrafes, la langue coincée entre les dents, une concentration tout enfantine sur son visage.

Lennon se retira pour les laisser jouer.

74

Arturas Strazdas composa à nouveau le numéro.

Toujours pas de réponse.

« Espèce d’enfoiré, dit-il à la messagerie. Rappelez-moi, connard. »

Il abandonna le téléphone sur le lit. La pièce lui paraissait beaucoup plus petite que la veille. Il avait dormi une heure et rêvé de Tomas gisant sur une dalle de pierre, les yeux vides tournés vers le ciel, sans personne pour l’enterrer à part Herkus. Sauf qu’Herkus ne pouvait rien faire pour Tomas, parce que lui aussi était mort.

En se réveillant, un poids énorme sur la poitrine, Strazdas était resté allongé sans pouvoir crier pendant de longues minutes. Quand il put enfin bouger, il se précipita vers la desserte du salon et pressa son nez sur le verre pour aspirer ce qui restait de la poudre.

Depuis, il essayait de joindre son contact et ce salopard ne répondait pas. Deux heures avaient passé. Le soleil jetait une lumière d’un blanc laiteux, filtrée par les nuages qui s’entassaient au-dessus de la ville.

Strazdas ouvrit la fenêtre et serra les dents dans l’air glacé qui s’emparait de son corps nu et le pénétrait tout entier. Il se tint là, immobile et raide, en proie à la chair de poule, jusqu’à ce que le froid le secoue en une violente convulsion.

Le téléphone sonna. Il se jeta sur l’appareil.

« Vous étiez où ? Pourquoi vous ne répondez pas, espèce de…

— Arturas », dit-elle.

Il s’assit sur le lit, les jambes flageolantes au son de cette voix. « Mère.

— Tu m’as oubliée ?

— Non, répondit-il.

— Tu as oublié ta promesse ?

— Non.

— Alors, parle-moi. »

Il chercha les mots, mais ne les trouva pas.

« Parle-moi », répéta-t-elle. La dureté de la voix délogea un souvenir qu’il préférait maintenir enfoui, évitant à tout prix de le laisser se promener librement dans son esprit et de renverser tout ce qu’il croyait savoir. Il couvrit ses parties génitales d’une main et serra les genoux.

« Mon chauffeur est mort, dit-il. Tué par un fou.

— Ton chauffeur ne m’intéresse pas, répliqua-t-elle. Tout ce qui m’importe, c’est la putain qui a tué mon fils. »

Strazdas sentit une crispation dans sa vessie. « Elle est avec les flics. »