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Lennon arrêta la voiture et éteignit le moteur. Il demeura immobile, les yeux fixés sur le bâtiment.

« C’est là que vous m’emmenez ? demanda Galya.

— Oui, dit Lennon. Du moins, que j’allais le faire.

— J’allais ? »

Il garda le silence un moment, les avant-bras posés sur le volant, réfléchissant, la buée de sa respiration brouillant le pare-brise.

« S’il vous plaît, qu’est-ce qui ne va pas ? »

Il ne répondit pas.

« Ici, dans les rues, c’est dangereux, dit Galya. Il faut entrer.

— Non, fit Lennon.

— Pourquoi ? » demanda Galya.

Il sortit un téléphone de sa poche et chercha un numéro.

81

Le téléphone arracha brutalement Strazdas à ses rêves sanglants. Il s’assit sur le lit, toujours nu, transpirant et frissonnant comme auparavant. Son cœur martelait sa poitrine, ses poumons peinaient à suivre le rythme. Une douleur lancinante lui éclatait le front, se propageant jusqu’à la base du crâne, vers la nuque et les épaules. Il appuya le talon de la main au-dessus de ses sourcils.

Le téléphone sonna de nouveau. Strazdas regarda la pendule : presque onze heures. Il avait à peine dormi une heure. En tout, pas plus de trois heures en soixante-douze heures.

Il attrapa le téléphone avant que son insupportable stridulation ne lui ravage encore les nerfs.

« Oui ?

— Bonsoir, M. Strazdas. Ici, la réception. J’ai un M. Lennon en ligne. Dois-je vous le passer ? »

Strazdas déglutit. « Oui.

— Allez-y, parlez, dit la réceptionniste.

— Vos employés ne sont pas à la hauteur, fit la voix de Lennon.

— Je ne vois pas ce que vous voulez dire, répliqua Strazdas.

— Celui que vous avez chargé de faire votre sale boulot. Il a merdé.

— J’ignore à quoi vous faites allusion.

— Nous lui avons échappé, la fille et moi.

— Quelle fille ?

— Mais j’ai pensé à quelque chose.

— M. Lennon, vous devriez peut-être parler à mon…

— Comment savait-il que je devais aller au commissariat ? demanda Lennon.

— Parlez à mon avocat, le monsieur que vous avez vu…

— Et comment savait-il quel chemin je prendrais ?

— M. Lennon, je vais raccrocher.

— Dan Hewitt ? C’est lui, votre taupe ? Il m’a déjà balancé une fois, il serait bien capable de… »

Strazdas replaça le combiné sur sa base et maudit l’âme de son frère qui s’était fait tuer dans ce misérable endroit.

82

En rangeant le téléphone dans la poche de sa veste, Lennon sentit le passeport. Il le sortit et l’ouvrit à la page des données, contempla la photo d’une fille qui le regardait sous le film plastifié. Une fille qui n’était pas assise près de lui sur le siège passager de l’Audi. Mais ces yeux bleus… Et les traits, d’une incroyable finesse, les pommettes hautes, les cheveux blonds.

Il se tourna vers Galya, approcha le passeport de son visage pour examiner les deux visages côte à côte.

« Qu’est-ce que vous regardez ? demanda-t-elle.

— Ça peut se concevoir.

— Quoi ?

— Que je me comporterai toujours comme un putain d’imbécile », répondit-il en démarrant la voiture. Il passa une vitesse, doubla la porte du commissariat et accéléra. Le brouillard se referma derrière lui.

* * *

Plutôt que de gagner l’autoroute, au nord, il fila par Crumlin Road et Ligoniel Road pour se diriger vers l’ouest où il prendrait des routes de campagne, s’arrêtant seulement pour retirer de l’argent à un distributeur. La voiture endommagée attirerait l’attention des agents de la circulation qui guettaient les chauffards ivres au lendemain de Noël, et il ne pouvait pas risquer d’être arrêté.

L’autoroute offrait une voie plus rapide, mieux éclairée, et moins glacée, mais les routes secondaires étaient moins empruntées. Il roula lentement, se méfiant du verglas, attentif aux panneaux de signalisation. Même avec ce détour, ils auraient déjà dû être arrivés, quand le portable de Lennon sonna, quarante ou quarante-cinq minutes plus tard, mais, du fait des conditions atmosphériques, ils se trouvaient encore loin de leur destination.

À l’écran, le numéro du sergent Connolly s’afficha.

Pourquoi appelait-il ? Au lieu de fêter Noël chez lui, en famille, comme tous les autres êtres humains normaux.

« Qu’est-ce qui se passe ? demanda Lennon.

— Où êtes-vous ?

— Au volant », répondit Lennon. Il conduisait d’une main, gardant les yeux sur la route qui se perdait dans le brouillard.

« J’ai appelé Ladas Drive. Ils m’ont dit qu’ils vous attendaient.

— Ça me prend plus de temps que prévu, dit Lennon, évitant de fournir la vraie réponse. À cause de la météo.

— J’ai reçu un appel d’un collègue, reprit Connolly, un agent avec qui je faisais équipe quand je suis sorti de Garnerville. C’était un des gars qui surveillaient Paynter à l’hôpital. Je me suis dit que vous voudriez savoir…

— J’écoute, dit Lennon.

— Paynter s’est suicidé. »

Lennon ralentit, arrêta l’Audi sur le bord de la route et alluma ses feux de détresse.

« Comment ? demanda-t-il.

— Il a simulé une crise d’épilepsie, expliqua Connolly, et il a profité de l’agitation pour prendre le Glock d’un policier. À ce qu’il paraît, ça a été chaud pendant une ou deux minutes. Ils ont cru qu’il allait s’évader.

— Mais finalement, non…

— Non. Il a annoncé qu’il avait tué huit femmes, sans en éprouver aucun remords. Ensuite, il a mis le canon dans sa bouche et il s’est fait sauter la cervelle.

— Bon sang, dit Lennon.

— Bref, j’ai pensé que vous aimeriez être mis au courant.

— Oui, merci, dit Lennon. Hé, au fait…

— Quoi ?

— Je ne viendrai peut-être pas travailler pendant quelques jours. Peut-être plus longtemps.

— Ah bon ? En ce moment ? Mais il y a…

— Vous saurez tout demain. Promettez-moi juste quelque chose…

— Quoi donc ?

— Surveillez vos arrières, conseilla Lennon. Cette affaire pourrait bien devenir dangereuse. Faites attention à ce que vous dites et à qui vous parlez. Surtout si vous recevez la visite de quelqu’un de la Branche spéciale.

— La C3 ? fit Connolly. Qu’est-ce qu’ils ont à voir avec Paynter ?

— C’est compliqué, répondit Lennon. Gardez profil bas, OK ?

— OK, dit Connolly. Inspecteur… Tout va bien ? S’il y a quoi que ce soit que je puisse faire pour vous… C’est vrai, vous avez été sympa avec moi, alors, n’hésitez pas.

— Je vais très bien, dit Lennon. Ne vous inquiétez pas pour moi. Faites attention à vous, c’est tout. »

Il raccrocha et déposa le téléphone dans le porte-gobelet. Galya remua sur le siège à côté. Elle s’était endormie avant même qu’ils ne quittent la périphérie de la ville, et elle le regardait à présent d’un air égaré, les paupières lourdes.