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« Il s’est passé quelque chose ? » demanda-t-elle.

Lennon songea à lui cacher ce qu’il venait d’apprendre, mais il se ravisa. Elle avait affronté tant de dangers. Savoir que l’un d’eux était définitivement écarté ne pouvait pas lui faire de mal.

« Edwin Paynter, répondit-il. L’homme qui vous a séquestrée dans cette maison. Il est mort. Il s’est suicidé. »

Elle fit le signe de croix et regarda droit devant elle, sans que son visage ne trahisse aucune émotion.

« Il méritait de mourir, dit Lennon. Pour ce qu’il vous a fait. Et peut-être à d’autres.

— Non, dit-elle. Seulement Dieu fait mourir. Ce n’est pas à vous de dire. Pas à lui. Seulement à Dieu. »

Lennon ne souhaitait pas discuter. Il passa la première et desserra le frein à main. Dans dix minutes, pensa-t-il, un quart d’heure tout au plus, ils arriveraient à la maison d’hôtes. Il replongea dans le brouillard, regrettant de ne pas partager avec la jeune fille ce rêve enfantin de justice.

83

Galya demeura songeuse pendant le reste du trajet. L’homme qui l’avait séquestrée se disait pasteur, chrétien, mais avait-il même une âme ? Et dans ce cas, où était allée cette dernière quand il s’était ôté la vie ?

Que ressentait-elle en pensant à sa mort ? Du soulagement ? De la satisfaction ? De la pitié ? C’était tout cela à la fois, mais elle éprouvait aussi, logée au fond de son cœur, de la colère. Parce qu’il n’aurait pas à se tenir devant elle, il ne saurait pas qu’elle avait été la plus forte.

Elle s’en voulut de sa jubilation, même si elle ne la montrait à personne. Mama ne l’avait pas élevée en encourageant la malveillance. Mais elle avait survécu, elle pouvait au moins en être fière. Galya laissa son esprit vagabonder. Elle s’imagina, morte dans cette cave, et ce monde gris était la vie qui venait après, un éternel voyage dans les ténèbres et la brume. Prise d’une envie de pleurer, elle ferma les yeux pour retenir ses larmes.

Quand elle se ressaisit, la voiture pénétrait dans la cour d’une superbe maison de campagne. Lennon gara la voiture à une extrémité, sous la ramure d’un arbre dénudé.

« Nous y voilà », dit-il.

Il descendit, ferma sa portière et alla ouvrir celle de Galya. Elle accepta la main qu’il lui tendait pour l’aider à sortir. Des lumières scintillaient à l’horizon, répandant un halo iridescent dans le brouillard.

« Qu’est-ce que c’est, là-bas ? demanda-t-elle.

— L’aéroport, répondit Lennon.

— Et ici ? Où sommes-nous ?

— C’est une maison d’hôtes. Comme un hôtel. On va passer la nuit ici. Venez, ne restons pas dans le froid. »

Il ferma la voiture et entraîna Galya vers la maison. Des lampes étaient allumées au rez-de-chaussée, visibles au travers des rideaux tirés. Il appuya sur une sonnette. Quelques instants plus tard, un rideau s’écarta à l’une des fenêtres et une femme âgée scruta la nuit.

Le rideau retomba, puis le vestibule s’éclaira derrière le verre cannelé de la porte. Une silhouette apparut, fit glisser une chaîne de sécurité et, visiblement inquiète, entrouvrit la porte.

« Vous désirez ?

— Nous avons besoin d’une chambre, dit Lennon.

— À cette heure-ci ? demanda l’hôtesse en levant un sourcil étonné. La nuit de Noël ?

— Je sais, nous arrivons un peu à l’improviste », dit Lennon. Il passa un bras autour de l’épaule de Galya. « La mère de mon amie est malade, en Lettonie… Nous prenons un avion tôt demain matin. »

L’hôtesse les considéra tour à tour. « Vu que je n’ai pas d’étable ni de mangeoire où vous mettre, je vais vous laisser entrer. Dois-je m’attendre à voir débarquer trois rois mages ? »

84

Dieu merci, Galya ne posa aucune question jusqu’à ce qu’ils aient refermé la porte de la chambre. Là, sans prêter attention aux rideaux à fleurs et à l’odeur de chou rance, elle s’assit au bout du lit.

« On va où en avion ? demanda-t-elle.

— Moi, nulle part. Il n’y a que vous qui partez, dit Lennon.

— Je vais où ?

— Je ne sais pas, répondit-il en faisant les cent pas. Je vous prendrai le premier vol que je trouverai. Pour vous envoyer aussi près de chez vous que possible.

— Pourquoi ? À cause de cet homme dans la voiture ?

— Oui. Strazdas a un complice dans la police. Sinon, personne n’aurait su que nous étions en route pour le commissariat. Et je crois savoir qui c’est.

— Qui ? » demanda-t-elle.

L’inspecteur chef Dan Hewitt, de la Branche C3 du Renseignement, faillit-il répondre. Mais il se rattrapa à temps. Cette fille était déjà en danger. En savoir plus ne ferait que l’exposer à plus grand risque encore.

« Quelqu’un, dit-il seulement.

— Un méchant ?

— Oui. C’était un de mes amis, autrefois. Il est mouillé.

— Mouillé ?

— Corrompu. Il reçoit de l’argent des malfrats.

— Vous allez l’arrêter ? demanda-t-elle. Le mettre en prison ? »

Lennon rit malgré lui. « Ce n’est pas si facile que ça. Et il a une dent contre moi.

— Vous voulez dire, il ne vous aime pas ? » Elle eut un sourire en coin. « Moi, je crois que vous ne l’aimez pas.

— Exact, dit Lennon. En tout cas, si j’ai raison, vous n’êtes en sécurité dans aucun commissariat. C’est pourquoi vous devez partir. Rentrer chez vous. »

Elle hocha la tête. « Chez moi… Oui, je veux rentrer chez moi et voir mon frère. Mais vous aurez des ennuis.

— Peut-être, dit Lennon. Sans doute. Peu importe, je vous mets quand même dans un avion. »

* * *

L’hôtesse conduisit Lennon dans le salon et lui montra l’ordinateur. C’était une vieille machine, avec une connexion Internet d’une lenteur extrême, mais en quelques minutes il avait repéré le seul départ intéressant pour Galya, un vol qui décollait à sept heures du matin à destination de Cracovie. Ignorant tout des moyens de transport en Europe de l’Est, il devait seulement espérer que, de là, elle attraperait un train jusqu’à Kiev, puis parviendrait à regagner son village, où qu’il fût.

Mais il y avait le prix. Il eut un moment de panique en tentant de se rappeler combien il lui restait sur sa MasterCard. Pas beaucoup, mais peut-être assez. Il ne le saurait pas avant d’avoir essayé et vu le paiement accepté, ou refusé.

Ce fut un soulagement quand, ayant entré le numéro de sa carte, il passa à la page de confirmation, puis à un lien pour effectuer la réservation en ligne. Il lui sembla attendre une éternité avant que l’antique imprimante ne finisse par cracher un vague code-barres sur une feuille A4.

Debout sur le seuil de la pièce, l’hôtesse le regardait. « C’est fait ? demanda-t-elle lorsqu’il se leva.

— Oui, merci, dit-il. Désolé de vous déranger le jour de Noël.

— Ne vous tracassez pas pour ça. » Elle lui effleura délicatement le bras quand il passa près d’elle. « Elle me paraît gentille, cette petite. J’espère que vous arriverez à régler vos soucis. »

Lennon faillit protester que non, il n’avait pas de soucis, à part la maladie de la mère mentionnée en arrivant. Au lieu de quoi, il répondit : « Moi aussi. »

* * *

Il grimpa les deux étages pour regagner la chambre et marqua une pause devant la porte. Susan devait l’attendre. Il avait promis de la rejoindre sur le canapé, où ils boiraient un verre de vin ensemble pendant que leurs filles respectives dormiraient. Avec un soupir, il sortit son téléphone de sa poche. Elle décrocha à la première sonnerie.