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« Il s’est passé quelque chose, dit-il.

— Comme d’habitude », répondit-elle. Et elle raccrocha.

« Merde », grommela-t-il dans sa barbe.

Galya dormait d’un profond sommeil quand il entra dans la chambre. Il s’assit près de la fenêtre, face à la porte, posa son Glock sur la table à côté de lui et programma l’alarme de son téléphone pour six heures.

Cinq heures et demie de sommeil, avec un peu de chance. Mais la chance n’avait jamais été son fort.

85

Après une heure au téléphone, suivie d’encore une heure d’autopunition, Arturas Strazdas commença à se ressaisir. Il connaissait le processus, pour l’avoir déjà expérimenté, consistant à réassembler les morceaux de lui-même qui s’étaient éparpillés durant les heures et les jours précédents.

Il débutait toujours par un moment de silence et de contemplation. Assis, immobile, il revoyait chaque blessure qu’il s’était infligée, se rappelant qu’il était sain d’esprit et que les hommes sains d’esprit ne s’imposaient pas de souffrir ainsi. Les hommes sains d’esprit canalisaient leur colère, s’en servaient pour avancer dans leur vie, pas pour se détruire.

D’après son contact, l’élimination de la fille était à présent garantie, une simple question de temps. Strazdas n’avait aucune raison de rester dans cette ville une minute de plus. À dix heures du matin, il devrait se trouver dans le taxi mis à sa disposition, en route vers l’aéroport. Sinon, ce serait une voiture de police qui viendrait le chercher. Pour l’emmener au commissariat où il subirait un interrogatoire.

L’un ou l’autre, avait dit le contact. C’était aussi simple que ça.

C’est pourquoi, le croyant sur parole, Strazdas entreprenait maintenant de se reconstruire.

Une fois son esprit suffisamment stabilisé, il se rasa, prit une douche, puis enfila une chemise propre et son beau costume de voyage. Son estomac gargouillait. Il jeta un coup d’œil au réveil près du lit.

Presque cinq heures du matin.

Le service en chambre était-il assuré à cette heure ? Du pain grillé, peut-être, avec un œuf à la coque ?

Il allait essayer. Un homme sain d’esprit devait manger. Et Arturas Strazdas était, assurément, un homme sain d’esprit.

86

Un brouillard dense noyait encore la cour quand Lennon aida Galya à s’asseoir à l’avant de la voiture, deux heures avant l’aube. Dix minutes jusqu’à l’aéroport, dit-il, puis elle disposerait d’une demi-heure pour passer le contrôle de sécurité et monter dans l’avion. Elle devrait entrer seule dans le terminal, expliqua-t-il, et se rendre directement à la sécurité. Il lui suffirait de montrer la carte d’embarquement et son passeport.

Tout simplement, dit-il.

Galya n’en croyait pas un mot.

Elle garda le silence dans la voiture qui démarrait. Les phares trouaient à peine le brouillard, et l’eau chaude versée par Lennon pour dégivrer le pare-brise avait gelé, de sorte que le monde plongé dans l’obscurité apparaissait trouble, ondulant derrière un film de glace.

La forme vague de l’aéroport émergea un peu plus loin, révélée seulement par le rayonnement diffus de ses lumières. Lennon s’engagea dans un parking en face du terminal. Galya distinguait à peine les contours du bâtiment et ne voyait personne s’en approcher ni en sortir, mais elle savait qu’il y avait là des gens, dissimulés derrière l’épais voile gris.

Lennon éteignit le moteur. Il plongea la main dans sa poche et lui tendit une liasse de papiers. De l’argent, comprit-elle, en sentant le contact rugueux et le poids du paquet.

« Trois cent cinquante euros, dit-il. C’est tout ce que j’avais sur mon compte. Vous pourrez les échanger à Cracovie et prendre un train pour Kiev. Dès que vous serez arrivée chez vous, emmenez votre frère et partez. Ne restez pas là-bas. Strazdas vous cherchera.

— La ferme de Mama, dit-elle, c’est notre maison. Où irons-nous vivre ?

— Je ne sais pas, dit Lennon. Vous trouverez une idée. Vous êtes intelligente, et vous êtes forte. Vous penserez à quelque chose une fois sur place. »

Galya réfléchit. Oui, elle trouverait. L’homme à qui Mama devait tant d’argent, il pourrait prendre la ferme. Elle et son frère seraient libérés de leur dette, ils partiraient la tête haute. Elle regarda le visage marqué de Lennon, vit les cicatrices sous la peau.

« Votre amie, Susan », dit-elle.

Lennon ne réagit pas tout de suite. Puis il demanda : « Oui, quoi ?

— Faites-lui plaisir, dit Galya. Alors, elle vous fait plaisir. »

Lennon sourit. « Peut-être.

— Pas peut-être. Seulement oui.

— Allons-y, dit Lennon en posant la main sur la poignée de la portière. Il faut que vous preniez cet avion. »

Il descendit, alla ouvrir du côté de Galya et l’aida à sortir.

« Surtout, n’oubliez pas, dit-il en refermant la portière. Ne parlez à personne sauf si vous y êtes obligée. Foncez aussitôt au contrôle de sécurité. L’embarquement aura déjà commencé. Ensuite, allez directement à la porte d’embarquement et montez dans l’avion. C’est tout ce que vous avez à faire.

— Merci », dit Galya. Après un moment d’hésitation, elle passa les bras autour des larges épaules de Lennon.

Il résista tout d’abord, puis la serra aussi contre lui.

« Faites plaisir à Susan, dit-elle.

— J’essaierai. »

Un peu plus loin, d’une voix assourdie par le froid, quelqu’un lança : « Jack. »

87

Lennon chercha la source de la voix et se plaça devant Galya pour lui faire obstacle, tendant déjà la main vers son étui attaché à sa ceinture.

Une silhouette haute et mince se dressait devant une camionnette. L’homme avança en boitillant. Sa main gauche levée serrait un pistolet, il tenait son bras droit avec raideur, comme douloureusement, le long de son corps. Des traînées de sang séché marquaient sa joue, son front et sa mâchoire portaient de multiples coupures et écorchures, son blouson à capuche était déchiré.

« Connolly », dit Lennon.

Passant une main dans son dos, il écarta Galya. De l’autre main, il libéra le Glock de son étui.

« Je suis désolé, Jack », dit Connolly.

La première balle heurta Lennon à l’épaule gauche comme le poing d’un boxeur poids-lourd et le projeta contre l’Audi. Il resta debout sur ses jambes flageolantes, tandis que l’afflux d’adrénaline dans son système précédait la douleur. Instinctivement, sa main droite leva le Glock et le braqua en plein sur la poitrine de Connolly. Avant qu’il n’ait le temps de tirer, il sentit qu’il recevait un coup au ventre, puis un autre. Ses jambes l’abandonnèrent.

Lennon s’écroula sur le dos, la main droite toujours levée. À la périphérie de sa vision, il vit Galya se pencher sur lui, bouche grande ouverte, mais il n’entendit aucun cri.

« Courez », fit-il.

Connolly lui apparut, le canon de son arme pointé sur un point au-dessus de sa tête.

« Courez, répéta Lennon. Vite. »

Il tira sur Connolly, sans savoir si son tir était ajusté. Connolly tressauta et partit à la renverse contre la camionnette, le visage tordu de douleur.

Lennon prit une inspiration, retint son souffle et affermit sa main droite, alignant le viseur du Glock sur le torse de Connolly. Celui-ci leva la main gauche, l’œil de son pistolet dardé sur Lennon. Saisi par un frisson glacé qui lui montait du ventre, Lennon appuya sur la détente. Il vit l’explosion jaillir de la gueule du pistolet en face, il vit Connolly s’effondrer, il vit le monde sombrer dans des ténèbres d’un froid abyssal.