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88

Galya partit à fond de train, l’esprit verrouillé pour ne pas sentir la douleur, serrant l’argent et les documents contre sa poitrine. Elle ralentit à l’approche du bâtiment et traversa en marchant la route devant l’entrée du terminal. Dans le brouillard, des policiers de l’aéroport se précipitaient en direction des coups de feu. Ils ne la remarquèrent pas.

Les portes automatiques s’ouvrirent et elle pénétra dans un bain de chaleur. D’autres policiers couraient vers la sortie. Eux non plus ne lui prêtèrent pas attention.

Elle suivit un panneau indiquant « Départs », rejoignit la courte file d’attente qui s’était formée au passage de la sécurité, et, obéissante, plaça les chaussures et le manteau de Susan dans les bacs fournis à cet effet. Les bandages autour de ses pieds étaient dissimulés par d’épaisses chaussettes. Elle attendit patiemment son tour de franchir la porte magnétique, sans se plaindre quand, de l’autre côté, l’employée lui palpa le corps.

Elle parvint bientôt à la porte d’embarquement où une hôtesse de l’air accorda à peine un regard à ses documents de voyage. Quelques pas encore, puis la traversée du tarmac jusqu’à l’avion, et elle monta à bord. Elle trouva la rangée douze et s’assit.

Quand la femme assise près d’elle lui demanda si tout allait bien, Galya répondit oui, merci, et essuya avec sa manche les larmes qui lui coulaient sur les joues.

Tout le monde croit en Dieu au décollage d’un avion, pensa-t-elle.

Elle fit une prière pour l’âme de Jack Lennon.

89

Strazdas attendait dans l’accueil de l’hôtel, sa valise à ses pieds. Huit heures quarante-cinq, avait dit le contact. Il regarda sa montre. Huit heures quarante-sept.

Son téléphone sonna.

« Le taxi arrive, annonça le contact. Allez prendre l’avion.

— Et la fille ?

— Je vous suggère de donner un bon pourboire au chauffeur, dit le contact. C’est le lendemain de Noël, tout de même. Il m’a rendu beaucoup de services.

— Et la fille ? » répéta Strazdas.

Il y eut un silence. Puis : « Elle s’est échappée. L’opération s’est mal passée. »

Strazdas enfonça une phalange entre ses dents et la mordit avec force. Il sentit le goût du sel, respira bruyamment par le nez. Un grognement sourd enflait dans sa gorge.

« C’est fait, n’en parlons plus. Un homme est mort. Ne l’oubliez pas. C’était un bon élément, il n’aurait pas dû y passer. Tout ça à cause de votre stupide vendetta. Lâchez l’affaire maintenant. »

Strazdas remarqua que la réceptionniste l’observait. Il se fit violence pour retirer son doigt de sa bouche. Un liquide chaud lui coula sur le menton. Il l’essuya et sourit à l’employée. Elle reporta son regard sur les papiers étalés devant elle.

« Vous m’entendez, Arturas ? demanda le contact. C’est terminé. Il n’y a plus rien à faire.

— Si, il y a une chose, dit Strazdas. Je vais envoyer une lettre à vos supérieurs. Je donnerai votre nom, Daniel Hewitt, inspecteur chef. Je joindrai l’historique de tous les paiements que vous avez reçus depuis dix-huit mois. Ces versements ne permettent pas de m’identifier, ni moi ni mes sociétés, mais ils obligeront vos supérieurs à examiner vos comptes bancaires, vos investissements, votre style de vie. »

Strazdas aperçut le taxi qui s’arrêtait devant la porte de l’hôtel.

« Faites attention, Strazdas. Une fois qu’on prononce ce genre de paroles, il est impossible de les retirer.

— Au revoir, dit Strazdas. J’ai un avion à prendre. »

90

Les visions se succédaient, images fulgurantes, visages, tableaux de la scène émaillés de brefs réveils, l’ensemble ponctué par la douleur.

D’abord le ciel, plus noir encore à travers le brouillard. Les policiers rassemblés tout autour, les doigts qu’on enfonçait dans sa bouche, sa tête tressaillant de mouvements involontaires. Le besoin de tousser, et l’atroce souffrance qui semblait le déchirer en deux.

Ensuite, l’intérieur d’une ambulance, des lumières si vives qu’elles lui cisaillaient le crâne et s’enfouissaient dans son cerveau. Les secouristes affairés autour de lui, le masque à oxygène sous lequel il avait l’impression de se noyer.

Puis l’hôpital, d’autres lumières, des infirmières et des médecins, le contact de mains insistantes, des voix pressantes, le sang étanché, une longue aiguille qui lui transperçait la poitrine, le ronronnement et les signaux sonores d’une machine, puis une tonalité aiguë constante, telle un fil de coton étiré à l’infini par le bruit, jusqu’à se fondre dans le noir, et aussi Ellen, la pensée qu’il aurait aimé la connaître dès sa naissance, et Susan avec ses yeux tristes qu’il aimerait tant revoir encore une fois, mais dans le noir il faisait si bon, c’était doux et tiède comme un lit par une froide matinée, et…

Un éclair soudain. La douleur, encore. La punition des lumières aveuglantes, et, de nouveau, un masque à oxygène. L’absence.

91

Le chauffeur prit la mallette de Strazdas en silence et n’ouvrit pas la bouche durant tout le trajet jusqu’à l’aéroport. Le véhicule ressemblait à un taxi londonien, mais il en avait vu bien d’autres du même type à Belfast par la fenêtre de sa chambre d’hôtel. Une vitre en plexiglas le séparait de l’homme au cou épais et boutonneux qui tenait le volant à deux mains.

Que pourrait-il bien dire à sa mère ? se demanda Strazdas en chemin. À cette seule pensée, il sentit son scrotum se ratatiner et sa vessie lui fit mal. Il ne dirait rien, évidemment. Pas tout de suite. Une fois à Bruxelles, il prendrait immédiatement un avion pour une autre destination, et, à partir de là, se lancerait sur les traces de la fille. Il chercherait ceux qui l’avaient fournie à Aleksander, d’où elle venait, sa famille, tout ce qui pourrait aider à la localiser.

S’il avait de la chance, elle rentrerait chez elle. Un endroit où elle serait vulnérable. Et après, quand il aurait lavé son esprit de cette souillure, il pourrait se présenter devant sa mère, en fils honorable.

Le jour qui se levait semblait percer le brouillard à grand-peine. Strazdas sentit, plutôt qu’il ne vit, le taxi s’engager sur une longue ligne droite. Le chauffeur jeta un coup d’œil dans son rétroviseur.

« Merde », dit-il.

Strazdas se retourna pour regarder par la vitre arrière. Il distingua d’abord les gyrophares bleus, puis la voiture dont les contours se précisaient en émergeant de la grisaille. Une sirène retentit.

Le chauffeur mit son clignotant et freina.

« Qu’est-ce que vous fabriquez ? demanda Strazdas.

— Je m’arrête, répondit le chauffeur. Ça se voit pas, bordel ?

— Non, dit Strazdas. Continuez.

— Faites pas chier. » Il y eut une secousse quand le taxi monta sur le bas-côté avant de piler.

La voiture s’arrêta derrière lui, phares éteints. La portière du conducteur s’ouvrit, un homme en costume descendit et s’approcha. Le chauffeur abaissa sa vitre. L’homme regarda d’un côté de la route, puis de l’autre.