– Vous devez en avoir du regret, dit Henriette.
– Ah! si tout mon sang pouvait racheter sa vie! si le sacrifice de toutes mes espérances pouvait assurer son repos!…
– Eh bien! eh bien! dit Henriette d'un air profondément ému, si cela est vrai, de quoi vous affligez-vous? qu'y a-t-il de désespéré?
– Mais que faire? dit André avec angoisse.
– Comment! vous le demandez? Aimez-vous Geneviève?
– Peut-on en douter? Je l'aime plus que ma vie!
– Êtes-vous un homme d'honneur?
– Pourquoi cette question, mademoiselle?
– Parce que si vous aimiez Geneviève, et si vous étiez un honnête homme, vous l'épouseriez.
André, éperdu, fit une grande exclamation et regarda Henriette d'un air effaré.
«Eh bien! s'écria-t-elle, voilà votre réponse? C'est celle de tous les hommes. Monstres que vous êtes! que Dieu vous confonde!
– Ma réponse! dit André lui prenant la main avec force; ai-je répondu? puis-je répondre? Geneviève consentirait-elle jamais à m'épouser?
– Comment! dit Henriette avec un éclat de rire, si elle consentirait! une fille dans sa position, et qui sans cela serait forcée de quitter le pays!
– Oh! non, jamais, si cela dépend de moi! s'écria André, éperdu de terreur et de joie. L'épouser, moi! elle consentirait à m'épouser!
– Ah! vous êtes un bon enfant, s'écria Henriette se jetant à son cou, transportée de joie et d'orgueil en voyant le succès de son entreprise. Ah ça! mon bon monsieur André, votre père donnera-t-il son consentement?
André pâlit et recula d'épouvante au seul nom de son père. Il resta silencieux et atterré jusqu'à ce qu'Henriette renouvela sa question; alors il répondit non d'un air sombre, et ils se regardèrent tous deux avec consternation, ne trouvant plus un mot à dire pour se rassurer mutuellement.
Enfin Henriette, ayant réfléchi, lui demanda quel âge il avait. «Vingt-cinq ans, répondit-il.
– Eh bien! vous êtes majeur; vous pouvez vous passer de son consentement.
– Vous avez raison, dit-il, enchanté de cet expédient, je m'en passerai; j'épouserai Geneviève, sans qu'il le sache.
– Oh! dit Henriette en secouant la tête, il faut pourtant bien qu'il vous donne le moyen de payer vos habits de noces… Mais, j'y pense, n'avez-vous pas l'héritage de votre mère?
– Sans doute, répondit-il, frappé d'admiration; j'ai droit à soixante mille francs.
– Diable! s'écria Henriette, c'est une fortune. O ma bonne Geneviève! ô mon cher André! comme vous allez être heureux! et comme je serai contente d'avoir arrangé votre mariage.
– Excellente fille! s'écria André à son tour, sans vous je ne me serais jamais avisé de tout cela et je n'aurais jamais osé espérer un pareil sort. Mais êtes-vous sûre que Geneviève ne refusera pas?
– Que vous êtes fou! Est-ce possible, quand elle est malade de chagrin? Ah! cette nouvelle-là va lui rendre la vie!
– Je crois rêver, dit André en baisant les mains d'Henriette; oh je ne pouvais pas me le persuader; j'aurais trop craint de me tromper. Et pourtant elle m'écoutait avec tant de bonté! elle prenait ses leçons avec tant d'ardeur! O Geneviève! que ton silence et le calme de tes grands yeux m'ont donné de craintes et d'espérances! Fou et malheureux que j'étais! je n'osais pas me jeter à ses pieds et lui demander son coeur: le croiriez-vous, Henriette? depuis un an je meurs d'amour pour elle, et je ne savais pas encore si j'étais aimé! C'est vous qui me l'apprenez, bonne Henriette! Ah! dites-le-moi, dites-le-moi encore!
– Belle question! dit Henriette en riant; après qu'une fille a sacrifié sa réputation à monsieur, il demande si on l'aime! Vous êtes trop modeste, ma foi! et à la place de Geneviève… car vous êtes tout à fait gentil avec votre air tendre… Mais chut!… la voilà qui s'éveille… Attendez-moi là.
– Eh! pourquoi n'irais-je pas avec vous? je suis un peu médecin, moi; je saurai ce qu'elle a; car je suis horriblement inquiet…
– Ma foi! écoutez, dit Henriette, j'ai envie de vous laisser ensemble: elle n'a pas d'autre mal que le chagrin; quand vous lui aurez dit que vous voulez l'épouser, elle sera guérie. Je crois que cette parole-là vaudra mieux que toutes mes tisanes… Allez, allez, dépêchez-vous de la rassurer… Je m'en vais… je reviendrai savoir le résultat de la conversation.
– Oh! pour Dieu, ne me laissez pas ainsi, dit André effrayé; je n'oserai jamais me présenter devant elle maintenant et lui dire ce qui m'amène, si vous ne l'avertissez pas un peu.
– Comme vous êtes timide! dit Henriette étonnée: vraiment voilà des amoureux bien avancés, et c'est bien la peine de dire tant de mal de vous deux! Les pauvres enfants! Allons, je vais toujours voir comment va la malade.
Henriette entra dans la chambre de son amie; André resta seul dans l'obscurité, le coeur bondissant de trouble et de joie.
XI.
La maladie de Geneviève n'était pas sérieuse; une irritation momentanée lui avait causé un assez violent accès de fièvre, mais déjà son sang était calmé, sa tête libre, et il ne lui restait de cette crise qu'une grande fatigue et un peu de faiblesse dans la mémoire.
Elle s'étonna de voir Henriette la soulever dans ses bras, l'accabler de questions et lui présenter son infaillible tisane. Sa surprise augmenta lorsque Henriette, toujours disposée à l'amplification, lui parla de sa maladie, du danger qu'elle avait couru. «Eh! mon Dieu, dit la jeune fille, depuis quand donc suis-je ainsi?
– Depuis trois heures au moins, répondit Henriette.
– Ah! oui! reprit Geneviève en souriant; mais rassure-toi, je ne suis pas encore perdue; j'ai la tête un peu lourde, l'estomac un peu faible, et voilà tout. Je crois que si je pouvais avoir un bouillon, je serais tout à fait sauvée.
– J'ai un bouillon tout prêt sur le feu; le voici, dit Henriette en s'empressant autour du lit de Geneviève avec la satisfaction d'une personne contente d'elle-même. Mais j'ai quelque chose de mieux que cela; c'est une grande nouvelle à t'annoncer.
– Ah! merci, ma chère enfant, donne-moi ce bouillon, mais garde ta grande nouvelle, j'en ai assez pour aujourd'hui: tout ce qui peut se passer dans cette jolie ville m'est indifférent; je ne veux que tes soins et ton amitié. Pas de nouvelle, je t'en prie.
– Tu es ingrate, Geneviève; si tu savais de quoi il s'agit!… Mais je ne veux pas te désobéir, puisque tu me défends de parler. Je suppose aussi que tu aimeras mieux entendre cela de sa bouche que de la mienne.
– De sa bouche? dit Geneviève en levant vers elle sa jolie tête pâle coiffée d'un bonnet de mousseline blanche; de qui parles-tu? est-tu folle ce soir? C'est toi qui as la fièvre, ma chère fille.
– Oh! tu fais semblant de ne pas me comprendre, répondit Henriette; cependant, quand je parle de lui, tu sais bien que ce n'est pas d'un autre. Allons, apprends la vérité: il attend que tu veuilles le recevoir; il est là.
– Comment, il est là! Qui est là, chez moi, à cette heure-ci?
– M. André de Morand; est-ce que tu as oublié son nom pendant ta maladie?
– Henriette, Henriette! dit tristement Geneviève, je ne vous comprends pas; vous êtes en même temps bonne et méchante: pourquoi cherchez-vous à me tourmenter? Vous me trompez; M. de Morand ne vient jamais chez moi le soir, il n'est pas ici.
– Il est ici, dans la chambre à côté. Je te le jure sur l'honneur, Geneviève.
– En ce cas, dis-lui, je t'en prie, que je suis malade et que j'aurai le plaisir de le voir un autre jour.
– Oh! cela est impossible; il a quelque chose de trop important à te dire; il faut qu'il te parle tout de suite, et tu en seras bien aise. Je vais le faire entrer.
– Non, Henriette. Je ne le veux pas. Ne voyez-vous pas que je suis couchée, et trouvez-vous qu'il soit convenable à une fille de recevoir ainsi la visite d'un homme? Il est impossible que M. de Morand ait quelque chose de si pressé à me dire.