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«Oh! dit Joseph, ce n'est point la voix d'Henriette. Que signifie cela?»

En deux secondes il franchit l'escalier; et, s'élançant dans la rue, il saisit une taille délicate, et, à tout hasard, voulut embrasser sa nouvelle conquête.

«Par amitié et par charité, monsieur Marteau, lui dit-elle en se dégageant, épargnez-moi, reconnaissez-moi, je suis Geneviève.

– Geneviève! Au nom du diable! comment cela se fait-il?

– Au nom de Dieu! ne faites pas de bruit et écoutez-moi. André est sérieusement malade. Il y a trois jours que je n'ai reçu de ses nouvelles, et je viens d'apprendre qu'il est au lit avec la fièvre et le délire. J'ai cherché Henriette sans pouvoir la rencontrer. Je ne sais où m'informer de ce qui se passe au château de Morand. D'heure en heure mon inquiétude augmente; je me sens tour à tour devenir folle et mourir. Il faut que vous ayez pitié de moi et que vous alliez savoir des nouvelles d'André. Vous êtes son ami, vous devez être inquiet aussi… Il peut avoir besoin de vous…

– Parbleu! j'y vais sur-le-champ, répondit Joseph en prenant le chemin de son écurie. Diable! diable! qu'est-ce que tout cela?

Préoccupé de cette fâcheuse nouvelle, et partageant autant qu'il était en lui l'inquiétude de Geneviève, il se mit à seller son cheval tout en grommelant entre ses dents et jurant contre son domestique et contre lui-même à chaque courroie qu'il attachait. En mettant enfin le pied sur l'étrier, il s'aperçut, à la lueur d'une vieille lanterne de fer suspendue au plafond de l'écurie, que Geneviève était là et suivait tous ses mouvements avec anxiété. Elle était si pâle et si brisée que, contre sa coutume, Joseph fut attendri.

«Soyez tranquille, lui dit-il, je serai bientôt arrivé.

– Et revenu? lui demanda Geneviève d'un air suppliant.

– Ah! diable! cela est une autre affaire. Six lieues ne se font pas en un quart d'heure. Et puis, si André est vraiment mal, je ne pourrai pas le quitter!

– Oh! mon Dieu! que vais-je devenir? dit-elle en croisant ses mains sur sa poitrine. Joseph! Joseph! s'écria-t-elle avec effusion en se rapprochant de lui, sauvez-le, et laissez-moi mourir d'inquiétude.

– Ma chère demoiselle, reprit Joseph, tranquillisez-vous; le mal n'est peut-être pas si grand que vous croyez.

– Je ne me tranquilliserai pas; j'attendrai, je souffrirai, je prierai Dieu. Allez vite… Attendez, Joseph, ajouta-t-elle en posant sa petite main sur la main rude du cavalier; s'il meurt, parlez-lui de moi, faites-lui entendre mon nom, dites-lui que je ne lui survivrai pas d'un jour!

Geneviève fondit en larmes; les yeux de Joseph s'humectèrent malgré lui.

«Écoutez, dit-iclass="underline" si vous restez à m'attendre, vous souffrirez trop. Venez avec moi.

– Oui! s'écria Geneviève; mais comment faire?

– Montez en croupe derrière moi. Il fait une nuit du diable: personne ne nous verra. Je vous laisserai dans la métairie la plus voisine du château; je courrai m'informer de ce qui se passe, et vous le saurez au bout d'un quart d'heure, soit que j'accoure vous le dire et que je retourne vite auprès d'André, soit que je le trouve assez bien pour le quitter et vous ramener avant le jour.

– Oui, oui, mon bon Joseph! s'écria Geneviève.

– Eh, bien! dépêchons-nous, dit Joseph; car j'attends Henriette d'un moment à l'autre, et, si elle nous voit partir ensemble, elle nous tourmentera pour venir avec nous, ou elle me fera quelque scène de jalousie absurde.

– Partons, partons vite, dit Geneviève.

Joseph plia son manteau et l'attacha derrière sa selle pour faire un siège à Geneviève. Puis il la prit dans ses bras et l'assit avec soin sur la croupe de son cheval; ensuite il monta adroitement sans la déranger, et piquant des deux, il gagna la campagne; mais, en traversant une petite place, son malheur le força de passer sous un des six réverbères dont la ville est éclairée; le rayon tombant d'aplomb sur son visage, il fut reconnu d'Henriette, qui venait droit à lui. Soit qu'il craignît de perdre en explications un temps précieux, soit qu'il se fît un malin plaisir d'exciter sa jalousie, il poussa son cheval et passa rapidement auprès d'elle avant qu'elle pût reconnaître Geneviève. En voyant le perfide à qui elle avait donné rendez-vous s'enfuir à toute bride avec une femme en croupe, Henriette, frappée de surprise, n'eut pas la force de faire un cri et resta pétrifiée jusqu'à ce que la colère lui suggéra un déluge d'imprécations que Joseph était déjà trop loin pour entendre.

C'était la première fois de sa vie que Geneviève montait sur un cheval. Celui de Joseph était vigoureux; mais, peu accoutumé à un double fardeau, il bondissait dans l'espoir de s'en débarrasser.

«Tenez-moi bien!» criait Joseph.

Geneviève ne songeait pas à avoir peur. En toute autre circonstance, rien au monde ne l'eut déterminée à une semblable témérité. Courir les chemins la nuit, seule avec un libertin avéré comme l'était Joseph, c'était une chose aussi contraire à ses habitudes qu'à son caractère; mais elle ne pensait à rien de tout cela. Elle serrait son bras autour de son cavalier, sans se soucier qu'il fût un homme, et se sentait emportée dans les ténèbres sans savoir si elle était enlevée par un cheval ou par le vent de la nuit.

«Voulez-vous que nous prenions le plus court? lui dit Joseph.

– Certainement, répondit-elle.

– Mais le chemin n'est pas bon: la rivière sera un peu haute, je vous en avertis. Vous n'aurez pas peur?

– Non, dit Geneviève. Prenons le plus court.

– Cette diable de petite fille n'a peur de rien, se dit Joseph, pas même de moi. Heureusement que la situation d'André m'ôte l'envie de rire, et que d'ailleurs mon amitié pour lui…

– Que dites-vous donc? il me semble que vous parlez tout seul, lui demanda Geneviève.

– Je dis que le chemin est mauvais, répondit Joseph, et que si je tombais, vous seriez obligée de tomber aussi.

– Dieu nous protégera, dit Geneviève avec ferveur, nous sommes déjà assez malheureux.

– Il faut que j'aie bien de l'amitié pour vous, reprit Joseph au bout d'un instant, pour avoir chargé de deux personnes le dos de ce pauvre François; savez-vous que la course est longue! et j'aimerais mieux aller toute ma vie à pied que de surmener François.

– Il s'appelle François? dit Geneviève préoccupée; il va bien doucement.

– Oh! diable! patience! patience! nous voici au gué. Tenez-moi bien et relevez un peu vos pieds; je crois que la rivière sera forte.

François s'avança dans l'eau avec précaution, mais quand il fut arrivé vers le milieu de la rivière, il s'arrêta, et, se sentant trop embarrassé de ses deux cavaliers pour garder l'équilibre sur les pierres mouvantes, il refusa d'aller plus avant. L'eau montait déjà presque aux genoux de Joseph, et Geneviève avait bien de la peine à préserver ses petits pieds.

«Diable! dit Joseph, je ne sais si nous pourrons traverser; François commence à perdre pied, et le brave garçon n'ose pas se mettre à la nage à cause de vous.

– Donnez-lui de l'éperon, dit Geneviève.

– Cela vous plaît à dire! un cheval chargé de deux personnes ne peut guère nager: si j'étais seul, je serais déjà à l'autre bord; mais avec vous je ne sais que faire. Il fait terriblement nuit; je crains de prendre sur la droite et d'aller tomber dans la prise d'eau, ou de me jeter trop sur la gauche et d'aller donner contre l'écluse. Il est vrai que François n'est pas une bête et qu'il saura peut-être se diriger tout seul.

– Tenez, dit Geneviève, Dieu veille sur nous: voici la lune qui parait entre les buissons et qui nous montre le chemin; suivez cette ligne blanche qu'elle trace sur l'eau.

– Je ne m'y fie pas; c'est de la vapeur et non de la vraie lumière. Ah ça! prenez garde à vous.

Il donna de l'éperon à François, qui, après quelque hésitation, se mit à la nage et gagna un endroit moins profond où il prit pied de nouveau; mais il fit de nouvelles difficultés pour aller plus loin, et Joseph s'aperçut qu'il avait perdu le gué.