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Du vieux père d’Hector la valeur abattue

Aux pieds de sa famille expirante à sa vue,

Tandis que dans son sein votre bras enfoncé

Cherche un reste de sang que l’âge avait glacé;

Dans des ruisseaux de sang Troie ardente plongée;

De votre propre main Polyxène égorgée

Aux yeux de tous les Grecs indignés contre vous:

Que peut-on refuser à ces généreux coups!

Pyrrhus

Madame, je sais trop à quels excès de rage

La vengeance d’Hélène emporta mon courage.

Je puis me plaindre à vous du sang que j’ai versé;

Mais enfin je consens d’oublier le passé.

Je rends grâces au ciel que votre indifférence

De mes heureux soupirs m’apprenne l’innocence.

Mon cœur, je le vois bien, trop prompt à se gêner,

Devait mieux vous connaître et mieux s’examiner.

Mes remords vous faisaient une injure mortelle.

Il faut se croire aimé pour se croire infidèle.

Vous ne prétendiez point m’arrêter dans vos fers:

Je crains de vous trahir, peut-être je vous sers.

Nos cœurs n’étaient point faits dépendants l’un de l’autre;

Je suivais mon devoir, et vous cédiez au vôtre;

Rien ne vous engageait à m’aimer en effet.

Hermione

Je ne t’ai point aimé, cruel? Qu’ai-je donc fait?

J’ai dédaigné pour toi les vœux de tous nos princes;

Je t’ai cherché moi-même au fond de tes provinces;

J’y suis encor, malgré tes infidélités,

Et malgré tous mes Grecs honteux de mes bontés.

Je leur ai commandé de cacher mon injure;

J’attendais en secret le retour d’un parjure;

J’ai cru que tôt ou tard, à ton devoir rendu,

Tu me rapporterais un cœur qui m’était dû.

Je t’aimais inconstant, qu’aurais-je fait fidèle?

Et même en ce moment où ta bouche cruelle

Vient si tranquillement m’annoncer le trépas,

Ingrat, je doute encor si je ne t’aime pas.

Mais, Seigneur, s’il le faut, si le ciel en colère

Réserve à d’autres yeux la gloire de vous plaire,

Achevez votre hymen, j’y consens; mais du moins

Ne forcez pas mes yeux d’en être les témoins.

Pour la dernière fois je vous parle peut-être.

Différez-le d’un jour, demain, vous serez maître…

Vous ne répondez point? Perfide, je le voi:

Tu comptes les moments que tu perds avec moi!

Ton cœur, impatient de revoir ta Troyenne,

Ne souffre qu’à regret qu’un autre t’entretienne.

Tu lui parles du cœur, tu la cherches des yeux.

Je ne te retiens plus, sauve-toi de ces lieux,

Va lui jurer la foi que tu m’avais jurée,

Va profaner des dieux la majesté sacrée.

Ces dieux, ces justes dieux n’auront pas oublié

Que les mêmes serments avec moi t’ont lié.

Porte au pied des autels ce cœur qui m’abandonne,

Va, cours; mais crains encor d’y trouver Hermione.

Scène VI

Pyrrhus, Phœnix

Phœnix

Seigneur, vous entendez. Gardez de négliger

Une amante en fureur qui cherche à se venger.

Elle n’est en ces lieux que trop bien appuyée:

La querelle des Grecs à la sienne est liée;

Oreste l’aime encore, et peut-être à ce prix…

Pyrrhus

Andromaque m’attend. Phœnix, garde son fils.

Acte V

Scène I

Hermione

Où suis-je? Qu’ai-je fait? Que dois-je faire encore?

Quel transport me saisit? Quel chagrin me dévore?

Errante et sans dessein je cours dans ce palais.

Ah! ne puis-je savoir si j’aime ou si je hais?

Le cruel! de quel œil il m’a congédiée!

Sans pitié, sans douleur au moins étudiée!

L’ai-je vu se troubler et me plaindre un moment?

En ai-je pu tirer un seul gémissement?

Muet à mes soupirs, tranquille à mes alarmes,

Semblait-il seulement qu’il eût part à mes larmes?

Et je le plains encore! Et pour comble d’ennui,

Mon cœur, mon lâche cœur s’intéresse pour lui!

Je tremble au seul penser du coup qui le menace!

Et prête à me venger, je lui fais déjà grâce!

Non, ne révoquons point l’arrêt de mon courroux:

Qu’il périsse! aussi bien il ne vit plus pour nous.

Le perfide triomphe et se rit de ma rage:

Il pense voir en pleurs dissiper cet orage;

Il croit que toujours faible et d’un cœur incertain,

Je parerai d’un bras les coups de l’autre main.

Il juge encor de moi par mes bontés passées.

Mais plutôt le perfide a bien d’autres pensées:

Triomphant dans le temple, il ne s’informe pas

Si l’on souhaite ailleurs sa vie ou son trépas.

Il me laisse, l’ingrat, cet embarras funeste.

Non, non, encore un coup, laissons agir Oreste.

Qu’il meure, puisque enfin il a dû le prévoir,

Et puisqu’il m’a forcée enfin à le vouloir…

À le vouloir? Hé quoi? c’est donc moi qui l’ordonne?

Sa mort sera l’effet de l’amour d’Hermione?

Ce prince, dont mon cœur se faisait autrefois

Avec tant de plaisir redire les exploits,

À qui même en secret je m’étais destinée

Avant qu’on eût conclu ce fatal hyménée,

Je n’ai donc traversé tant de mers, tant d’États,

Que pour venir si loin préparer son trépas?

L’assassiner? le perdre? Ah! devant qu’il expire…

Scène II

Hermione, Cléone

Hermione

Ah! qu’ai-je fait, Cléone? et que viens-tu me dire?

Que fait Pyrrhus?

Cléone

Il est au comble de ses vœux,

Le plus fier des mortels, et le plus amoureux.

Je l’ai vu vers le temple, où son hymen s’apprête,

Mener en conquérant sa nouvelle conquête,

Et d’un œil où brillaient sa joie et son espoir,

S’enivrer en marchant du plaisir de la voir.

Andromaque, au travers de mille cris de joie,

Porte jusqu’aux autels le souvenir de Troie.

Incapable toujours d’aimer et de haïr,

Sans joie et sans murmure elle semble obéir.