Hermione
Et l’ingrat? jusqu’au bout il a poussé l’outrage?
Mais as-tu bien, Cléone, observé son visage?
Goûte-t-il des plaisirs tranquilles et parfaits?
N’a-t-il point détourné ses yeux vers le palais?
Dis-moi, ne t’es-tu point présentée à sa vue?
L’ingrat a-t-il rougi lorsqu’il t’a reconnue?
Son trouble avouait-il son infidélité?
A-t-il jusqu’à la fin soutenu sa fierté?
Cléone
Madame, il ne voit rien. Son salut et sa gloire
Semblent être avec vous sortis de sa mémoire.
Sans songer qui le suit, ennemis ou sujets,
Il poursuit seulement ses amoureux projets.
Autour du fils d’Hector il a rangé sa garde,
Et croit que c’est lui seul que le péril regarde.
Phœnix même en répond, qui l’a conduit exprès
Dans un fort éloigné du temple et du palais.
Voilà dans ses transports le seul soin qui lui reste.
Hermione
Le perfide! Il mourra. Mais que t’a dit Oreste?
Cléone
Oreste avec ses Grecs dans le temple est entré.
Hermione
Hé bien! à me venger n’est-il pas préparé?
Cléone
Je ne sais.
Hermione
Tu ne sais? Quoi donc? Oreste encore,
Oreste me trahit?
Cléone
Oreste vous adore.
Mais de mille remords son esprit combattu
Croit tantôt son amour et tantôt sa vertu.
Il respecte en Pyrrhus l’honneur du diadème;
Il respecte en Pyrrhus Achille et Pyrrhus même;
Il craint la Grèce, il craint l’univers en courroux,
Mais il se craint, dit-il, soi-même plus que tous.
Il voudrait en vainqueur vous apporter sa tête;
Le seul nom d’assassin l’épouvante et l’arrête.
Enfin il est entré, sans savoir dans son cœur
S’il en devait sortir coupable ou spectateur.
Hermione
Non, non, il les verra triompher sans obstacle;
Il se gardera bien de troubler ce spectacle.
Je sais de quels remords son courage est atteint:
Le lâche craint la mort, et c’est tout ce qu’il craint.
Quoi? sans qu’elle employât une seule prière,
Ma mère en sa faveur arma la Grèce entière?
Ses yeux pour leur querelle, en dix ans de combats,
Virent périr vingt rois qu’ils ne connaissaient pas?
Et moi, je ne prétends que la mort d’un parjure,
Et je charge un amant du soin de mon injure,
Il peut me conquérir à ce prix, sans danger,
Je me livre moi-même et ne puis me venger!
Allons: c’est à moi seule à me rendre justice.
Que de cris de douleur le temple retentisse;
De leur hymen fatal troublons l’événement,
Et qu’ils ne soient unis, s’il se peut, qu’un moment.
Je ne choisirai point dans ce désordre extrême:
Tout me sera Pyrrhus, fût-ce Oreste lui-même.
Je mourrai; mais au moins ma mort me vengera,
Je ne mourrai pas seule, et quelqu’un me suivra.
Scène III
Oreste, Hermione, Cléone
Oreste
Madame, c’en est fait, et vous êtes servie:
Pyrrhus rend à l’autel son infidèle vie.
Hermione
Il est mort?
Oreste
Il expire; et nos Grecs irrités
Ont lavé dans son sang ses infidélités.
Je vous l’avais promis; et quoique mon courage
Se fît de ce complot une funeste image,
J’ai couru vers le temple, où nos Grecs dispersés
Se sont jusqu’à l’autel dans la foule glissés.
Pyrrhus m’a reconnu, mais sans changer de face:
Il semblait que ma vue excitât son audace,
Que tous les Grecs, bravés en leur ambassadeur,
Dussent de son hymen relever la splendeur.
Enfin, avec transport prenant son diadème,
Sur le front d’Andromaque il l’a posé lui-même:
«Je vous donne, a-t-il dit, ma couronne et ma foi!
Andromaque, régnez sur l’Épire et sur moi,
Je voue à votre fils une amitié de père;
J’en atteste les dieux, je le jure à sa mère:
Pour tous mes ennemis je déclare les siens,
Et je le reconnais pour le roi des Troyens.»
À ces mots, qui du peuple attiraient le suffrage,
Nos Grecs n’ont répondu que par un cri de rage;
L’infidèle s’est vu partout envelopper,
Et je n’ai pu trouver de place pour frapper.
Chacun se disputait la gloire de l’abattre,
Je l’ai vu dans leurs mains quelque temps se débattre,
Tout sanglant à leurs coups vouloir se dérober,
Mais enfin à l’autel il est allé tomber.
Du peuple épouvanté j’ai traversé la presse
Pour venir de ces lieux enlever ma princesse,
Et regagner le port, où bientôt nos amis
Viendront couverts du sang que je vous ai promis.
Hermione
Qu’ont-ils fait!
Oreste
Pardonnez à leur impatience:
Ils ont, je le vois bien, trahi votre vengeance.
Vous vouliez que ma main portât les premiers coups,
Qu’il sentît en mourant qu’il expirait pour vous;
Mais c’est moi dont l’ardeur leur a servi d’exemple:
Je les ai pour vous seule entraînés dans le temple,
Madame, et vous pouvez justement vous flatter
D’une mort que leurs bras n’ont fait qu’exécuter.
Vous seule avez poussé les coups…
Hermione
Tais-toi, perfide,
Et n’impute qu’à toi ton lâche parricide.
Va faire chez tes Grecs admirer ta fureur,
Va; je la désavoue, et tu me fais horreur.
Barbare, qu’as-tu fait? Avec quelle furie
As-tu tranché le cours d’une si belle vie?
Avez-vous pu, cruels, l’immoler aujourd’hui,
Sans que tout votre sang se soulevât pour lui?
Mais parle: de son sort qui t’a rendu l’arbitre?
Pourquoi l’assassiner? Qu’a-t-il fait? À quel titre?
Qui te l’a dit?
Oreste
Ô dieux! Quoi? ne m’avez-vous pas