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Qui vous rend…

Pyrrhus

Tu l’as vu, comme elle m’a traité.

Je pensais, en voyant sa tendresse alarmée,

Que son fils me la dût renvoyer désarmée.

J’allais voir le succès de ses embrassements:

Je n’ai trouvé que pleurs mêlés d’emportements.

Sa misère l’aigrit; et toujours plus farouche,

Cent fois le nom d’Hector est sorti de sa bouche.

Vainement à son fils j’assurais mon secours:

«C’est Hector, disait-elle, en l’embrassant toujours;

Voilà ses yeux, sa bouche, et déjà son audace;

C’est lui-même; c’est toi, cher époux, que j’embrasse

Et quelle est sa pensée? attend-elle en ce jour

Que je lui laisse un fils pour nourrir son amour?

Phœnix

Sans doute, c’est le prix que vous gardait l’ingrate.

Mais laissez-la, Seigneur.

Pyrrhus

Je vois ce qui la flatte:

Sa beauté la rassure, et malgré mon courroux,

L’orgueilleuse m’attend encore à ses genoux.

Je la verrais aux miens, Phœnix, d’un œil tranquille.

Elle est veuve d’Hector, et je suis fils d’Achille:

Trop de haine sépare Andromaque et Pyrrhus.

Phœnix

Commencez donc, Seigneur, à ne m’en parler plus.

Allez voir Hermione; et content de lui plaire,

Oubliez à ses pieds jusqu’à votre colère.

Vous-même à cet hymen venez la disposer.

Est-ce sur un rival qu’il s’en faut reposer?

Il ne l’aime que trop.

Pyrrhus

Crois-tu, si je l’épouse,

Qu’Andromaque en son cœur n’en sera pas jalouse?

Phœnix

Quoi? toujours Andromaque occupe votre esprit!

Que vous importe, ô dieux! sa joie ou son dépit?

Quel charme, malgré vous, vers elle vous attire?

Pyrrhus

Non, je n’ai pas bien dit tout ce qu’il lui faut dire:

Ma colère à ses yeux n’a paru qu’à demi;

Elle ignore à quel point je suis son ennemi.

Retournons-y. Je veux la braver à sa vue,

Et donner à ma haine une libre étendue.

Viens voir tous ses attraits, Phœnix, humiliés.

Allons.

Phœnix

Allez, Seigneur, vous jeter à ses pieds;

Allez, en lui jurant que votre âme l’adore,

À de nouveaux mépris l’encourager encore.

Pyrrhus

Je le vois bien, tu crois que prêt à l’excuser

Mon cœur court après elle et cherche à s’apaiser.

Phœnix

Vous aimez: c’est assez.

Pyrrhus

Moi, l’aimer? une ingrate

Qui me hait d’autant plus que mon amour la flatte?

Sans parents, sans amis, sans espoir que sur moi;

Je puis perdre son fils, peut-être je le doi;

Étrangère… que dis-je? esclave dans l’Épire,

Je lui donne son fils, mon âme, mon empire,

Et je ne puis gagner dans son perfide cœur

D’autre rang que celui de son persécuteur!

Non, non, je l’ai juré, ma vengeance est certaine:

Il faut bien une fois justifier sa haine,

J’abandonne son fils. Que de pleurs vont couler!

De quel nom sa douleur me va-t-elle appeler!

Quel spectacle pour elle aujourd’hui se dispose!

Elle en mourra, Phœnix, et j’en serai la cause.

C’est lui mettre moi-même un poignard dans le sein.

Phœnix

Et pourquoi donc en faire éclater le dessein?

Que ne consultiez-vous tantôt votre faiblesse?

Pyrrhus

Je t’entends. Mais excuse un reste de tendresse.

Crains-tu pour ma colère un si faible combat?

D’un amour qui s’éteint c’est le dernier éclat.

Allons. À tes conseils, Phœnix, je m’abandonne.

Faut-il livrer son fils? faut-il voir Hermione?

Phœnix

Oui, voyez-la, Seigneur et par des vœux soumis,

Protestez-lui…

Pyrrhus

Faisons tout ce que j’ai promis.

Acte III

Scène I

Oreste, Pylade

Pylade

Modérez donc, Seigneur, cette fureur extrême.

Je ne vous connais plus; vous n’êtes plus vous-même.

Souffrez…

Oreste

Non, tes conseils ne sont plus de saison,

Pylade; je suis las d’écouter la raison.

C’est traîner trop longtemps ma vie et mon supplice:

Il faut que je l’enlève, ou bien que je périsse.

Le dessein en est pris, je le veux achever.

Oui, je le veux.

Pylade

Eh bien! il la faut enlever,

J’y consens. Mais songez cependant où vous êtes.

Que croira-t-on de vous, à voir ce que vous faites?

Dissimulez: calmez ce transport inquiet;

Commandez à vos yeux de garder le secret.

Ces gardes, cette cour, l’air qui vous environne,

Tout dépend de Pyrrhus, et surtout Hermione.

À ses regards surtout cachez votre courroux.

Ô dieux! en cet état pourquoi la cherchiez-vous?

Oreste

Que sais-je? De moi-même étais-je alors le maître?

La fureur m’emportait, et je venais peut-être

Menacer à la fois l’ingrate et son amant.

Pylade

Et quel était le fruit de cet emportement?

Oreste

Et quelle âme, dis-moi, ne serait éperdue

Du coup dont ma raison vient d’être confondue?

Il épouse, dit-il, Hermione demain;

Il veut, pour m’honorer, la tenir de ma main.

Ah! plutôt cette main dans le sang du barbare…

Pylade

Vous l’accusez, Seigneur, de ce destin bizarre;

Cependant, tourmenté de ses propres desseins,

Il est peut-être à plaindre autant que je vous plains.

Oreste

Non, non, je le connais, mon désespoir le flatte;

Sans moi, sans mon amour, il dédaignait l’ingrate;

Ses charmes jusque-là n’avaient pu le toucher: