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– Avec mes mains, comme cela, dit le Noir en ouvrant et refermant ses paumes rosés ainsi que des tenailles. J'ai couru sur la route. Il y avait trop de soleil et ma langue est plus grosse que ma tête tant j'ai soif.

– Viens boire, tu parleras après.

Elle le suivit dans l'écurie, où il prit un seau et but longuement.

– Maintenant, fit-il en essuyant ses lèvres épaisses, je vais prendre un cheval et je vais les poursuivre. Je les tuerai tous avec mon grand sabre.

Il remua la paille et sortit son petit bagage. Tandis qu'il était ses vêtements de satin déchirés et souillés de poussière pour revêtir une livrée plus simple de domestique, Angélique, les dents serrées, entra dans le box et détacha le cheval du Nègre. Les brins de paille piquaient ses pieds nus, mais elle n'en avait cure. Il lui semblait vivre un cauchemar où tout allait lentement, trop lentement...

Elle courait vers son époux, elle tendait les bras vers lui. Mais jamais plus elle ne pourrait le rejoindre, jamais...

Elle regarda le noir cavalier s'élancer. Les sabots du cheval firent jaillir des étincelles de la rue pavée de cailloux ronds. Le bruit du galop décrut alors qu'un autre bruit naissait dans le matin limpide : celui des cloches sonnant les offices de matines pour une action de grâces.

La nuit des noces royales s'achevait. L'infante Marie-Thérèse était reine de France.

Chapitre 3

À travers la campagne et les vergers en fleurs, la cour remontait vers Paris.

La longue caravane étirait entre les blés nouveaux ses carrosses à six chevaux, ses chariots emmenant lits, coffres et tapisseries, ses mulets chargés, ses laquais et ses gardes montés.

Aux abords des villes, on voyait s'avancer dans la poussière les députations des échevins portant, jusqu'au carrosse du roi, les clefs sur un plat d'argent ou sur un coussin de velours.

Ainsi défilèrent Bordeaux, Saintes, Poitiers qu'Angélique, perdue dans ce brouhaha, reconnut à peine.

Elle aussi remontait vers Paris, suivait la cour.

– Puisqu'on ne vous dit rien, agissez comme si de rien n'était, avait conseillé Péguilin.

Il multipliait les « chut ! » et tressautait au moindre bruit.

– Votre mari avait l'intention d'aller à Paris, allez-y. Tout s'expliquera là-bas. En somme, il ne s'agit peut-être que d'un malentendu.

– Mais que savez-vous Péguilin ?

– Rien, rien... je ne sais rien.

Il filait, l'œil inquiet, pour aller bouffonner devant le roi. Finalement, Angélique, après avoir demandé à Andijos et Cerbalaud de l'escorter, renvoya à Toulouse une partie de son équipage. Elle ne garda qu'un carrosse et une voiture, ainsi que Margot, une petite servante, berceuse de Florimond, trois laquais et les deux cochers. Au dernier moment, le perruquier Binet et le petit violoniste Giovani la supplièrent de les emmener.

– Si M. le comte nous attend à Paris et si je lui fais défaut, il en sera fort mécontent, je vous l'affirme, disait François Binet.

– Connaître Paris, oh ! connaître Paris ! répétait le jeune musicien. Si je parviens à y rencontrer le baladin du roi, ce Jean-Baptiste Lulli dont on parle tant, je suis sûr qu'il me conseillera et que je deviendrai un grand artiste.

– Eh bien, monte, grand artiste, finit par céder Angélique.

Elle gardait le sourire, sauvait la face, se raccrochant aux paroles de Péguilin :

– Ce n'est qu'un malentendu.

En effet, hors le fait que le comte de Peyrac s'était subitement volatilisé, rien ne paraissait changé, aucun bruit ne courait de sa disgrâce.

La Grande Mademoiselle ne perdait pas une occasion de parler amicalement à la jeune femme. Elle n'eût pu feindre, car c'était une personne très naïve et sans hypocrisie aucune.

Les uns et les autres s'informaient de M. de Peyrac avec naturel. Angélique finit par dire qu'il l'avait précédée à Paris pour organiser leur arrivée. Mais avant de quitter Saint-Jean-de-Luz, elle chercha en vain à rencontrer Mgr de Fontenac. Celui-ci était reparti pour Toulouse.

Par instants, elle croyait avoir rêvé, se bernait de faux espoirs. Joffrey était peut-être à Toulouse, tout simplement ?...

Aux environs de Dax, alors qu'on traversait les Landes, sablonneuses et brûlantes, un macabre incident la ramena à la tragique réalité. Les habitants d'un village se présentèrent et demandèrent si quelques gardes ne pouvaient venir les aider dans une battue qu'ils avaient organisée contre une sorte de monstre noir et terrible qui mettait à sang la région.

Andijos galopa jusqu'au carrosse d'Angélique et lui chuchota qu'il s'agissait sans doute de Kouassi-Ba.

Elle demanda de voir ces gens. C'étaient des bergers de moutons, grimpés sur les échasses qui seules leur permettent de circuler dans le sol mouvant des dunes. Ils confirmèrent les craintes de la jeune femme.

Oui, il y avait deux jours de cela, les bergers avaient entendu des cris et des coups de feu sur la route. Ils étaient arrivés pour voir un carrosse assailli par un cavalier au visage noir qui brandissait un sabre courbe comme ceux des Turcs. Heureusement les gens du carrosse avaient un pistolet. L'homme noir avait dû être blessé et s'était enfui.

– Qui étaient les gens de ce carrosse ? demanda Angélique.

– Nous ne le savons pas, répondirent-ils. Les volets étaient mis. Il n'y avait que deux hommes d'escorte. Ils nous ont donné une pièce pour enterrer celui auquel le monstre avait coupé la tête.

– Coupé la tête ! répéta Andijos atterré.

– Oui, monsieur, si proprement qu'il a fallu que nous allions la chercher dans le fossé où elle avait roulé.

*****

La nuit suivante, alors que la plupart des équipages se voyaient obligés de camper dans les villages aux environs de Bordeaux, Angélique rêva, de nouveau, au sinistre appel :

« Médême ! Médême ! »

Elle s'agita et finit par s'éveiller. Son lit avait été dressé dans l'unique pièce d'une ferme dont les habitants dormaient à l'écurie. Le berceau de Florimond était près de l'âtre. Margot et la petite servante s'étaient étendues sur la même paillasse. Angélique vit que Margot, levée, enfilait une cotte.

– Où vas-tu ?

– C'est Kouassi-Ba, j'en suis certaine, chuchota la grande femme.

Déjà Angélique était hors de ses draps.

Avec précaution, les deux femmes ouvrirent la porte branlante. Heureusement la nuit était très noire.

– Kouassi-Ba, viens ! soufflèrent-elles.

Quelque chose bougea, et un grand corps chancelant trébucha sur le seuil. Elles le firent asseoir sur un banc. À la lueur de la chandelle, elles virent sa peau grisâtre et décharnée. Ses vêtements étaient souillés de sang. Depuis trois jours, blessé, il errait dans les landes.

Margot fouilla dans les coffres, et lui fit avaler une lampée d'eau-de-vie. Après quoi, il parla.

– Une seule tête, maîtresse, je n'ai pu couper qu'une seule tête.

– Cela suffit largement, je te l'affirme, dit Angélique avec un petit rire.

– J'ai perdu mon grand sabre et mon cheval.

– Je t'en donnerai d'autres. Ne parle pas... Tu nous as retrouvées, c'est le principal. Quand le maître te verra, il te dira : « C'est bien, Kouassi-Ba. »

– Reverrons-nous le maître ?

– Nous le reverrons, je te le promets.

Tout en parlant, elle avait déchiré un linge pour en faire de la charpie. Elle craignait que la balle du pistolet ne fût restée dans la plaie, située au défaut de la clavicule, mais elle découvrit une autre plaie sous l'aisselle, qui prouvait que le projectile était ressorti. Elle versa de l'eau-de-vie sur les deux blessures et les banda énergiquement.

– Qu'allons-nous faire de cet homme, madame ? interrogea Margot, effrayée.