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– Le garder, parbleu ! Il reprendra sa place dans le chariot.

– Mais que dira-t-on ?

– Qui cela « on » ? Si tu crois que tous les gens qui nous entourent se préoccupent des faits et gestes de mon Nègre... Bien manger, avoir de bons chevaux aux relais, se loger confortablement, voilà leurs seuls soucis. Il restera sous la bâche, et à Paris, lorsque nous serons chez nous, les choses s'arrangeront d'elles-mêmes.

Elle répéta énergiquement, pour se convaincre en son for intérieur :

– Tu comprends, Margot, tout ceci est un malentendu.

*****

Maintenant, le carrosse roulait à travers la forêt de Rambouillet. Angélique somnolait, car la chaleur était terrible, Florimond dormait sur les genoux de Margot. Le bruit d'une détonation sèche les réveilla tous en sursaut. Il y eut un choc. Angélique eut la vision d'une ravine profonde. Dans un flot de poussière le carrosse, avec un craquement terrible, versa. Florimond hurlait, à demi écrasé par la servante. On entendait les hennissements claironnants des chevaux, les cris du postillon, des claquements de fouet.

Le même petit bruit sec retentit, et sur la vitre du carrosse, Angélique aperçut une bizarre étoile, pareille aux fleurs de givre de l'hiver, avec un petit trou au milieu. Elle essaya de se redresser à l'intérieur de la voiture renversée, de prendre Florimond.

Tout à coup, la portière fut arrachée et le visage de Péguilin de Lauzun se pencha par l'ouverture.

– Pas de mal, au moins ?

Il disait « au moing » retrouvant dans son émotion l'accent du Sud.

– Tout le monde crie, je suppose que tout le monde est vivant, dit Angélique.

Elle avait une petite écorchure au bras faite par un éclat de verre, mais c'était sans gravité.

Elle passa l'enfant au duc. Le chevalier de Louvigny apparut également, lui tendit la main et l'aida à s'extraire de la voiture. Sur la route, elle reprit précipitamment Florimond contre elle et s'efforça de l'apaiser. Les cris aigus du bébé réussissaient à couvrir tout le tapage, et il était impossible de prononcer un mot. Tout en câlinant son enfant, Angélique vit que l'équipage du duc de Lauzun s'était arrêté derrière son chariot, ainsi que celui de la sœur de Lauzun, Charlotte, comtesse de Nogent, et que les deux voitures des frères Gramont, dames, amis, valets, accouraient vers le lieu de l'accident.

– Mais enfin, que s'est-il passé ? demanda Angélique dès que Florimond lui eut permis d'ouvrir la bouche.

Le cocher avait l'air effaré. L'homme n'était pas des plus sûrs : hâbleur et bavard, toujours un refrain à la bouche, il avait surtout un penchant pour la bouteille.

– Tu avais bu et tu t'es endormi ?

– Non, madame, je vous l'assure. J'avais chaud, certes, mais je tenais ferme mes bêtes. L'attelage allait son train. Voilà que tout à coup deux hommes sont sortis du couvert des arbres. L'un d'eux avait un pistolet. Il a tiré en l'air, ce qui a effrayé les chevaux. Ils se sont cabrés et ils ont reculé. C'est à ce moment-là que le carrosse a versé dans le trou. L'un des hommes avait pris les chevaux au mors. Moi, je lui tapais dessus avec mon fouet tant que je pouvais. L'autre rechargeait son pistolet. Il s'est approché et a tiré dans la voiture. À ce moment-là le chariot est arrivé, et puis ces messieurs à cheval... Les deux bonshommes se sont enfuis...

– C'est une curieuse histoire, dit Lauzun. La forêt est gardée, protégée. Les sergents y ont traqué tous les malandrins en prévision du passage du roi. De quoi avaient-ils l'air, ces coquins ?

– Je ne sais pas, monsieur le duc. Ce n'étaient pas des brigands, pour sûr. Ils étaient bien mis, bien rasés. Le plus que je pourrais dire, c'est qu'ils ressemblaient à des gens de maison.

– Deux valets chassés, en quête d'un mauvais coup ? émit de Guiche.

Un lourd carrosse remontait le long des groupes et finit par s'arrêter. Mlle de Montpensier mit la tête à la portière.

– C'est encore vous, les Gascons, qui faites tout ce tintamarre ! Vous voulez effrayer les oiseaux d'Île-de-France avec vos voix de trompette ?

Lauzun courut jusqu'à elle en multipliant les saluts. Il expliqua l'accident dont Mme de Peyrac venait d'être l'objet, et qu'il faudrait un peu de temps pour redresser et remettre son carrosse en état.

– Mais qu'elle monte, qu'elle monte avec nous, s'écria la Grande Mademoiselle. Mon petit Péguilin, allez la chercher. Venez, ma chère, nous avons toute une banquette inoccupée. Vous y serez à l'aise avec votre bébé. Pauvre ange ! Pauvre trésor !

Elle aida elle-même Angélique à monter et à s'installer.

– Vous êtes blessée, ma pauvre amie. Dès que nous serons arrivées à l'étape, je ferai mander mon médecin.

La jeune femme réalisa avec confusion que la personne qui était assise dans le fond du carrosse, près de Mlle de Montpensier, n'était autre que la reine mère.

– Que votre Majesté m'excuse.

– Vous n'avez pas à vous excuser, madame, répondit Anne d'Autriche avec beaucoup de bonne grâce, Mademoiselle a cent fois raison de vous convier à partager notre voiture. La banquette est confortable, et vous vous y reposerez mieux de vos émotions. Ce qui m'ennuie, c'est ce qu'on me dit à propos de ces hommes armés qui vous ont assaillie.

– Mon Dieu, peut-être ces hommes en voulaient-ils à la personne du roi ou de la reine ! s'écria Mademoiselle en joignant les mains.

– Leurs voitures sont entourées de gardes et je pense qu'il n'y a pas à craindre pour eux. N'empêche, j'en parlerai au lieutenant de police.

Angélique éprouvait maintenant le contrecoup du choc subi. Elle sentit qu'elle devenait très pâle et, fermant les yeux, elle appuya la tête contre le dossier bien rembourré de la banquette. L'homme avait tiré à bout portant en plein dans la vitre. C était par miracle qu'aucun des occupants n'avait été blessé. Elle serra contre elle Florimond. Sous les vêtements légers de l'enfant, elle le sentit amaigri et se fit des reproches. Il était las de ces interminables voyages. Depuis qu'on l'avait séparé de sa nourrice et de son négrillon, il pleurnichait sans cesse et refusait le lait que Margot se procurait dans les villages. Il soupirait en dormant, des larmes suspendues à ses longs cils qui ombraient ses joues pâlies. Il avait une toute petite bouche, ronde et rouge comme une cerise. Doucement, de son mouchoir, Angélique tamponna le front blanc et bombé où perlait la sueur.

La Grande Mademoiselle soupira bruyamment.

– Il fait une chaleur à vous cuire le sang !

– Tout à l'heure, sous les arbres, nous étions mieux, fit Anne d'Autriche en agitant son grand éventail d'écaillé noire, mais voici que nous traversons un espace où la forêt a été clairsemée.

Il y eut un silence, puis Mlle de Montpensier se moucha et s'essuya les yeux. Ses lèvres tremblaient.

– Vous êtes cruelle, madame, de me faire remarquer ce qui depuis un moment me crève le cœur. Je n'ignore pas que cette forêt m'appartient, mais que Monsieur, mon défunt père, l'a fait tant couper pour ses dépenses qu'il n'en reste plus rien. Au moins cent mille écus perdus pour moi, dont j'aurais de beaux diamants et de belles perles !

– Votre père n'a jamais eu beaucoup de discernement dans ses actes, ma chère.

– N'est-ce pas un scandale, toutes ces racines à ras de terre ? Je ne serais pas dans le carrosse de Votre Majesté que je pourrais croire mon procès fait pour crime de lèse-majesté, puisqu'il est d'usage de raser les forêts de ceux qui commettent de tels forfaits.

– Il est vrai qu'il s'en est fallu de peu, dit la reine mère.

Mademoiselle rougit jusqu'aux yeux.

– Votre Majesté m'a affirmé si souvent que sa mémoire avait tout oublié ! Je n'ose comprendre à quoi elle fait allusion.

– Je reconnais que j'ai tort de parler ainsi. Que voulez-vous, le cœur est prompt si la raison se veut clémente. Pourtant je vous ai toujours aimée. Mais il y eut un temps où j'ai été fâchée contre vous. Je vous aurais peut-être pardonné pour l'affaire d'Orléans, mais pour celle de la porte Saint-Antoine et du canon de la Bastille, si je vous avais tenue, je vous aurais étranglée.