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– Ma sœur m'a dit qu'en se mettant aux pieds des patins de bois on marchait très aisément. Allons, Margot, ma chère, ne grogne pas, nous allons visiter Paris, n'est-ce pas merveilleux ?

En descendant, Angélique trouva, dans le vestibule, François Binet et le petit musicien.

– Je vous remercie d'être fidèles, leur dit-elle avec émotion, mais je crois qu'il va falloir nous séparer, car je ne pourrai pas vous garder désormais à mon service. Veux-tu, Binet, que j'aille te recommander à Mlle de Montpensier ? Étant donné le succès que tu as eu près d'elle à Saint-Jean-de-Luz, je suis sûre qu'elle te trouvera un emploi, ou te recommandera à son tour auprès d'un gentilhomme.

À son grand étonnement, le jeune artisan déclina l'offre.

– Je vous remercie, madame, de votre bonté, mais je crois que je vais en toute simplicité me mettre au service d'un patron barbier.

– Toi, protesta Angélique, toi qui étais déjà le plus grand barbier-perruquier de Toulouse !

– Je ne peux, malheureusement, trouver d'emploi plus important en cette ville où les corporations sont très fermées.

– Mais, à la cour...

– Briguer l'honneur des grands, madame, est une œuvre de longue haleine. Il n'est pas bon de se trouver trop subitement en pleine lumière, surtout lorsqu'il s'agit d'un modeste artisan comme moi. Il suffit de si peu de chose, d'une parole, d'une allusion venimeuse, pour vous précipiter du faîte des grandeurs dans une misère plus grande que vous n'auriez connue si vous étiez resté modestement dans l'ombre. La faveur des princes est si changeante qu'un titre de gloire peut aussi bien causer votre perdition.

Elle le regarda un peu fixement.

– Tu veux leur laisser le temps d'oublier que tu as été le barbier de M. de Peyrac ?

Il baissa les paupières.

– Pour moi, je ne l'oublierai jamais, madame. Que mon maître s'impose à ses ennemis et je n'aurai qu'une hâte, c'est de le servir de nouveau. Mais je ne suis qu'un simple barbier.

– Tu as raison, Binet, fit Angélique avec un sourire. J'aime ta franchise. Il n'est aucunement nécessaire que nous t'entraînions dans notre disgrâce. Voici cent écus et je te souhaite bonne chance.

Le jeune homme salua et, prenant son coffre de barbier, se recula jusqu'à la porte avec force courbettes et sortit.

– Et toi, Giovani, veux-tu que j'essaie de te mettre en rapport avec M. Lulli ?

– Oh ! oui, maîtresse, oh ! oui.

– Et toi, Kouassi-Ba, que veux-tu faire ?

– Je veux me promener avec toi, médême.

Angélique sourit.

– Bon. Eh bien, venez tous les deux. Nous allons aux Tuileries.

À cet instant, une porte s'ouvrit et Me Fallot passa sa belle perruque brune dans l'entrebâillement.

– J'entends votre voix, madame, et justement je vous guettais pour vous demander un instant d'entretien.

Angélique fit signe aux trois domestiques de l'attendre.

– Je suis à votre disposition, monsieur.

Elle le suivit dans son étude, où s'agitaient clercs et greffiers. L'odeur fade de l'encre, le grincement des plumes d'oie, la clarté douteuse, les vêtements de drap noir de ces gens besogneux ne faisaient pas de cette salle un lieu extrêmement plaisant. Aux murs étaient pendus une multitude de sacs noirs contenant les dossiers des affaires.

Me Fallot fit passer Angélique dans un petit bureau attenant, où quelqu'un se leva. Le procureur présenta :

– M. Desgrez, avocat. M. Desgrez serait à votre disposition pour vous guider dans la pénible affaire de votre mari.

Angélique, consternée, regardait le nouveau venu. Ça, l'avocat du comte de Peyrac !

Il eût été difficile de trouver manteau plus élimé, linge plus usé, feutre plus miteux. Le procureur, qui pourtant lui parlait avec considération, paraissait presque luxueusement vêtu à côté de lui. Le pauvre garçon ne portait même pas de perruque, et ses longs cheveux semblaient de la même laine brune et rêche que son habit. Cependant, malgré sa pauvreté criante, il possédait certainement beaucoup d'aplomb.

– Madame, déclara-t-il aussitôt, ne parlons pas au futur ni même au conditionnel : je suis à votre disposition. Maintenant, confiez-moi sans crainte ce que vous savez.

– Ma foi, maître, répondit un peu froidement Angélique, je ne sais rien ou à peu près.

– Tant mieux, on ne part pas ainsi sur de fausses présomptions.

– Il y a tout de même un point certain, intervint Me Fallot : la lettre de cachet signée du roi.

– Très juste, maître. Le roi. Il faut partir du roi.

Le jeune avocat mit son menton dans sa main et fronça les sourcils.

– Pas commode ! Pour le point de départ d'une piste on ne peut guère choisir plus haut.

– J'ai l'intention d'aller voir Mlle de Montpensier, la cousine du roi, dit Angélique. Il me semble que par elle je pourrais avoir des renseignements plus précis, surtout s'il s'agit d'une cabale de cour, comme je le soupçonne. Et par elle je pourrai peut-être parvenir jusqu'à Sa Majesté.

– Mlle de Montpensier, peuh ! fit l'autre avec une moue dédaigneuse. Cette grande perche est surtout maladroite. N'oubliez pas, madame, qu'elle a été frondeuse et qu'elle a fait tirer sur les troupes de son royal cousin. À ce titre, elle restera toujours suspecte à la cour. De plus, le roi la jalouse un peu pour ses immenses richesses. Elle comprendra vite qu'il n'est pas de son intérêt de paraître protéger un seigneur tombé en disgrâce.

– Je crois, et j'ai toujours entendu dire que la Grande Mademoiselle avait un excellent cœur.

– Plût au Ciel qu'elle le montrât pour vous, madame ! En tant qu'enfant de Paris, je n'ai guère confiance dans le cœur des grands, qui nourrissent le peuple des fruits de leur mésentente, fruits aussi amers et pourris que ceux qui stagnent sous votre maison, monsieur le procureur. Mais, enfin, entreprenez cette démarche, madame, si vous la croyez bonne. Je vous recommande cependant de ne parler à Mademoiselle ainsi qu'aux princes qu'avec beaucoup de légèreté et sans insister sur l'injustice qui vous est faite.

« Est-ce à un avocaillon en souliers percés de m'apprendre comment on parle aux gens de cour ? » se demandait Angélique avec humeur.

Elle prit sa bourse et en tira quelques écus.

– Voici une avance sur les frais que pourra vous occasionner votre enquête.

– Je vous remercie, madame, répondit l'avocat qui, après avoir jeté aux écus un coup d'œil satisfait, les glissa dans une bourse de cuir qu'il portait à la ceinture et qui paraissait fort plate.

Il salua très courtoisement et sortit.

Aussitôt, un énorme chien danois, au poil blanc parsemé de larges taches brunes, et qui attendait patiemment à l'angle de la maison, se dressa et emboîta le pas à l'avocat. Celui-ci, les mains dans les poches, s'éloigna en sifflotant gaiement.

– Cet homme ne m'inspire guère confiance, dit Angélique à son beau-frère. Je le crois à la fois un plaisantin et un vaniteux incapable.

– C'est un garçon très brillant, affirma le procureur, mais il est pauvre... comme beaucoup de ses pareils. Il y a pléthore d'avocats sans cause sur la place de Paris. Celui-ci a dû hériter la charge de son père, sinon il n'aurait pu l'acheter. Mais je vous l'ai recommandé parce que, d'une part, j'estime son intelligence, et que, de l'autre, il ne vous coûtera pas cher. Avec la petite somme que vous lui avez donnée, il va faire des merveilles.

– La question d'argent ne doit pas intervenir. Si cela est nécessaire, mon mari aura le secours des hommes de loi les plus éclairés.

Me Fallot laissa tomber sur Angélique un regard à la fois hautain et rusé.

– Avez-vous en votre possession une fortune inépuisable ?