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– Mais c'est fort bien, s'écria-t-elle. Que voilà donc une coiffure seyante et flatteuse. Votre perruquier est un artiste, ma belle. Je n'ignore pas pourtant que j'ai le cheveu difficile.

– Votre Altesse a le cheveu fin, mais souple et abondant, dit le perruquier d'un air docte, c'est avec une chevelure d'une telle qualité que l'on peut composer les plus belles coiffures.

– Vraiment ! Vous me flattez. Je vais vous faire bailler cent écus. Mesdames !... Mesdames ! il faut absolument que cet homme s'occupe de moutonner les petites. On réussit à extraire d'une pièce voisine, où caquetaient dames d'honneur et femmes de chambre, les « petites » qui étaient deux adolescentes dans l'âge ingrat.

– Ce sont vos filles sans doute, madame ? s'informa Angélique.

– Non, ce sont mes jeunes sœurs. Elles sont insupportables. Regardez la petite : elle n'a de beau que le teint et elle a trouvé le moyen de se faire mordre par ces mouches qu'on appelle cousins : la voilà toute gonflée. Et, avec cela, elle pleure.

– Elle est triste aussi sans doute de la mort de son père ?

– Point du tout. Mais on lui a trop dit qu'elle épouserait le roi ; on ne l'appelait que la « Petite Reine ». La voici vexée qu'il en épouse une autre.

Tandis que le perruquier s'occupait des fillettes, il y eut un remous dans l'étroit escalier, et un jeune seigneur apparut sur le seuil. Il était de très petite taille avec un visage poupin qui émergeait d'un mousseux jabot de dentelles. Il avait également plusieurs volants de dentelles aux manches et aux genoux. Malgré l'heure matinale, il était mis avec grand soin.

– Ma cousine, fit-il d'une voix précieuse, j'ai entendu dire qu'il y avait chez vous un perruquier qui fait merveille.

– Ah ! Philippe, vous êtes plus futé qu'une jolie femme pour recueillir de pareilles nouvelles. Dites-moi au moins que vous me trouvez belle.

L'autre plissa ses lèvres qu'il avait très rouges et charnues et, les yeux à demi clos, examina la coiffure.

– Je dois reconnaître que cet artiste a tiré de votre visage un parti meilleur qu'on n'en pouvait espérer, dit-il avec une insolence tempérée d'un sourire coquet.

Il retourna dans l'antichambre et se pencha pardessus la rampe.

– De Guiche, mon très cher, venez donc, c'est bien ici.

Dans le gentilhomme qui entrait –un beau garçon bien découplé et très brun –

Angélique reconnut le comte de Guiche, fils aîné du duc de Gramont, gouverneur du Béarn. Le nommé Philippe saisit le bras du comte de Guiche et s'inclina sur son épaule avec tendresse.

– Oh ! que je suis heureux. Nous allons certainement être les gens les mieux coiffés de la cour. Péguilin et le marquis de Humières en pâliront de jalousie. Je les ai vus courir, fort en peine, à la recherche de leur barbier que Vardes leur avait enlevé grâce à une bourse bien pesante. Ces glorieux capitaines des gentilshommes en bec-de-corbin vont en être réduits à paraître devant le roi avec un menton en cosse de châtaigne.

Il éclata d'un rire un peu aigu, passa la main sur son menton frais rasé, puis d'un geste gracieux caressa également la joue du comte de Guiche. Il s'appuyait contre le jeune homme avec beaucoup d'abandon et levait vers lui un regard langoureux. Le comte de Guiche, souriant avec fatuité, recevait ces hommages sans aucune gêne.

Angélique n'avait jamais vu deux hommes s'adonner à semblable manège et elle en était presque embarrassée. Cela ne devait pas plaire non plus à la maîtresse du lieu, car elle s'écria tout à coup :

– Ah ! Philippe, ne venez pas vous livrer chez moi à vos câlineries. Votre mère m'accuserait encore de favoriser vos instincts pervers. Depuis cette fête à Lyon où nous nous sommes déguisés, vous, moi, et Mlle de Villeroy, en paysannes bressanes, elle m'accable de reproches à ce sujet. Et ne me dites pas que le petit Péguilin est dans la peine ou j'envoie un homme à sa recherche pour le mener ici. Voyons si je ne l'aperçois pas. C'est le garçon le plus remarquable que je connaisse, et je l'adore.

À sa façon bruyante et impulsive, elle se précipita de nouveau au balcon, puis recula, une main posée sur sa vaste poitrine.

– Ah ! mon Dieu, le voici !

– Péguilin ? s'informa le petit seigneur.

– Non, ce gentilhomme de Toulouse qui me cause une si grande peur.

Angélique, à son tour, passa sur le balcon et aperçut son mari le comte Joffrey de Peyrac, qui descendait la rue suivi de Kouassi-Ba.

– Mais c'est le Grand Boiteux du Languedoc ! s'exclama le petit seigneur qui les avait rejointes. Ma cousine, pourquoi le craignez-vous ? Il a les yeux les plus doux, une main caressante et un esprit étincelant.

– Vous parlez comme une femme, dit la dame avec dégoût. Il paraît que toutes les femmes sont folles de lui.

– Sauf vous.

– Moi, je ne me suis jamais égarée en sentimentalités. Je vois ce que je vois. Ne trouvez-vous pas que cet homme sombre et claudicant, avec ce Maure aussi noir que l'enfer, a quelque chose de terrifiant ?

Le comte de Guiche jetait des regards effarés à Angélique, et par deux fois il ouvrit la bouche. Elle lui fit signe de se taire. Cette conversation l'amusait beaucoup.

– Précisément, vous ne savez pas regarder les hommes avec des yeux de femme, reprenait le jeune Philippe. Vous vous souvenez que ce seigneur a refusé de plier le genou devant M. d'Orléans, et cela suffit pour vous hérisser.

– Il est vrai qu'il s'est montré jadis d'une insolence rare...

À ce moment, Joffrey leva les yeux vers le balcon. Il s'arrêta, puis, étant son feutre à plumes, il salua à plusieurs reprises très profondément.

– Voyez comme la rumeur publique est injuste, dit le petit seigneur. On raconte que cet homme est plein de morgue et cependant... Peut-on saluer avec plus de grâce ? Qu'en pensez-vous, mon très cher ?

– Certes, M. le comte de Peyrac de Morens est d'une courtoisie reconnue, s'empressa de répondre de Guiche, qui ne savait comment rattraper les impairs dont il venait d'être le témoin, et souvenez-vous de la merveilleuse réception que nous avons eue à Toulouse.

– Le roi lui-même en a gardé un peu d'aigreur. Il n'empêche que Sa Majesté est très impatiente de savoir si la femme de ce boiteux est aussi belle qu'on le dit ? Cela lui paraît inconcevable qu'on le puisse aimer...

Angélique se retira doucement, et, prenant François Binet à part, elle lui pinça l'oreille.

– Ton maître est de retour et va te réclamer. Ne te laisse pas gagner par les écus de tous ces gens ou je te ferai rouer de coups.

– Soyez tranquille, madame. J'achève cette jeune demoiselle et je m'esquive.

Elle descendit et rentra chez elle. Elle pensait qu'elle aimait bien ce Binet, non seulement à cause de son goût et de son habileté, mais aussi de sa ruse entendue, de sa philosophie de subalterne. Il disait qu'il donnait de « l'Altesse » à tous les gens de la noblesse pour être sûr de ne froisser personne.

Dans la chambre, où le désordre n'avait fait qu'empirer, Angélique trouva son mari la serviette nouée au cou, attendant déjà le barbier.

– Eh bien, petite dame, s'écria-t-il, vous ne perdez pas de temps. Je vous quitte ensommeillée, pour me rendre aux nouvelles et connaître l'ordre des cérémonies. Et une heure plus tard je vous retrouve familièrement accoudée entre la duchesse de Montpensier et Monsieur frère du roi.

– La duchesse de Montpensier ! La Grande Mademoiselle ! s'exclama Angélique. Mon Dieu ! J'aurais dû m'en douter quand elle parlait de son père qu'on a enterré à Saint-Denis.

Tout en se déshabillant, Angélique raconta comment elle avait fait connaissance fortuitement de la célèbre frondeuse, la vieille fille du règne, qui, son père Gaston d'Orléans venant de mourir, était maintenant la plus riche héritière de France.