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Sans hésiter, le Noir bondit, s'empara de l'œuf métallique et le présenta, brillant sur sa paume noire.

– C'est de l'or ! haleta le juge Bourié qui restait comme une statue de pierre.

Il voulut s'en emparer, mais à peine l'avait-il effleuré qu'il poussa un cri affreux et retira sa main brûlée.

– Le feu de l'enfer !

– Comment se fait-il, comte, demanda Masseneau en essayant de raffermir sa voix, que la chaleur de cet or ne brûle pas votre serviteur noir ?

– Tout le monde sait que les Maures supportent une braise incandescente dans leur paume, tout comme les charbonniers auvergnats.

Sans y être invité, Bécher surgit les yeux exorbités et vida un flacon d'eau bénite sur le morceau de métal incriminé.

– Messieurs de la cour, vous avez vu fabriquer devant vous, et contre tous les exorcismes rituels, de l'or du diable. Jugez vous-mêmes à quel point le sortilège est puissant !

– Croyez-vous que cet or est véritable ? demanda Masseneau.

Le moine grimaça et tira de son inépuisable poche un autre petit flacon, qu'il déboucha avec précaution.

– Ceci est de l'eau-forte qui attaque non seulement les laitons et les bronzes, mais encore l'alliage or-argent. Cependant, je suis certain d'avance que c'est du purumaurum.

– En fait, cet or extrait de la roche sous vos yeux n'est pas absolument pur, intervint le comte. Sinon, le métal n'eût point produit l'éclair qui illumina le métal en fin de coupellation et qui, accompagnant un brusque changement d'état, a produit cet autre phénomène qui fit sauter le lingot. Berzélius est le premier savant qui ait décrit cet effet étrange.

La voix maussade du juge Bourié demanda :

– Ce Berzélius est-il au moins catholique romain ?

– Sans doute, répondit placidement Peyrac, car c'était un Suédois qui vivait au Moyen Age.

Bourié eut un rire sarcastique.

– La cour appréciera la valeur d'un témoignage aussi lointain. Il y eut ensuite un moment de flottement pendant lequel les juges, penchés les uns vers les autres, s'entretinrent sur la nécessité de continuer la séance ou de la remettre au lendemain.

L'heure était tardive. Les gens se montraient à la fois las et surexcités. En fait, personne ne voulait s'en aller.

Angélique ne ressentait aucune fatigue. Elle était comme détachée d'elle-même. À l'arrière de sa pensée, un petit raisonnement fiévreux se déroulait, dont elle suivait les méandres sans pouvoir le dominer. Il n'était pas possible que la démonstration de l'extraction de l'or fût interprétée de façon défavorable à l'accusé... Est-ce que les excès mêmes du moine Bécher n'avaient pas déplu aux juges ? Ce Masseneau avait beau affirmer qu'il demeurait neutre, il semblait évident, au fond, qu'il était favorable à son compatriote gascon. Mais, d'autre part, tout ce tribunal n'était-il pas composé de rudes et raides gens du Nord ? Et, dans le public, il n'y avait guère que le truculent Me G allemand qui osât manifester des sentiments tant soit peu hostiles aux décisions du roi. Quant à la religieuse qui accompagnait Angélique, elle était certes secourable, mais à la façon d'un glaçon qu'on déposerait sur le front brûlant d'un malade.

Ah ! si la chose s'était passée à Toulouse !...

Et cet avocat, enfant de Paris lui aussi, inconnu, pauvre au surplus, quand lui laisserait-on la parole ?... N'allait-il pas se dérober ? Pourquoi n'intervenait-il plus ? Et le père Kircher, où était-il ? Angélique essayait en vain de discerner, parmi les spectateurs du premier rang, le visage de paysan matois du grand exorciste de France.

Des chuchotements hostiles entouraient Angélique d'une ronde infernale :

– Il paraît que Bourié a la promesse d'entrer en possession de trois diocèses s'il obtient la condamnation de cet homme. Peyrac n'a que le tort d'être en avance sur son siècle. Vous allez voir qu'on va le condamner...

Le président Masseneau toussota.

– Messieurs, dit-il, la séance continue. Accusé, avez-vous quelque chose à ajouter à tout ce que nous avons vu et entendu ?

Le Grand Boiteux du Languedoc se redressa sur ses cannes et sa voix s'éleva pleine, sonore, empreinte d'un accent de vérité qui fit passer un frémissement entre les rangs du public.

– Je jure devant Dieu, et sur les têtes bénies de ma femme et de mon enfant, que je ne connais ni le diable ni ses sortilèges, que je n'ai jamais pratiqué de transmutation de l'or ni créé la vie d'après des conseils sataniques, et que je n'ai jamais cherché à nuire à mon prochain par l'effet de charmes et de maléfices.

Pour la première fois de l'interminable séance, Angélique enregistra un mouvement de sympathie pour celui qui venait de parler.

Une voix claire, enfantine, jaillie du sein de la foule, cria :

– Nous te croyons.

Le juge Bourié se dressa en agitant ses manches.

– Prenez garde ! Voici l'effet d'un charme dont nous n'avons pas assez parlé. N'oubliez pas : la Voix d'or du royaume... la voix redoutable qui séduisait les femmes...

Le même timbre enfantin cria :

– Qu'il chante ! Qu'il chante...

Cette fois, le sang méridional du président Masseneau lui remonta au visage et il se mit à frapper du poing sur son pupitre.

– Silence ! Je fais évacuer la salle ! Gardes, expulsez les perturbateurs !... Monsieur Bourié, asseyez-vous ! Assez d'interruptions. Finissons-en ! Maître Desgrez, où êtes-vous ?

– Je suis là, monsieur le président, répondit l'avocat.

Masseneau reprit son souffle et fit effort pour se maîtriser. Il continua d'un ton plus calme :

– Messieurs, la justice du roi se doit de prendre toutes les garanties. C'est pourquoi, bien que ce procès soit mené à huis clos, le roi, dans sa magnanimité, n'a pas voulu priver l'accusé de tous les moyens de défense. C'est dans ce dessein que j'ai cru devoir accepter que l'accusé produise toute démonstration, même dangereuse, pour jeter la lumière sur les procédés magiques dont il est accusé d'être détenteur. Enfin, suprême clémence du prince, il a obtenu l'assistance d'un avocat, à qui je donne donc la parole.

Chapitre 12

Desgrez se leva, salua la cour, remercia le roi au nom de son client, puis monta sur la petite estrade de deux marches d'où il devait parler.

En le voyant se dresser, très droit, très grave, Angélique avait de la peine à s'imaginer que cet homme vêtu de noir était le même long garçon au nez fureteur qui, le dos rond sous sa casaque râpée, s'en allait à travers les rues de Paris en sifflant son chien.

Le vieux petit greffier Clopot, qui avait « procuré » les pièces s'en vint, selon l'usage, s'agenouiller devant lui.

L'avocat regarda le tribunal, puis le public. Il semblait chercher quelqu'un dans la foule. Était-ce à cause de la lueur jaune des chandelles ? Angélique eut l'impression qu'il était pâle comme un mort.

Pourtant, lorsqu'il parla, sa voix était nette et posée.

– Messieurs,

« Après tant d'efforts déployés tant par l'accusation que par les jurés, au cours desquels votre science de la Loi n'a pu trouver d'égale que la hauteur de votre érudition classique – tout ceci, répétons-le encore avec force, avec le SEUL BUT d'éclairer la Justice du Roi, afin de faire jaillir toute la VERITE, vous avez, Messieurs, épuisé toute la lumière des astres pour dépeindre le présent procès. Après les clairvoyantes citations latines ou grecques de MM. les commissaires du roi, que reste-t-il à un obscur avocat dont c'est la première grande cause, pour découvrir encore quelques minces rayons susceptibles d'aller chercher toute la vérité enfouie au fond du puits de la plus atroce des accusations ? Cette vérité m'apparaît, hélas, tellement lointaine et si dangereuse à révéler que je tremble en moi-même et souhaiterais presque que cette pauvre flamme s'éteigne et me laisse dans l'obscurité tranquille où j'étais auparavant. Mais il est trop tard ! J'ai vu et je dois parler. Et je dois vous crier : Prenez garde, messieurs ! Prenez garde que le choix que vous allez faire n'entraîne votre responsabilité devant les siècles futurs. Ne soyez pas de ceux par la faute de qui les enfants de nos enfants, se tournant vers notre siècle, diront :