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Mais c’était une progression logique qu’il ne pouvait se permettre, aussi se l’arracha-t-il de l’esprit. Les onirolithes étaient le mal, il n’y avait pas d’autre possibilité.

« J’essaie juste de clarifier notre position, conclut le responsable d’équipe.

— Je comprends », lui assura Oberg.

Il sortit de cette réminiscence comme d’un cauchemar.

L’avion effectuait des cercles dans le ciel qu’éclaircissait le jour naissant. La plupart des soldats de la paix s’étaient endormis. Oberg s’imagina la sentir approcher, la source du virus, le centre de l’infection. Il ne trouvait pas cette analogie injuste. Cela se cultivait comme un virus, cela s’insinuait dans le corps, ou du moins dans l’esprit, comme un virus. Et comme un virus, cela servait ses propres buts. Pas ceux des humains.

Il regarda par le hublot et vit, pâle dans la lumière matinale, la poussière de Pau Seco s’élever d’un canyon dans la jungle.

CHAPITRE 8

1. « On dirait l’enfer, dit Keller.

— C’est l’enfer, rectifia Ng d’un ton joyeux. Et vous n’avez encore rien vu. »

Ils étaient arrivés de Cuiabá par la grande autoroute à bord du semi-remorque coréen délabré et chargé de viande réfrigérée que conduisait Ng, pour son travail officiel, disait-il. Il fournissait les bidonvilles surpeuplés de foraos optimistes et de formigas malchanceuses. Cela payait bien, d’après lui. Il ne précisa pas la teneur de son travail officieux.

Durant le long voyage depuis Cuiabá, Teresa et Byron sommeillèrent au fond de l’énorme cabine tandis que Keller tenait compagnie à Ng. Celui-ci ne parla guère, mais Keller parvint néanmoins à confirmer son intuition : ils avaient pour chauffeur un ancien soldat, membre de ces commandos vietnamiens engagés dans l’offensive de la Zone Pacifique. Keller avait toujours eu un peu peur des Vietnamiens, ces soldats sélectionnés, repérés dès la naissance puis élevés dans de grandes crèches militaires aux alentours de Danang. Leurs organismes sécrétaient chroniquement d’importantes doses de sérotonine et de norépinéphrine ainsi que de faibles doses de monoamine oxydase. En d’autres termes, ils étaient agressifs, autoritaires et en besoin permanent d’excitation. Cela se sentait à la manière dont Ng conduisait son camion : trop vite, mais avec un sourire tendu et ravi. Et lorsque, dans un tournant, sa manche se releva un peu, Keller reconnut le pâle double X gravé sous la peau : le tatouage de Danang.

Ils atteignirent la région de Pau Seco peu après l’aube. Keller vit le panache de poussière s’élever sur l’horizon au sud. « Pau Seco ? » interrogea-t-il, et Ng confirma d’un hochement de tête. Une heure leur suffit ensuite pour atteindre la banlieue de la vieille ville, la pauvreté endémique du Brésil, mais à plus grande échelle. Des cabanes couvraient chaque versant des collines en miche de pain, toutes quasi identiques, configurations aléatoires de tôle ondulée, de papier goudronné et de carton. Keller regarda, au bord de la route, les groupes d’hommes émaciés qui assistaient sans curiosité au passage bruyant du grand semi-remorque.

« Des formigas, expliqua Ng. Des mineurs sans permis. En fait, la plupart sont même moins que cela. Ils viennent dans l’espoir de trouver un travail à la mine. Les garimpeiros sont les propriétaires des parcelles. Ils engagent les formigas pour faire leur travail à leur place. Contre un salaire, ou le plus souvent contre un pourcentage des gains futurs. S’il y en a un jour. Sauf qu’il n’y a pas assez de travail pour tout le monde. La plupart d’entre eux passent leurs journées dans le camp des ouvriers en espérant la mort d’un autre. C’est le meilleur moyen d’obtenir du boulot. »

Ils arrivèrent alors sur une hauteur, ce qui permit à Keller de voir la mine elle-même.

Pau Seco, pensa-t-il. L’horrible centre du monde.

Ng immobilisa le poids lourd à l’arrière d’un bâtiment de mâchefer et descendit en époussetant son short de ses petites mains. Il conduisit Keller au sommet d’une colline et désigna d’un geste presque fier la fosse de la mine : « L’enfer », annonça-t-il.

Il avait peut-être bien raison. C’était une gorge ouverte de boue rouge et d’argile blanc, si immense que la distance rendait gris les arbres se dressant sur l’autre bord. Keller effectua un panoramique professionnel, balayant la mine d’est en ouest afin que cette vue puisse être récupérée dans sa mémoire AV. Celle-ci était d’une capacité si impressionnante.

« Avant, c’était une plaine, affirma Ng. Une plaine recouverte par la jungle. Puis les garimpeiros sont venus, et les étrangers, et le gouvernement pour prendre ses vingt-cinq pour cent. Quand ils ont brûlé les arbres, les cendres sont retombées à des kilomètres à la ronde. »

Spectacle d’un autre âge que les formigas remontant les pentes comme les fourmis dont elles portaient le nom, dans l’assourdissant vacarme des outils et des voix. Les Aztèques ont dû extraire leur or de cette manière, pensa Keller avant de ressentir un léger vertige : il y avait là aussi un gouffre de temps.

Ng habitait dans la vieille ville de Pau Seco une cabane donnant sur la mine et le tentaculaire camp des ouvriers. Les vieux quartiers reprenaient vie à la nuit tombée. La ville de Pau Seco, expliqua Ng, concentration de bordels, de banques et de bars, existait pour soutirer leur argent aux un ou deux de ces milliers de garimpeiros qui entraient chaque jour en possession d’argent. Des coups de feu éclataient de temps en temps.

Keller s’assit sur l’entrée en bois de la cabane en buvant à gorgées prudentes le contenu d’une bouteille de cachaça blanche tandis que Ng leur expliquait dans quelle délicate situation ils se trouvaient.

Il parlait un anglais coulant, plat, et teinté d’un accent américain. « Je ne connais pas Cruz Wexler. » Il haussa les épaules. « Cruz Wexler ne signifie rien pour moi. Il y a deux mois, j’ai été contacté par un homme se présentant comme un arpenteur de la SUDAM. Un Brésilien. Avec des papiers de la SUDAM et un beau costume. Il m’a dit qu’il connaissait un acheteur intéressé par l’acquisition d’une pierre des profondeurs et m’a demandé si je pouvais arranger cela. » Il s’allongea en travers des trois marches séparant de la boue sa cabane en bois et tira sur un trou de son T-shirt. « Eh bien, ce n’est pas facile. La sécurité est très stricte. Ils ont cité une somme, et comme cette somme m’a paru attirante, j’ai dit que je ferais mon possible.

— C’est arrangé ? demanda Byron d’un ton plein d’espoir.

— Vous pourrez avoir la pierre demain. Mieux vaut ne pas traîner. Mais il faut que vous compreniez… vous êtes venus ici comme messagers, non ? »

— On prend la pierre et on l’emporte hors du pays… expliqua Byron.

— Personne ne vous a dit que ça pourrait être dangereux ?

— Nous avons des documents…

— Du papier. » Ng haussa les épaules. « Si c’était aussi simple, n’importe quel forao un tant soit peu futé repartirait d’ici plein aux as. » Il sourit. « Il n’y a pas beaucoup de contrebande parce que l’endroit est sous contrôle militaire. On peut faire à peu près ce qu’on veut, dans la vieille ville. Mais les soldats sont là, avec leurs fusils, et ils s’en servent. La peine officielle pour le crime dont nous parlons est la mort. C’est-à-dire une exécution sommaire. Un procès serait…» Son sourire s’élargit. «… très inhabituel.