Выбрать главу

Vers les Agences, pensa Byron, lugubre. Il enfonça la touche échappement, remonta dans sa barque de location, et se perdit en quelques minutes dans la circulation.

Dans une deuxième cabine, au fond du quartier industriel, il passa un autre appel, cette fois dans les Flottes : un ami, un artiste local du nom de Montoya. Il n’arrivait pas à joindre la propriété de Cruz Wexler à Carmel, Montoya savait-il pourquoi ?

Les yeux de son interlocuteur s’écarquillèrent. « Tu as peut-être été idiot de l’appeler. Tu rentres de voyage ? Les Agences ont fait une descente chez Wexler il y a quelques semaines. Le bâtiment est fermé et ses documents sous scellés. »

Byron réfléchit. Cela avait dû se produire peu après leur départ pour le Brésil. Ce n’est pas une coïncidence, pensa-t-il.

« Ils ont même fait une descente à certains endroits des Flottes, précisa Montoya. Ça a été une période difficile. Il y avait des gens très bien à Carmel quand le couperet est tombé. » Il secoua la tête.

« Ils ont pris Wexler ? »

Montoya plissa les yeux et se lécha les lèvres. « Ce n’est pas que je n’ai pas confiance en toi, hein ? Mais il se pourrait que quelqu’un t’ait demandé de poser la question. »

Byron saisit l’objectif de la caméra et força celle-ci à pivoter à gauche puis à droite sur son axe rouillé. « Tu vois quelqu’un avec moi ?

— Demande à Cat », suggéra Montoya avant de quitter l’écran.

Katsuma alias Cat était une petite habitante des Flottes, une Flotteuse de deuxième génération qui peignait des cristaux pour les galeries du continent.

Elle connaissait Byron et Teresa depuis des années et se déclara ravie de le revoir. « J’ai entendu de vilaines rumeurs, dit-elle. Je suis heureuse que tu ailles bien.

— Ça va à peu près, répondit Byron. Parle-moi de Wexler.

— Tu as vraiment besoin de discuter avec lui ?

— Cela me permettrait d’éclaircir certaines choses. » Même si la perspective de trouver de l’argent s’éloignait.

« Dans ce cas, retrouve-moi cet après-midi. » Et elle nomma un café près de la digue sud des usines.

Il s’imaginait que Wexler lui devait au moins une explication.

En partant vers le sud dans sa barque de location, il récapitula tout ce qu’il savait de Cruz Wexler.

La plus grande partie était de notoriété publique, Wexler étant, ou ayant été, une célébrité. Durant les années de guerre, les oniros avaient commencé à circuler en sous-main parmi les drogués, et bénéficié d’une espèce d’effet de mode au cours duquel la curiosité publique avait atteint son zénith. Docteur en dynamique du chaos, Wexler fut toutefois renvoyé lorsqu’il commença à publier des articles dans lesquels il décrivait les pierres de rêve comme une « manne psychique envoyée par une civilisation plus ancienne et plus saine d’esprit ». Il perdit donc son poste mais gagna des disciples. Il avait occupé quelques années durant une place éminente dans les cercles bohèmes, possédé à un moment une propriété dans les Flottes. Mais sa renommée avait décliné et Wexler vivait désormais plus ou moins en retraite dans sa propriété de Carmel, où il se battait contre un emphysème progressif et jouait au sage devant qui s’obstinait à lui rester fidèle. Il comptait toujours des partisans parmi les artistes des Flottes puisant leur inspiration dans les pierres. Ceux-ci lui rendaient régulièrement visite à Carmel pour profiter de sa soi-disant édification. Aux yeux de Byron, cela relevait plus ou moins du n’importe quoi… Mais c’est Wexler qui avait garanti son labo, et seul Wexler pourrait expliquer la débâcle de Pau Seco.

Il amarra son embarcation à un quai payable à l’heure derrière les ruines d’une raffinerie avant de marcher jusqu’au café indiqué par Cat. Le quartier était dangereux. Pas horrible, mais sous l’influence évidente des taudis plus au sud. Dans le périmètre délimité par un grillage, il reconnut Cat assise à une table haute donnant sur le canal. Un homme l’accompagnait. Malgré la casquette de marin enfoncée jusqu’aux oreilles et la barbe de plusieurs jours, on reconnaissait sans mal Wexler. Désormais nerveux et concentré, Byron commanda une bière qu’il emporta à la table.

« Byron », le salua chaleureusement Cat.

Mais il regardait Wexler. Celui-ci ne dit rien, lui retournant toutefois son regard. Un regard calme et bleu. Il restait une figure charismatique. Les gens ne croyaient pas qu’on pouvait mentir avec des yeux comme ceux-là.

Il inspirait et expirait avec un bruit rauque.

Cat se leva en soupirant. « Bon, à plus tard. »

Elle effleura l’épaule de Byron et se pencha sur lui. « Vas-y mollo avec lui, d’accord ? Je le loge dans ma flottante. Il n’a nulle part où aller et les poumons dans un sale état. »

Une fois Cat trop loin pour les entendre, Byron dit d’une voix blanche : « J’ai toutes les raisons de penser que tu nous as baisés. »

Wexler hocha la tête. « Je vois très bien ce qui t’amène à le penser.

— Une balade, que tu disais. Des vacances.

— Des circonstances imprévues. Teresa va bien ?

— Plus ou moins. » Il n’appréciait pas la question.

« Vous avez la pierre ? »

Non, pensa Byron. Tu n’es pas autorisé à obtenir cette information. Pas encore. Il sourit. « Tu aimerais bien le savoir », dit-il.

Wexler s’appuya à son dossier et sirota son café. « Je ne suis pas là…», dit-il enfin – en voulant parler des Flottes, comprit Byron – «… par choix. Tu l’as peut-être remarqué.

— Tu t’es fait dégommer, d’après Cat.

— Ils ont débarqué en force. Je ne m’y attendais pas.

— Mais tu n’étais pas chez toi ? Quelle heureuse coïncidence.

— Je ne m’attendais à rien de tout cela. Sinon, je ne vous aurais pas envoyé dans le Sud. Je peux expliquer, ou tu préfères me casser le nez ? »

Byron s’aperçut qu’il avait les poings serrés. Encore des conneries, songea-t-il amèrement. Mais autant écouter. Il réalisa alors qu’il était venu là non pour obtenir argent ou réparation, mais pour le bien de Teresa. Sa tristesse, flagrante, effrayante, avait un lien étroit avec la pierre. Si quelqu’un pouvait le comprendre, c’était peut-être bien Wexler.

Une mouette piailla qui décrivait des cercles au-dessus de leurs têtes. Byron jeta une miette prise sur la table et observa l’oiseau se précipiter à la poursuite du résidu vers l’eau noire du canal. « Je t’écoute », dit-il.

Wexler raconta que les Agences étaient venues fermer sa propriété. Une rafle radicale. Elles l’avaient toujours ignoré jusqu’ici. Les pierres de rêve étaient de la contrebande, sur le plan légal, mais personne ne s’occupait d’appliquer vraiment cette loi : vu l’insignifiance du crime, l’appliquer à grande échelle aurait été trop coûteux. « Ils ont changé d’avis avec les nouveaux oniros, expliqua Wexler. Les oniros des profondeurs.

— Tu savais, accusa Byron.

— On m’avait prévenu, admit l’autre. J’ai mes propres contacts. De toute évidence.

— Il y avait des gens bien, à Carmel.

— On n’a pas eu le temps de les faire sortir. Ils sont en détention, mais j’ai cru comprendre qu’on ne tarderait pas à les relâcher. » Il but une gorgée de café, inspira tant bien que mal. « Il faut que tu comprennes, pour les pierres. »