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Wexler hocha la tête d’un air songeur. Il arborait une barbe grise de plusieurs jours et respirait d’une manière bruyante et forcée, comme si la respiration n’était pas pour lui un réflexe mais une tâche qu’il devait préparer et accomplir. Une légère inquiétude emplissait son regard.

Il parla des Exotiques.

Il avait consacré sa vie à ce genre de conjectures. Elle comprit que telle était sa nature, qu’il posait les questions que personne d’autre ne voulait poser. Tout le monde extrayait des données techniques des oniros, mais personne ne posait les questions plus profondes : peut-être, avança-t-il, parce qu’elles faisaient peur. Mais Wexler avait vu les paysages de transe, avait aperçu le tourbillon de l’histoire.

« Si quelqu’un me demandait mon avis, continua-t-il, je dirais que tout était préparé. Tout. Il existe une espèce de pierre, très banale, avec ses microtensions binaires : en gros, elle parle aux machines. Elle dit quelque chose de complètement différent à des gens comme nous. Il y a des visions, un sentiment d’importance, d’imminence. Et puis il existe cette pierre plus rare. Elle en a encore davantage à raconter. Mais il faut y mettre le prix. »

Elle secoua la tête. « Je ne comprends pas.

— Moi non plus. Vraiment. Mais je peux deviner. Cela dépend, n’est-ce pas, de ce que les Exotiques pensaient de nous, du genre de créatures pour lequel ils nous prenaient. Et je pense que pour eux, nous étions des choses cassées. Fracturées. Divisées. » Il marqua un temps d’arrêt pour reprendre sa respiration. « Divisées contre nous-mêmes. Non seulement collectivement, mais individuellement. L’esprit contre lui-même. Je pense que cela les a surpris.

— Ils étaient différents ?

— Entiers, d’une certaine manière, d’une manière qui compte, là où nous sommes brisés. Mais tu as dû le sentir. »

Elle l’avait senti, en effet. Ce souvenir lui parut agréable mais quelque peu décourageant, comme une espèce de reproche. L’effet de la pilule s’estompe, pensa-t-elle. Elle sentait venir la morsure de la sobriété.

« Ils nous ont devancés, disait Wexler. Ils ont compris notre habileté avec les outils. Ils ont deviné, je pense, ce que nous pourrions accomplir avec notre technologie. »

Elle secoua la tête, encore embrouillée.

« Eh bien, dit-il, qu’avons-nous fait, au juste ? Nous pouvons manipuler l’esprit lui-même. Mais nous ne le soignons pas. Nous ne le rendons pas entier. Au contraire, nous le fracturons. Nous le divisons. Nous avons des soldats de crèche, nous avons des bataillons de névrosés. Nous formons nos psychoses, nous les dressons comme des chiens à faire des tours pour nous. Nous nous modifions pour correspondre à notre fonction.

— Comme Ray, dit Teresa.

— Comme Ray. Comme tout le monde. Et ce n’est pas bien, c’est dangereux. Cela nous prive de conscience et, plus grave encore, je pense que, d’une manière ou d’une autre, cela nous prive de notre âme. »

Mais il avait déjà dit la plus grande partie de tout cela par le passé. Elle se souvint d’un de ses discours dans sa propriété de Carmel – un ranch de style espagnol plein de coins et de recoins acquis grâce à l’argent de ses premiers succès et entretenu, mais tant bien que mal, avec celui des producteurs d’oniros comme Byron – devant une foule d’artistes des Flottes tous plus miteux les uns que les autres. Il avait parlé avec tout autant de panache de Paracelse, des Gnostiques et de sagesse cryptique. De grandioses absurdités. Qui avaient abouti à cela : un vieillard malade dans une cabane flottante délabrée. Cette pensée la déprima.

Il dut remarquer son scepticisme. Il baissa la tête et posa sur la table ses mains âgées à la peau pâle et parcheminée, aux ongles rongés. « Je suis désolé, dit-il. Je me laisse emporter.

— Je ne la supportais pas, avoua-t-elle. La pierre. La pierre de Pau Seco. Je voulais cela. Vraiment. Me souvenir. Moi-même. Mais… je ne la supportais pas.

— Je me demande si c’est vrai. »

Elle le regarda avec colère. « Tu n’étais pas là.

— Bien entendu. Mais je pense que c’est ce qu’ils exigent de nous. » Il ajouta doucement : « Logique. »

Elle se sentit offensée et vaguement menacée.

« C’est la partie d’eux-mêmes qu’ils ont cachée, dit-il. La partie d’eux-mêmes qu’ils n’ont pas voulu donner aux machines. Une profusion de connaissances véritables. Le temps et l’histoire. Mais seulement d’esprit à esprit, tu comprends ? Entre esprits entiers.

— Je ne la voulais pas tant que ça.

— Peut-être en avais-tu besoin », dit-il doucement.

Elle se leva. Elle commençait à avoir mal à la tête. Il était venu lui embrouiller les idées, ce qui ne lui plaisait pas. « Fais-le, lança-t-elle avec mauvaise humeur. Fais-le, toi. »

Il répondit d’une voix faible. « Cela m’effraie. » Une confession. « Pénible. Après tout ce temps. La gnose. La chose véritable. Mais elle me fait peur. » Il eut un sourire creux. « Il n’y a pas que cela. Je pense qu’il faut une espèce d’innocence. Dont je ne dispose pas.

— Tu crois que moi, oui ? Tu crois que moi, je l’ai ? » Sans savoir pourquoi, elle criait. Les mots jaillissaient de sa bouche, sans source. « Je ne suis pas innocente ! » Elle paniquait. Il lui fallait une pilule. La tranquillité. La paix. Son corps la réclamait. « Je ne suis pas quelqu’un de bon. »

Elle se précipita vers la porte.

Byron les avait écoutés de l’autre pièce.

Wexler se leva lorsque le chimiste en ressortit. « Je suis désolé, dit-il aussitôt. Je pensais…

— Elle est comme ça, l’interrompit Byron.

— Je voulais l’aider.

— Je comprends.

— Eh bien… Je ferais mieux de partir.

— Tu le pensais vraiment ? Ce que tu lui as dit ? »

Wexler hocha la tête.

« Nous ne pouvons pas l’aider.

— Il semble que non.

— Mais Ray pourrait ? »

Le vieillard haussa les épaules. « Peut-être. »

Wexler laissa Byron lui dérouler un matelas dans le coin de la cabane. Il était trop tard pour rentrer chez Cat et sa respiration l’inquiétait. Aussi accepta-t-il la proposition. Trois personnes dans cette cabane de deux pièces.

Il ne dormait pas quand Teresa rentra. Elle traversa la pièce obscure avec la grâce aérienne que lui conférait son trip aux enképhalines. Elle retombait à une vitesse terrifiante dans la dépendance dont elle était sortie.

Peut-être avait-il fait preuve d’un peu de légèreté en l’envoyant à Pau Seco. Mais il n’avait vraiment pas prévu tout cela… tout juste soupçonné que si une crise se déclarait, elle se déclarerait à l’intérieur du pays et qu’il vaudrait mieux en tenir Teresa à l’écart, pour sa sécurité. Il avait méticuleusement pris des dispositions, dans lesquelles il avait investi une importante somme d’argent sans douter un seul instant garantir ainsi la sécurité de la jeune femme.

Mais il n’avait pas compté sur sa propre faiblesse.

Aussi lui redevait-il toute l’aide dont il était capable. Aussi était-il venu dans cette cabane.