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– Où sont mes bésicles ? Tu n'as pas vu mes bésicles, Alexandre ?

Il se tournait vers un adolescent qui l'accompagnait et qui malgré son jeune âge paraissait aussi renfrogné que le marquis se montrait jovial et exubérant.

– Des bésicles ! répondit le garçon d'un air rogue. Pourquoi faire des bésicles ?

– Mais pour voir, bon Dieu ! Tu sais bien que je suis quasiment aveugle sans mes verres. Je viens de commettre un impair irréparable. Ah ! Mesdames, que d'excuses ! Mais oui, en effet, chère comtesse, vous êtes blonde ! La description me semble plus exacte. Ainsi c'est donc vous la dame du Lac d'Argent, dont tout Québec raconte la légende.

Il se ressaisissait, retrouvait sa faconde, son sourire spontané et son regard allait avec un plaisir évident de l'une à l'autre des deux femmes.

– Qu'importe ? décréta-t-il, la blonde vaut la brune. J'aurais tort de regretter. Plus il y a de jolies femmes, plus l'on est heureux ! Décidément, la vie est belle !

Il leur prit à toutes deux péremptoirement le bras.

– Vous ne m'en voulez pas ? demanda-t-il à Angélique.

– Mais non, réussit-elle à dire tandis qu'il enchaînait aussitôt, tourné vers Ambroisine.

– Et vous non plus, j'espère. Je suis comme ça. Franc, direct, je dis ce que je pense, et lorsque quelqu'un m'inspire de l'admiration, je suis absolument incapable de me contrôler. J'ai pour la beauté, toutes les formes de beauté, une passion, un culte, et il faut que je l'exprime.

– C'est un travers que je suppose, on vous pardonne volontiers.

La duchesse de Maudribourg paraissait s'égayer. Son beau visage qui semblait habituellement triste s'était transformé. Elle riait avec indulgence. Elle riait et regardait le marquis au visage avec une hardiesse qui ne lui semblait pas coutumière.

– Monsieur, dit-elle, m'est-il permis de vous poser une question ?

– Mais oui. À une femme aussi gracieuse tout est permis !...

– Pourquoi avez-vous le visage barbouillé de noir ?

– Que me dites-vous là ? s'écria-t-il très agité. Ah ! Je sais, j'ai apporté des échantillons de charbon de terre, qui provient de la baie de Chignecto, à M. de Peyrac...

Il cherchait son mouchoir avec fébrilité.

– Je sais qu'il goûte ce genre de cadeau. Nous avons, ce tantôt, examiné et apprécié ensemble la beauté et la qualité de ce minéral qui remplace si avantageusement le bois par les dures journées d'hiver. J'en ramène une cargaison à Québec. Mais c'est assez salissant.

Il s'essuyait et s'époussetait et retrouvait vite son élan.

– En échange, il m'a offert un poêle de Hollande de toute beauté ! Que dites-vous de cette délicate attention ! Quel homme charmant ! Ma maison de Québec va être la plus belle de tout le Nouveau Continent.

« Comte, dit-il à Joffrey de Peyrac qui s'approchait, décidément, c'est intolérable ! Vous thésaurisez les merveilles les plus rares dans votre sacré Gouldsboro. Vous voici nanti des deux plus belles femmes du monde.

– Avez-vous fait connaissance avec la duchesse de Maudribourg ? demanda Peyrac en désignant celle-ci.

– Nous venons de faire connaissance.

Il baisa à plusieurs reprises le bout des doigts d'Ambroisine.

– Elle est charmante.

– Mme de Maudribourg est notre hôte depuis quelques jours. Son navire a fait naufrage dans nos parages.

– Naufrage ! Quelle horreur ! Me feriez-vous croire que ce magnifique pays, cette mer si belle sont dangereux ! ...

– Ne faites pas l'innocent, dit Peyrac en riant. Vous êtes payé pour le savoir après l'exploit sans pareil que vous venez d'accomplir, de franchir les chutes réversibles de l'estuaire Saint-Jean avec votre trois-mâts.

– Ce n'est pas moi qui l'ai accompli, c'est Alexandre, dit le marquis en se rengorgeant.

Joffrey de Peyrac présentait à la duchesse Colin Paturel, gouverneur de Gouldsboro, le lieutenant de celui-ci, Barssempuy, le chef de la flotte Roland d'Urville, Don Juan Alvarez, capitaine de ses gardes espagnols, et les principales notabilités parmi les Huguenots de La Rochelle, enfin le baron de Saint-Castine dont Angélique découvrit la présence, puis le futur beau-père de celui-ci, Mateconando, le sagamore des Souriquois du Pénobscot qui se présenta coiffé, sur ses longs cheveux tressés, du béret noir florentin donné par Yerruzano.

La duchesse sourit à tous avec grâce.

– Décidément, comte, vous aviez raison. Il semble qu'il y ait sur ces plages plus de gentilshommes bien nés que dans l'antichambre du roi.

Elle se souvenait de la réflexion qu'il lui avait faite a son arrivée.

– Nous sommes tous gentilshommes d'aventures ! s'écria le lieutenant de Barssempuy. Nous portons haut les bannières de nos pères, tandis que dans l'antichambre du roi il n'y a plus que des bourgeois ou des couards.

Il cherchait à se faire valoir, car il aimait Marie-la-Douce, et craignait que la duchesse ne fût pas favorable à sa candidature. Pour plus de sûreté, il lui répéta son nom que le comte avait déjà énoncé, et cita les titres de ses pairs dans la région de Nantes dont il était originaire.

La duchesse regarda avec intérêt ce visage tanné de jeune corsaire, qui respirait la franchise et l'entrain du guerrier accoutumé aux combats. En effet, ce n'était ni dans l'antichambre du roi ni dans les parloirs des couvents que la duchesse de Maudribourg avait pu rencontrer ce type de gentilhomme. Il était nouveau pour elle. Une certaine curiosité contenue brillait dans les yeux d'Ambroisine, et ses regards allaient de l'un à l'autre des visages qui l'entouraient. Elle se contrôlait beaucoup et il était difficile de savoir ce qu'elle pensait, mais Angélique avait l'intuition qu'elle éprouvait un certain plaisir à se trouver dans cette société inhabituelle.

Barssempuy essayait d'attirer l'attention de Marie-la-Douce par quelques signes, imité en cela, avec beaucoup moins de discrétion, par Aristide Beaumarchand qui voulait accaparer Julienne.

Mais les Filles du roi se tenaient sagement groupées sous l'égide de leur bienfaitrice et de Pétronille Damourt, le secrétaire Armand Dacaux fermant la marche.

Le marquis de Villedavray les découvrit.

– Mais, en voilà d'autres ! s'exclama-t-il. Oh ! Quel admirable endroit ! Venez donc, mesdames, venez vous rafraîchir.

Il rompit le cercle et entraîna tout ce monde vers les tréteaux. Angélique l'entendit dire à Ambroisine de Maudribourg :

– Un naufrage ! Mais c'est affreux ! Contez-moi cela, ma pauvre petite !

Elle alla renouer connaissance avec le baron de Saint-Castine, qui lui présenta sa fiancée, Mathilde, la jeune princesse indienne qu'il aimait. Elle était belle et fine avec ses lourdes tresses noires encadrant l'ovale de son visage doré.

– Pouvez-vous me donner des nouvelles de notre marinier anglais Jack Merwin ? s'enquit Angélique auprès du baron.

– Le père de Vernon ? Il a repris la route. Je pense qu'il a dû essayer de joindre le père d'Orgeval sur le Kennebec pour lui rendre compte de sa mission.

– Où en est la guerre indienne ?

– Mes populations se tiennent coites, mais les nouvelles qui nous parviennent les émeuvent, et je les contiens difficilement. Les Abénakis de l'ouest du Kennebec continuent à moissonner scalps et prisonniers. On dit qu'ils ont mis à l'eau leurs flottilles afin d'assaillir les îles de la baie de Casco et traquer l'Anglais jusque dans les derniers repaires. Si les îles tombent, la Nouvelle-Angleterre se relèvera mal de ce coup.

– Bonne affaire ! cria Villedavray qui, non loin, tout en dégustant une préparation au crabe, avait surpris ces paroles.

– L'affaire sera moins bonne si le corsaire Phipps capture votre intendant de la Nouvelle-France, rétorqua Saint-Castine, et si, par représailles, tous ces navires anglais qui pèchent en ce moment dans la Baie viennent mettre le siège devant mon fort de Pentagoët.