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– Mais comment donc ! s'exclama-t-elle. J'ai été élevée au couvent des Ursulines de Neuilly près de Paris, et je sais lire et parler en société.

– Vous m'en voyez ravi, affirma le brave garçon. Voulez-vous boire de la bière d'épinette, de la limonade de sumac blanc, ou un peu de vin d'Espagne pour avoir le cœur content ?

– Du vin d'Espagne, dit la jeune fille qui retrouva son sourire.

La duchesse aux côtés d'Angélique avait suivi le manège.

– Ce jeune homme est bien bon de s'occuper de cette enfant, fit-elle remarquer avec un soupir. Ma pauvre Mauresque ! Je ne voulais pas m'en charger, mais c'est mon amie, la marquise de Roquencourt, qui a tant insisté pour que je m'occupe d'elle. Je ne sais si elle trouvera preneur à Québec. Et je le regrette car je me suis attachée à elle. Enfin, elle pourra toujours prendre le voile comme converse. Elle est très accomplie.

Dans un éclair, Angélique songeait aux enfants bâtards que les grandes dames dépravées concevaient avec leur Maure et qu'elles cachaient ensuite au fond d'un couvent ou que leurs valets venaient vendre, dans un panier, à la Cour des Miracles.

– À quoi songez-vous ? demanda la duchesse en lui posant la main sur le poignet.

– À rien de précis, fit Angélique en secouant la tête pour chasser ses réminiscences.

Paris et ses perversions étaient loin. Ambroisine la considérait, avec attention, de ses immenses yeux d'ambre.

– Il y a parfois quelque chose qui passe sur votre visage, dit-elle, et qui vous rend d'une beauté surprenante... Vous devez avoir une vie intérieure intense ?

– Je ne sais pas, fit Angélique en souriant. Je n'ai guère le temps de méditer.

Elle s'interrogeait sur l'opportunité de parler dès maintenant à la duchesse du projet de l'établissement de ses Filles du roi à Gouldsboro, car le moment semblait bien choisi.

Mais Joffrey de Peyrac revint vers elles.

– Ne m'avez-vous pas informé que le Sagamore Piksarett s'était présenté ce matin à Gouldsboro ?

– En effet. Il venait pour réclamer ma rançon, m'a-t-il dit, et il voulait vous rencontrer de toute urgence. Mais je ne le vois pas ici.

– Qu'est-ce que c'est que cette histoire de rançon ? interrogea la duchesse en ouvrant de grands yeux. Vous y avez déjà fait allusion ce matin.

Angélique expliqua rapidement que dans un combat en Nouvelle-Angleterre elle avait été capturée par le fameux Piksarett. Il la laissait libre mais, selon les lois de la guerre indienne, M. de Peyrac lui devait une rançon, ainsi qu'aux deux autres guerriers abénakis, pour les Anglais capturés par eux et dont on avait obtenu la libération.

– Tout cela est extraordinaire, dit Mme de Maudribourg en la regardant avec étonnement. Pourquoi ne vous débarrassez-vous pas de ces Indiens insolents ?

– Il faut respecter leurs coutumes...

On avait fait appeler les deux guerriers, Jérôme et Michel, qui mangeaient des cuisses de chevreuil près d'un feu. Après s'être essuyé les mains à leurs mocassins et à leurs cheveux, ils se présentèrent.

– Où est Piksarett ? leur demanda Angélique en abénakis.

Les deux guerriers Patsuikett s'entreregardèrent et parurent hésiter.

– Il s'est enfui, répondit Jérôme.

Le mot paraissait étrange, surtout concernant Piksarett, l'intraitable. Peyrac le leur fit répéter, puis il demanda son avis à Castine. Mais il n'y avait guère d'autre traduction à donner à la phrase de l'Abénakis. Piksarett s'était « enfui ». Pourquoi ? Devant quel danger ? Nul ne paraissait le savoir. Angélique et le comte se dévisagèrent.

– Je regrette son absence, dit Peyrac. J'aurais voulu lui demander de m'accompagner dans notre expédition. Skoudoun est très soucieux de ses alliances avec les autres tribus abénakis, et la visite du Grand Baptisé, dont la célébrité est considérable et dont il me parlait avec intérêt, l'aurait certainement enchanté au plus haut point. Ils auraient discuté religion, auraient fumé de mon meilleur tabac de Virginie et j'aurais eu le temps de désamorcer la bombe.

– Prenez Mateconando, mon futur beau-père, proposa le jeune baron gascon. Lui aussi est très disert sur la religion.

Sur ce, Jérôme et Michel commencèrent à discourir à propos de leurs captifs anglais qu'ils avaient pris à Brunschwick-Falls et derrière lesquels ils couraient depuis pas mal de temps. Le moment était venu de savoir s'ils pouvaient les emmener avec eux ou si l'on consentirait à leur donner une rançon. Il fallut traiter de la question, car les deux compères avaient fait montre jusqu'ici d'une certaine patience.

– Ces sauvages sont splendides, n'est-ce pas ? dit le marquis de Villedavray tandis que l'on faisait venir le jeune Samuel Corwin, les deux engagés, le révérend Patridge et Miss Pidgeon que les Abénakis prétendaient avoir capturés.

– Regardez cette musculature. Pas une once de graisse. À chacun de leurs mouvements leur peau brille comme de l'or. Mais ils sentent bien mauvais.

Dommage ! Savez-vous qu'ils peuvent courir à la vitesse d'un cerf ? J'ai vu cela au Bois de Boulogne, lorsque j'avais ramené quelques spécimens en France avec M. de Romagny, pour amuser le roi. On a fait courir ce jeune Iroquois Outtaké contre un cerf et il l'a rattrapé et saisi aux cornes. Le roi n'en revenait pas. Outtaké est maintenant chef des Cinq Nations et le pire ennemi de la Nouvelle-France. Ce n'était pas la peine de lui faire faire un si beau voyage. Allez comprendre ces animaux-là !

– J'ai reçu de lui un collier de wampum, dit Angélique qui était très fière de ce présent du chef Iroquois.

– Ma chère, vous, vous êtes capable de tout, trancha le marquis en attaquant une assiette de petites friandises fabriquées avec des noix de carryer pilées et de la cassonade. Mais, conclut-il la bouche pleine, les Iroquois sont des monstres, et la Nouvelle-France ne respirera que lorsqu'ils seront tous exterminés.

« Oh ! Mais j'y songe, s'écria-t-il, sautant du coq-à-l'âne, Peyrac, mon cher, si vous voulez impressionner le chef Malécite emmenez donc mon Alexandre. Vous avez entendu ce que disait tout à l'heure le frère Marc. Il ne faut pas manquer de mettre ce jeune héros à l'honneur après ce qu'il a fait.

– N'empêche que c'était une connerie, réitéra lourdement Grand Bois. Encore s'il ne s'agissait que du mascaret du Petit Codiac, ça peut se comprendre, ça a son utilité. À condition de ne pas y laisser sa peau, on parcourt en une heure une distance qu'on mettrait une journée à remonter dans le cours habituel de la rivière. Mais les chutes folles de l'estuaire de la Saint-Jean...

– Mais l'honneur de l'exploit... De grossiers personnages de votre espèce ne peuvent pas comprendre...

Ils recommencèrent tous à discuter âprement, et le frère Marc était le plus animé. On l'écoutait avec une certaine attention car il était très expérimenté, et l'on disait que pas un sauvage ne connaissait comme lui le moindre « saut » des multiples rivières, ru, fleuve depuis la rivière du Loup sur le Saint-Laurent jusqu'au Kennebec, en passant par la Saint-Jean, la Sainte-Croix et le Pénobscot.

– Le sujet a vraiment l'air de leur tenir à cœur, fit remarquer Angélique au comte d'Urville qui se trouvait près d'elle.

– Si vous connaissiez le pays, vous comprendriez, dit le jeune seigneur normand. Toute la vie semble conditionnée là-bas par ce mouvement des eaux, ça vous entoure, ça vous bouillonne de partout. La forêt n'est qu'un bruit de cascades...

– Si au moins il n'y avait pas des marées de près de onze toises..., disait Defour...

– Mais il y a des marées de onze toises, rétorquait Villedavray triomphalement, voire de douze, m'a-t-on dit. Alors qu'en Méditerranée les marées n'atteignent pas une toise. Qu'en déduire sinon que nous sommes dans une région de phénomènes surprenants, ce qui oblige à avoir une conduite, dans l' ensemble, différente des normes.